Un labo comme un camion

CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales
12 min readNov 15, 2023

Et s’il était possible d’embarquer un labo de génomique dernier cri à bord d’un de ces cyber-camions de Tesla (Semi) ? Pour qui, pourquoi, et pour quoi faire ? Un projet rédigé par des lycéens francophones californiens de ma classe de Creative Writing, version anglaise : The on-wheels EV Precision Wellness & Longevity Clinic POC project

Des lycéens imaginent le futur de la médecine

Le Semi de Tesla. Et si le stéthoscope de votre médecin généraliste pouvait être remplacé par une infirmière conduisant ce camion canon ? L’accès au dépistage ; santé et prévention comme sur des roulettes grâce à un diagnostic de pointe.

Un biologiste français travaillant à Abu Dhabi dans un laboratoire incubant la médecine du futur (voir sa page LinkedIn ici) essaie de monter un projet tel qu’on l’a lu en 2014 si je me souviens bien en classe de Creative Writing en Californie, dans une des séries de science-fiction publiées chaque année par la prestigieuse Revue du Massachusetts Institute of Tech et intitulée Les Douze Lendemains (les 13 apôtres moins Judas ? ;-) Il s’agissait d’un véhicule patrouillant à longueur de temps et faisant office d’hôpital mobile, avec à son bord urgentistes, infirmiers, généralistes, etc. Sans parler de toute la tech embarquée. Le contexte un brin post-dystopique ou pré-apocalyptique nous avait fait sourire, il nous semblait que c’était plus une critique du système de santé actuel et de ses failles (USA notamment, mais pas que) et moins un vrai projet déjà ficelé prêt à mettre en oeuvre… “Connecting the dots” comme disait feu Jobs, l’ex-patron d’Apple. Justement, on n’y parvenait pas trop.

Dans un monde post-covid, cela devient plus clair : des millions de Français n’ont pas accès à un médecin traitant, lui-même carnet d’adresses sur patte pour vous envoyer voir un spécialiste, et raccourcir au besoin des délais de prise en charge astronomiques ; c’est dans le système de soins français la pierre angulaire de l’édifice lequel s’effrite dangereusement. On comprend aisément que la prévention est la cinquième roue du carrosse dans le système de santé, or les outils de dépistage hyper-précoce des cancers commencent à exister et sortent du pur domaine de la science-fiction. Un système d’arrière-garde qui s’effrite (avec des généralistes au bord de l’épuisement) pour une médecine d’avant-garde d’un côté, de l’autre la frime technologique de la médecine anti-âge, et au milieu la frustration des sans-accès qui s’exprime dans un mouvement populiste anti-vaccin, anti-science… C’est ça l’infobésité, non ? Du coup, on a eu l’idée de regarder de près comment travaillent les médecins généralistes en France durant quelques mois. A la chaîne. On dirait qu’ils sont garés en double-file, ils n’ont qu’un quart d’heure à vous consacrer… par contre dans la salle d’attente, ce sont les embouteillages de l’heure de pointe.

Avec le recul, quand on repense à cette mini nouvelle de SF on se dit qu’il y a peut-être quelque chose à faire. Cela faisait un moment qu’on réfléchissait en cours à la question, quand le biologiste français dont je vous parlais au début de cet article me contacte avec un projet de clinique roulante beau comme un camion :

“Dis-moi, si je voulais monter un labo pour longevity et wellness, (genomics included) dans un cybertruck de Elon Musk, est-ce que tu me mettrais en relation avec lui ou ses équipes ? Un truck qui roulerait dans tout le Moyen-Orient.” Pour les élèves et moi, il explique :

“On ne mettra pas un full-body scan dedans mais on pourra faire toute une batterie de tests multi-omics, sur place, après prélèvements de sang, par l’infirmière-chauffeur, un nouveau métier soit dit en passant.”

