🌎 Bitcoin, l’État-nation 2.0

Joseph Aubry
Club Français des Cryptomonnaies (CFC)
8 min readMay 23, 2019

Application d’un modĂšle Ă©tatique Ă  Bitcoin.

Bitcoin est un OFNI — Objet Financier Non Identifiable. Il est si particulier qu’aucun outil d’analyse des actifs traditionnels ne permet, seul, de fournir une comprĂ©hension globale du systĂšme. Il est par consĂ©quent difficile d’anticiper la direction que Bitcoin prendra si l’on se cantonne Ă  une transposition des modĂšles existants, sans prendre en compte ses spĂ©cificitĂ©s et l’aspect multi-dimensionnel que celles-ci revĂȘtent. Cependant certaines similitudes conceptuelles avec les États nations et, par consĂ©quent, les monnaies nationales, permettent de faire des parallĂšles intĂ©ressants.

Le concept d’État-Nation 2.0 que nous dĂ©veloppons ici pour la premiĂšre fois prend sens avec le constat suivant : les frontiĂšres entre les populations qui Ă©taient jusqu’ici majoritairement gĂ©ographiques, sont redessinĂ©es par la rĂ©volution des technologies de l’information et de la communication. La dĂ©centralisation des systĂšmes issue de cette rĂ©volution a favorisĂ© la distribution de l’information Ă  grande Ă©chelle Ă  un coĂ»t presque nul, rĂ©duisant ainsi l’espace-temps nĂ©cĂ©ssaire Ă  la propagation d’une idĂ©e. En apportant un nouveau mode de distribution de la valeur, avec une organisation structurellement indĂ©pendante et impartiale, Bitcoin n’a Ă  priori pas vocation Ă  servir des intĂ©rĂȘts particuliers comme une entreprise le ferait. Bitcoin peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un État nation 2.0 en ce sens que son existence n’est pas conditionnĂ©e par des frontiĂšres gĂ©ographiques ou des attributs communs entre ses membres, mais est bel et bien le fruit d’une volontĂ© d’un “vivre ensemble collectif” qui s’érige autour de nouvelles valeurs et normes organisationnelles communes. Cqfd.

Les Ă©lĂ©ments constitutifs d’un État nation 2.0

La dĂ©finition traditionnelle d’un État passe par la rĂ©union de 3 conditions cumulatives : une population, un territoire, et la souverainetĂ© de l’État. Tentons d’adapter ce modĂšle Ă  Bitcoin et dĂ©gageons les particularitĂ©s qui nous permettent de le qualifier d’État nation 2.0.

Photo by Jason Leung on Unsplash

đŸ‘šâ€đŸ‘©â€đŸ‘§ La population est la communautĂ© d’utilisateurs

Pour exister, un État est forcĂ©ment constituĂ© d’une population, ses habitants, sa nation. La conception subjective de la nation et l’approche volontariste permettent de dĂ©finir la nation comme la combinaison d’élĂ©ments objectifs (ex. langue, religion), avec des Ă©lĂ©ments subjectifs comme la mĂ©moire commune, ou une communautĂ© d’intĂ©rĂȘt. Autrement dit, en plus de parler la mĂȘme langue, le peuple a conscience d’une histoire commune.

«L’Etat est la personnification juridique d’une nation» AdhĂ©mar Esmein

On peut alors dĂ©finir la population de l’État nation 2.0 comme la communautĂ© d’utilisateurs : en plus de se retrouver autour des valeurs de dĂ©centralisation et transparence prĂŽnĂ©es par Bitcoin, les utilisateurs ont un intĂ©rĂȘt commun Ă  faire grandir le rĂ©seau.

Je voudrais m’attarder sur le point suivant : parler la mĂȘme langue, ou avoir la mĂȘme religion est certes constitutif d’une identitĂ©, mais est Ă©galement synonyme de discriminations. Dans Bitcoin, les Ă©lĂ©ments objectifs qui lient les utilisateurs les uns aux autres ne sont pas discriminants : au contraire, la conscience du “soi collectif” de la communautĂ© s’articule autour du principe d’universalitĂ©. Le point commun des utilisateurs de Bitcoin, c’est leurs diffĂ©rences. Car c’est bien le propos de Bitcoin, qui dans sa conception a notamment vocation Ă  ĂȘtre utilisĂ© pour des transferts de fonds internationaux sans aucune distinction de langue ou de religion. Un autre Ă©lĂ©ment objectif qu’il est possible d’identifier est la culture geek qui lie les utilisateurs initiaux, mais lĂ  encore, ce point n’est pas discriminant car structurellement, les utilisateurs sont incitĂ©s financiĂšrement Ă  ce que le rĂ©seau s’élargisse et donc Ă  inclure les “non geeks”. De plus, la nationalitĂ© n’est dans les faits pas un choix, si vous naissez en France, vous ĂȘtes français. AdhĂ©rer Ă  la Bitcoin nation rĂ©sulte d’un choix, ce qui in fine brise les antagonismes idĂ©ologiques culturels potentiels, grĂące Ă  l’appartenance commune Ă  un mĂȘme rĂ©seau, sans pour autant entamer l’identitĂ© de chaque utilisateur : ĂȘtre Bitcoiner n‘enlĂšve en rien votre identitĂ© française. Cocorico.

