Interview : Bastien Simon

Claptime
Claptime
Published in
5 min readJan 27, 2020

Réalisateur parisien, Bastien Simon utilise sa caméra pour explorer certains pans de notre société que nous avons tendance à oublier, ou que nous préférerions ne pas voir. Il choisit dans ses films de donner la parole à ceux qui l’ont rarement, et aborde avec une certaine forme de légèreté et de poésie les sujets difficiles de la marginalité et de la crise sociale qui nous touchent.

Bonjour Bastien, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ? Quel est ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Je suis né dans une famille d’artistes : mon père est peintre, professeur aux beaux arts, et ma mère est graphiste dans une boîte de pub. J’ai eu cette chance de grandir dans un milieu où l’art sous toute ses formes était très présent, et assez vite on m’a laissé la possibilité d’utiliser toutes les formes d’expression artistique que je souhaitais. J’ai rapidement été attiré par la caméra, et à travers cette pratique, j’ai commencé à vouloir exprimer plus intensément certaines idées que j’avais sur le monde qui nous entoure. Par l’image, je racontais des portraits, sur des thématiques qui m’intéressaient et me choquaient : la marginalité, la solitude, l’exclusion… A cette époque je n’écrivais pas, j’avais cette forme de hantise de l’écriture. Alors je piochais des textes parmi des récits, des pamphlets, des romans, que je mettais en forme. “Aujourd’hui 16 janvier”, par exemple, raconte les affres d’un artiste qui, dans la fin de sa vie, se rend compte qu’il n’a pas vécu la vie qu’il voulait. Après le lycée et mes premières réalisations, je suis rentré aux beaux arts, et je suis parti sur Paris. Mon film de fin d’études, “Ceux qui marchent contre le vent”, sera d’ailleurs récompensé par le prix de la meilleure photo au festival Paris Courts Devant en 2011. Suite à cette période et ces premiers succès en festival, j’ai réalisé un autre court-métrage, “L’Art de la chute”, complètement ancré dans les évènements sociaux et politiques de l’époque. On était en 2012, c’était l’arrivée des Indignés, et je voulais montrer ces sujets, tout en conservant une pointe de poésie et d’onirisme qui me tient à cœur. J’ai aussi travaillé sur des projets plus institutionnels, notamment de documentaires pour France 5. Les Grands Voisins sont ensuite arrivés assez rapidement dans ma vie.

A propos des Grand Voisins justement, tu viens de terminer un documentaire sur ce lieu de vie atypique de Paris, à vocation sociale, culturelle et artistique. Est-ce que tu peux nous raconter les liens que tu entretiens avec cet endroit ? Il s’agit de ton premier long-métrage, qu’est-ce qu’il représente pour toi ?

Ce qui m’intéresse beaucoup avec les Grands Voisins, c’est cette espèce de cohésion sociale qui se met en place dans les moments difficiles vécus par la société. Cette cohésion, elle est présente pendant les mouvements sociaux par exemple, mais on l’a aussi observé malheureusement après les attentats qui ont touchés Paris. Ces événements créent des liens entre les citoyens, des liens importants et nécessaires, et je pensais que mon rôle était de les montrer. Les Grands Voisins sont particulièrement intéressant dans ce contexte et encore plus dans le milieu parisien qui peut parfois être un peu anxiogène : des gens ont choisi de se rassembler pour dire “on va chercher un moyen pour vivre différemment, ensemble et en s’entraidant”. Je suis un témoin privilégié de cette recherche de l’acceptation de l’autre et du vivre ensemble. La réalisation de ce documentaire m’aura demandé 4 ans, c’est un témoignage brut sur mon expérience des premières années d’existences de Grands Voisins. J’avais besoin qu’on ressente l’énergie qui m’animait durant cette période de ma vie.

Extrait de l’affiche “Grands Voisins, la cité rêvée”

Qu’est-ce qui t’as donné envie de réaliser des films ? Quel est le sens que tu donnerais aujourd’hui à ton travail en tant que réalisateur ?

J’ai eu cette chance de baigner dès tout petit dans le milieu artistique. Quand on regardait un film avec mes parents, il s’agissait souvent de films “de qualite”, peu importe le genre. Je suis passé par beaucoup de phases différentes ensuite en tant que cinéphile : beaucoup de blockbusters américains pendant mon adolescence, beaucoup de Spielberg, les Star Wars… Je dirais que j’ai pris ma première “claque cinématographique” avec Le roi et l’oiseau de Paul Grimault. J’ai bifurqué ensuite vers des genres complètement différents, des films russes à la Tarkovski, et je me suis ouvert à beaucoup de styles. Étrangement, j’ai découvert assez tardivement le travail de grandes réalisatrices comme Jane Campion ou Agnès Varda. Je suis aussi beaucoup inspiré par le travail de Yann Gonzalez, de Justine Triet, cette nouvelle génération de trentenaires qui pour moi sont un peu des OVNIs. Finalement, mon travail est issu de ce grand melting pot, dans lequel on retrouve beaucoup un besoin de faire rêver. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour les films d’animation du studio Aardman(Wallace et Gromit) et de Wes Anderson, parce que ce sont à chaque fois de grandes bouffées d’air frais.

Pour mon documentaire sur les Grands Voisins, j’ai beaucoup été inspiré par “Ici Najac, à vous la terre” de Jean-Henri Meunier, sorti en 2006, qui montre une certaine forme de douceur de vivre, dans un petit village de l’Aveyron, malgré les fractures créées par la mondialisation. Cette douceur, je voulais qu’on la retrouve dans mon film.

En France, on a cette chance d’avoir un système qui fonctionne bien, avec le CNC qui soutient de nombreuses créations et qui permet de financer pas mal de films. Malgré tout, c’est un peu dommage de voir que parfois tout ça se détricote un petit peu, et que certains projets n’arrivent pas à se financer. De façon général, je trouve que parfois certaines institutions manquent un peu de courage pour soutenir des projets qui pourraient sembler un peu risqués.

Durant ton parcours, tu as aussi travaillé sur d’autres formats vidéo. Tu t’es par exemple essayé au clip (avec celui réalisé pour le titre DIVING du groupe Dangerous Person par exemple). Qu’est-ce que ce changement de format implique, dans ta façon de travailler ?

Ce qui est intéressant avec le clip, c’est la liberté que le format apporte. Étrangement avec mes films de fiction, je m’imposais beaucoup de codes, qui viennent à mon avis du fait qu’il y a généralement plus de pression autour de la réalisation d’un film que de celle d’un clip. Les attentes sont peut-être plus nombreuses : la validation par la profession, la diffusion en festival, le jugement par la critique. Ces codes que je me fixais, j’ai petit à petit appris à les lâcher, mais le clip reste aussi pour moi une façon d’aborder des sujet plus léger, plus poétique que dans mes autres réalisations malgré tout.

Merci à Bastien de nous avoir accordé cette interview. Nous vous donnons rendez-vous le 1er avril 2020 pour la sortie en salle des “Grands Voisins, la cité rêvée”. Vous pouvez trouver plus d’informations sur le parcours et le travail de Bastien sur son site. Cinq de ses réalisations sont aussi à visionner en intégralité sur Claptime :

--

--