Reste à voir si les équipes de Tesla vont bien vouloir “prêter” un de leurs Semi Trucks… Ce serait pour la phase dite de PoC ou preuve de concept, donc la méthode permettant d’évaluer la faisabilité d’un projet. Si cela marche, en effet Tesla pourrait commercialiser ce que mes élèves et moi avons baptisé le “labo comme un camion”. Plus qu’à contacter Musk et à lui demander si ça le branche. Fastoche ;-) ;-)

N’étant que prof en Creative Writing, j’ai incité les élèves à réfléchir aux tenants et aboutissants d’un tel projet type wahou.

Ce camion-clinique permettrait de s’attaquer à plusieurs problèmes :

  1. La médecine préventive est gravement sous-développée. En France le Sénat vient de voter le seul accès aux urgences pour les gens sans permis de séjour valable en France, l’accès aux soins non urgents va désormais leur être refusé. Cela va nous coûter encore plus cher puisque les urgences vont récupérer ce qui aurait pu être soigné avant et ne coûter quasi rien. Comment se tirer une balle dans le pied. Manque de soignants, mauvaise organisation, et la médecine préventive encore plus difficile d’accès. La médecine elle-même évolue très vite et donc la diffusion des connaissances sur l’évolution des soins n’arrive pas à se diffuser. Au mieux, elle a une génération de retard, cette médecine préventive, si ce n’est deux : la mère fait pour son enfant ce que lui a appris sa propre mère, voire grand-mère. Or elle évolue très vite, quasiment au jour le jour, cette médecine “de précision” génomique etc. Même chose en Chine. Il faudrait redonner sa place à la médecine préventive car elle est le moyen le plus efficace et le moins coûteux d’améliorer la santé des populations. L’abondance d’information (infobésité) nuit à l’information. Un problème qu’elle a, cette médecine préventive, est qu’elle rapporte peu.
  2. Le manque de data (données) sur la population générale non homogène, donc dans toute son hétérogénéité (les données médicales de pointe aujourd’hui sont surtout collectées sur une population trop homogène : celle privilégiée, bien inscrite dans un parcours de soins avec médecin traitant et accès à tous les meilleurs spécialistes sans délais astronomiques. Donc pas les anti-vax durant la pandémie ni les populations vivant dans le désert par ex, ou autres zones rurales non desservies etc). Proposer une unité de santé mobile qui aille au devant des populations non urbaines (mal desservies ou même pas du tout desservies) pour à la fois proposer de la santé préventive via différents examens sanguins et en même temps collecter des données très complètes sur ces populations — données pouvant alimenter la recherche et participant au financement. C’est un deal : on vous dit sur quoi vous soigner et vous donnez en échange de cette info. On fait le même deal avec notre médecin traitant, non ?

Dans cette santé préventive il peut y avoir tout ce qui est analyse (“genomics included”) pour faire un bilan à court-moyen terme ; on peut faire de l’orientation médicale (vous allez avoir un diabète déclaré, risque de devenir aveugle, vous allez voir un médecin avec un réel diagnostic qui nécessite des soins que nous on ne donne pas) et on peut inclure des vaccinations car cela rentre dans la santé préventive. Faire de l’orientation précoce vers les services médicaux utiles et faire de la vaccination c’est de la médecine préventive. L’Allemagne faisait ça il y a 20 ou 30 ans, on ne pouvait pas aller voir le praticien de son choix ; et de ce choix réduit voir nul, en France on avait une vue très négative ; je me souviens (suis franco-allemande, ayant vécu et travaillé dans les deux pays). Bah nous en France maintenant on doit se pendre des heures au téléphone pour décrocher un RV, ou via Doctolib qui peut faire un peu de santé préventive pour des publics ville. Le truck ne prend pas des RV, il te fait un papier comme quoi on a diagnostiqué ça et ça : “allez voir un médecin avec des analyses qu’on vous remet et qui vont lui parler”.