Image extraite de la trilogie Matrix

🌐 Le territoire est cyberspatial

Chaque État a nĂ©cessairement un territoire donnĂ©, sur lequel vit sa population, mais tous les territoires n’appartiennent pas forcĂ©ment Ă  un État (ex. les eaux internationales). Chaque territoire gĂ©ographique est dĂ©limitĂ© par des limites linĂ©aires et stables : les frontiĂšres. Traditionnellement, le territoire est un espace Ă  3 dimensions : Terrestre, Maritime, et AĂ©rienne.

Le concept de l’État nation 2.0 comprend une 4Ăšme dimension : Cyberspatiale. La dimension cyberspatiale peut ĂȘtre dĂ©finie simplement comme l’espace dans lequel les informations circulent. Il est gĂ©nĂ©ralement admis qu’Internet en soit un synonyme bien que les rĂ©seaux LAN permettent Ă©galement la circulation de l’information en rĂ©seau local. Quand les citoyens sont limitĂ©s par les frontiĂšres gĂ©ographiques de leur pays, les utilisateurs de Bitcoin ne sont pas limitĂ©s physiquement : il est possible d’accĂ©der au Cyberspace de n’importe oĂč dans le monde Ă  condition d’avoir accĂšs Ă  internet. Aucune barriĂšre douaniĂšre n’existe, le Cyberspace est un lieu de libre Ă©change thĂ©oriquement insensible aux censures des États retissants (ex. la Chine). Il faut prĂ©ciser que Google, le populaire moteur de recherche, n’est qu’une application d’Internet. Dans les faits, les sites qui ne sont pas rĂ©fĂ©rencĂ©s par Google reprĂ©sente 99% d’Internet. N’importe qui peut outrepasser les censures et accĂ©der Ă  cet espace en utilisant un VPN et en tĂ©lĂ©chargeant un logiciel comme Tor. Bitcoin a d’ailleurs Ă©tĂ© utilisĂ© massivement sur le Deep Web avant d’ĂȘtre popularisĂ© Ă  plus grande Ă©chelle. L’universalitĂ© est une valeur forte de Bitcoin, qui a justement Ă©tĂ© conçu pour contourner les censures des diffĂ©rents pays. Il faut noter que ce territoire cyberspatial est l’équivalent des eaux internationales : il n’est pas exclusif, et il n’existe pas vraiment de rĂ©glementations communes pour encadrer cet espace libre.

Par ailleurs, le code source de Bitcoin Ă©tant open source, il est possible d’implanter sa propre blockchain sur le modĂšle de Bitcoin en rĂ©seau local sans passer par internet notamment Ă  l’aide de technologies comme Ethernet ou dans un environnement client/serveur.

Constitution des États-Unis d’AmĂ©rique

📝 La constitution est le protocole de consensus

La souverainetĂ© reprĂ©sente le pouvoir et la puissance de l’Etat Ă  l’égard de son territoire et de sa population. C’est le pouvoir suprĂȘme lĂ©gitime de l’État de faire ses lois et de les mettre en pratique. Soit les pouvoirs lĂ©gislatif, exĂ©cutif, et judiciaire. La souverainetĂ© d’un État est matĂ©rialisĂ©e par un ensemble de rĂšgles, notamment sa constitution.

Dans le cas de Bitcoin, l’équivalent de la constitution est le protocole de consensus. De la mĂȘme maniĂšre, cet ensemble de rĂšgles rĂ©git les relations entre les utilisateurs et prĂ©vaut sur toutes les autres rĂšgles.

đŸ’» Les dĂ©veloppeurs sont les pouvoirs lĂ©gislatif

En extrapolant ces principes, on peut considĂ©rer que les dĂ©veloppeurs originaux sont le pouvoir lĂ©gislatif : ils rĂ©digent le code source du protocole qui pose les bases constitutionnelles de l’organisation, mais tout changement du protocole nĂ©cessite l’approbation des mineurs. Les dĂ©veloppeurs du monde entier peuvent proposer des modifications du code source en y apportant des modifications qui seront ensuite soumises Ă  la communautĂ©.

⛏ Les mineurs sont le pouvoir exĂ©cutif

Le minage est un point essentiel du processus. Car c’est bien les mineurs qui appliquent les rĂšgles induites par le protocole. Sans mineurs, il n’y a pas de blockchain, du moins pour celles qui fonctionnent en Proof of Work comme Bitcoin, c’est Ă  dire qui nĂ©cessite la mise Ă  disposition par les mineurs de la puissance de calcul de leurs ordinateurs. Une fois les propositions Ă©mises par les dĂ©veloppeurs, les mineurs appliquent (ou pas) le nouveau protocole.

Cependant, les mineurs n’ont pas tout pouvoir. Ils ont intĂ©rĂȘt Ă  ce que la communautĂ© d’utilisateurs approuve ces changements, car la rĂ©compense sous forme de jetons qu’ils perçoivent en Ă©change de leur puissance de calcul n’a pas de valeur si cette mĂȘme communautĂ© n’achĂšte pas ces mĂȘmes jetons aprĂšs qu’ils soient crĂ©Ă©s.

đŸ‘đŸŒ Les forks sont les rĂ©fĂ©rendums

C’est le principe des forks. Un fork, soit un embranchement, est une modification des rĂšgles protocolaires de la blockchain. On peut alors le comparer au systĂšme du rĂ©fĂ©rendum d’une dĂ©mocratie participative. Cette situation se produit lorsque des utilisateurs veulent amĂ©liorer la blockchain existante par exemple sur des sujets comme la vitesse des transactions.

Il existe 2 types de forks : Soft forks & Hard forks.

  • Un soft fork est une modification des rĂšgles sans qu’une mise Ă  jour du rĂ©seau soit nĂ©cessaire pour que la Blockchain continue de fonctionner. Un exemple de soft fork de Bitcoin est l’ajout de P2SH (Pay to script Hash), qui a permis les transactions avec signatures multiples.
  • Un hard fork est une modification plus profonde des rĂšgles rĂ©gissant la Blockchain. Elle devient alors inutilisable pour les mineurs qui ne mettent pas Ă  jour leur systĂšme. Soit les mineurs acceptent les nouvelles rĂšgles et mettent Ă  jour leur registre, soit une partie des mineurs refusent la mise Ă  jour, dans ce cas, deux blockchains vont vivre parallĂšlement. Ce second cas implique une nouvelle crypto monnaie. À condition de possĂ©der effectivement ses clĂ©s privĂ©es comme en les stockant sur une clĂ© Ledger đŸ‡«đŸ‡·, chaque personne qui possĂ©dera un certain montant de la crypto d’origine, obtiendra le mĂȘme montant de la nouvelle crypto. Les hard forks les plus connus de Bitcoin sont Bitcoin Cash et le trĂšs controversĂ© Bitcoin SV.

Cependant, Bitcoin en tant qu’État nation 2.0 n’exerce pas de pouvoir judiciaire : il n’existe pas de mesures coercitives qui sanctionnent les comportements belliqueux comme celui des Black Hats (hackers ayant l’intention de nuire).

✅ Conclusion

Dans sa structure, son fonctionnement et ses desseins, ce rĂ©seau d’ordinateurs est comparable Ă  un État nation. Ses spĂ©cificitĂ©s issues de la rĂ©volution des technologies de l’information et de la communication, concernant sa population, son territoire et sa souverainetĂ©, permettent de le qualifier d’État nation 2.0.

RassemblĂ©s par des valeurs communes et la volontĂ© d’adhĂ©rer Ă  un nouveau mode organisationnel, les citoyens de l’État nation 2.0 y adhĂšrent par choix et ont en commun des caractĂ©ristiques non discriminantes comme l’universalitĂ© qui les unit. Le territoire de l’État nation 2.0 est mondial, cyberspatial, non exclusif et est un lieu de libre Ă©change des donnĂ©es conçu pour rĂ©sister Ă  la censure. RĂ©gi par un ensemble de rĂšgles consensuelles issues du protocole original, l’État nation 2.0 est comparable Ă  une dĂ©mocratie participative : les dĂ©veloppeurs originaux rĂ©digent la constitution, les mineurs l’exĂ©cutent, mais il possible d’effectuer des modifications lĂ©gislatives sous forme de rĂ©fĂ©rendums soumises Ă  l’approbation de la communautĂ©.

Cet article a été rédigé par Joseph Aubry pour le Club Français des Crypto-monnaies.

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Joseph Aubry
Club Français des Cryptomonnaies (CFC)

Fascinated about finance and new technologies, I write about Blockchain after class.