Pour cette chronique biomédicale, le travail des élèves a porté sur quatre points : diagnostic, conseil de vie, orientation précoce vers des soins adaptés et vaccination. Ces quatre points pourront être réalisés par un labo mobile ayant accès aux populations non desservies ou mal desservies (un point crucial pour faire avancer la recherche médicale, la mise au point de médicaments ciblés, la vaccination/couverture vaccinale, sans parler des périodes de pandémie !) mais aussi l’avantage sera de donner accès à des chercheurs n’en ayant pas forcément les moyens à un laboratoire ultra-moderne…

Les élèves lycéens ont demandé au biologiste français Patrick Merel quel serait le but de mettre sur roues un labo permettant de séquencer des génomes et comment cela pourrait-il se faire sans camion semi de chez Tesla ? Quelques éléments de réponse ici :

“Rencontré aujourd’hui une boîte de Singapour qui construit des labos covid detection dans des containers, donc tu vois, on est dans le mood…

Ça c’est le séquenceur chinois que je vais mettre dans ma voiture, et qui fait la taille d’une playstation tellement il est petit. Par contre avec ça tu fais le genome d’une fourmis 0.3 Gigabase (Gb), pas un humain, 3 Gigabases, car le standard est de séquencer 30 fois, 30X, pour s’assurer de la précision. Soit 90 Gigabases (30 fois 3) pour un humain ; ce séquenceur n’est certes pas capable de faire beaucoup, mais c’est une belle évolution.”

Le gros séquenceur MGI T20 Vs (MGI c’est BGI, grand groupe industriel spécialisé dans la technologie de pointe de séquençage du génome, et c’est chinois)
Le petit séquenceur E25 au milieu, tous les deux chinois de chez MGI (BGI)

Belle evolution, non? Ready for a drive?

Le but de ce petit exercice était que les élèves imaginent une scène de la série For All Mankind (saison 3 ou 4) sur Mars : comment la biologiste Kelly Baldwin va aller explorer la vie dans l’eau trouvée sur la planète. Un Rover avec un petit séquenceur embarqué serait pratique, non ?

Trève de fiction, retournons quelques instants aux réalités de ce jour et posons-nous les questions : une clinique multi-omics dernier cri dans un cybertruck Tesla, ok cool mais : quel biz plan, et pour quel usage ?

Nous nous sommes tournés vers le TII d’Abu Dhabi où travaille le biologiste français Patrick Merel qui demande aux élèves de “rester discrets car un labo génomique (génome + épigénome) dans un camion, ça n’existe pas vraiment”, même si l’idée de labos dans des camions n’est pas neuve, l’armée par exemple l’a mise en pratique il y a déjà bien longtemps. Il n’en faut pas plus pour piquer la curiosité des élèves se demandant quel biz plan adopter. La réponse de Merel en VO:

“- we want to accelerate access to Precision medicine in unserved population
- we want to make genomics testing available to academics, healthcare entities that cannot afford to build their own lab or need temporary access to genomics testing for studies, special (situations, ie pandemic)
- we want this project capable to move into the field while using green energy, (tesla is very popular in the UAE) and to accommodate high temperatures of the middle east ( we will have suggestions for special nanomaterial-based paints developed at
Tii).
- Having a lab on a wheel capable of doing blood markers + genome+epigenome+microbiome testing will be new.
-The combination of tools being used for that purpose will be new, and will include a new player for blood markers ( like RIP Theranos, but more serious science)

Epigenome+whole genome sequencing testing in a truck has never been shown. And we are anticipating, after demonstration, to be capable to return the results after 3hrs only (world record is 7hrs today).

And last but not least, in case this project needs financing, Tii could co-fund and co-share revenue if IP creation.”

Le recurrent testing et les quatre piliers de la médecine de précision qui se basera sur des dépistages ultra-précoces

Et l’utilité de ce labo de génomique et épi-génomique sur roues ? Eh bien c’est la médecine de prévention, ce que plus haut on appelait la cinquième roue du carrosse, pardon, du camion. Je cite toujours Patrick Merel :

“Pour le labo dans un Tesla truck, c’est faire en sorte que la médecine de demain aille aux patients, plutôt que d’envoyer les patients aux hôpitaux. La médecine de precision va avoir besoin de tests récurrents, comme faire ton microbiome toute les semaines, c’est dur de demander aux gens de revenir à l’hôpital toutes les semaines. Alors on envoie le labo devant leur porte.”

Le recurrent testing est une notion importante dans la médecine de précision : plutôt que de détecter des cancers lorsqu’il est trop tard pour les soigner, on va optimiser et procéder à des tests permettant un dépistage ultra-précoce. Là, on pourra soigner. Ce qui nous amène à une problématique peu mentionnée quand on parle de “médecine génomique de précision” (Genomic Precision Medecine) : la logistique. C’est d’après mon expérience d’enseignante en lycée ce domaine qui passionne les élèves. Il faudra en effet une quadruple mise en place : le transfert des données, l’hôpital sur roues, la fabrication de médicaments déconnectée du modèle des blockbusters faits en masse dans des laboratoires pharmaceutiques (Inde, Chine, etc.), sans oublier la fabrique d’organoïdes pour tester in vitro l’efficacité du traitement avant de le proposer aux patients.

Nous avons ensuite continué à creuser ces questions de logistique : faire transiter des petabytes de données par AWS (le Cloud d’Amazon) ou autres coute plus cher que d’envoyer par la poste 1µg d’ADN, qui lui peut contenir 100–500 petabytes de données, et peut voyager avec une enveloppe au coût d’un simple timbre-poste ! Or cela fait un bon moment que l’on parle de stockage de données dans de l’ADN mais la question ne semble pas beaucoup avancer. Où en est-on ? Fiabilité des données, pérennité, vitesse d’accès ( stockage ADN en lecture et en écriture) ? L’ADN mute, donc la fiabilité est une question. A quelle vitesse se fait l’écriture dans l’ADN ? Pour un stockage de données efficace, il faut en effet voir tous ces aspects et comparer aux autres technologies. Renseignements pris, la demi-vie d’ADN dans une capsule fournie par la société Imagene est de 50.000 ans, donc on ne verra pas de mutations de sitôt… Un métier d’avenir, donc :

Petit extrait de notre échange questions-réponses, les élèves remercient Patrick Merel pour ses lumières :

Échange du 1er décembre 2023

Une question pour finir : quel serait le cahier des charges pour le camion transportant ce laboratoire de génomique et d’épi-génomique ?

“Pour faire tout ça, il faut un truck climatisé, beaucoup de prises pour brancher tout le matériel, une bonne connection internet pour partager les data rapidement avec une AI qui va mouliner rapidement et fournir l’interprétation et les recommandations en retour, avant que le truck reparte…”

En attendant, dans un autre monde, je coordonne des projets médicaux impliquant des médecins généralistes et des patients galérant avec des trachéites. Et sur twitter, les commentaires de “médecins gé” vont bon train…

Twitter, 30 novembre 2023. Pneumopathies à mycoplasme : “une situation épidémique” selon Santé publique France

D’un côté le Semi truck de Tesla et son lab mobile ultra-moderne, de l’autre des millions de Français sans médecin traitant sur fond de pénurie d’antibiotiques (Amoxicilline)… On dirait deux mondes qui ne se parlent pas, vous ne trouvez pas ?

Je dois dire que ce projet de labo-clinique mobile a rencontré beaucoup de succès auprès des lycéens et collégiens francophones californiens. À suivre !…

Je remercie ici les élèves avec qui nous écrivons depuis des années leur propre science-fiction, dans laquelle ils tentent de livrer leur vision du monde de demain. Leur saga de SF est intitulée Genomics Asteroid. Nous avons prévu de travailler avec des étudiants en école de cinéma; les éditeurs gardant les droits numériques de l’oeuvre, nous n’avons pas souhaité publier cette saga de SF chez un éditeur…

Catherine Coste

MITx early MOOC adopter, Creative Writing Teacher

Elon Musk School, CA, USA / SpaceAix, Aix-en-Provence, France

--

--

CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales

MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.