Le jour où j’ai décidé de quitter mon job en CDI, je planais… de joie ! J’étais enthousiaste à l’idée des challenges qui allaient se présenter et euphorique de toute cette incertitude concernant ce qui allait m’arriver. Je partais pour un très long voyage dont la destination m’était inconnue.
Au milieu de toutes les questions que je me posais concernant mon avenir d’entrepreneur, il y en avait un en particulier sur lequel j’étais déjà vigilante : la place des femmes dans l’entrepreneuriat.
Existe-t-il des hommes esthéticiennes ?
Je parle délibérément de “place” des femmes dans l’entrepreneuriat pour une raison simple : à partir du moment où le mot “femme” précèdera celui “d’entrepreneur”, nous (les femmes) aurons belle et bien une place à prendre. Il est important de souligner que cette tournure de phrase, dans la plupart des conversations agréables, valorise une situation beaucoup trop rare car il est bien vrai qu’une femme entrepreneur est bien plus difficile à trouver qu’un homme entrepreneur. Ce qui est rare est précieux, et mérite d’être chéri. Nous sommes d’accord.
Pourtant, au même titre que vous pourriez entendre un “homme sage-femme” ou un “homme esthéticienne”, c’est tout un genre (homme ou femme) qui est condamné à être partiellement exclu d’un métier dès lors qu’il est “genré”.
Un nouveau vocabulaire mixte
Qu’un travail d’homme soit exercé par une femme ou inversement, c’est tout un équilibre social qui semble vaciller. La diversité permet d’enrichir des savoirs et des corps de métier tout entier. Au XXIè siècle, sommes-nous condamnés à voir en le praticien ou praticienne, son sexe avant son efficacité ?
Au début du XXè siècle, personne ne parlait de développeur informatique, de community manager, de product manager, de chief happiness officer (merci aux anglicismes qui nous évitent de donner un genre aux intitulés des métiers). Ce nouveau vocabulaire est devenu une vitrine de ce changement de paradigme de société dans lequel les genres disparaissent au bénéfice des compétences et où les anglicismes traduisent une internationalisation des connaissances.
Je suis un homme plus âgé et je peux t’aider à être plus crédible car tu es une femme encore jeune
Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée il y a quelques mois à peine. Nous cherchions un business angel qui accepterait d’investir dans Cohome. L’un de ceux que nous avons rencontré était très intéressé et passionné par toutes les opportunités de business qu’il voyait en Cohome. Nous avons eu un moment d’échange agréable pendant lequel nous avons partagé une vision commune des enjeux sociaux auxquels veut répondre Cohome. Pourtant, dans les jours qui ont suivi et après quelques discussions, un sujet a été abordé sournoisement, insidieusement.
Laura, je pense vraiment que je pourrais être une valeur ajoutée à l’équipe de Cohome. Je suis un homme plus âgé et ma présence peut rassurer des investisseurs ou des banquiers. Je peux t’aider à être plus crédible devant ce genre d’interlocuteurs car tu es une femme encore jeune et ça peut jouer en ta défaveur.
Voilà, la phrase était lâchée. Je dois avouer que sur le coup, je suis restée abasourdie. Je n’avais pas encore assez confiance en moi pour le renvoyer dans ses 22 et je me suis beaucoup remise en question. Est-ce que ça pouvait être vrai ? Mon âge et mon sexe pourraient-ils vraiment nuire à la croissance de Cohome ? Est-ce que ma vision du monde est si erronée que le fait d’être une femme m’empêchera d’atteindre mes objectifs ? #WTF ???
Ce questionnement n’a heureusement pas duré longtemps et ce n’est ni mon sexe, ni mon âge qui seront le moindre frein au succès de mon entreprise. Je dirai même qu’ils font partis de ses forces : car là où il y a une aspérité, il y a une occasion de développement à saisir.
Un grand bravo à la seule femme entrepreneur lauréate de ce concours
Je vous rapporte ici une autre histoire, “c’est du vécu” ! Cohome a eu la grande joie de récemment remporter un concours sur l’innovation. Une vraie reconnaissance pour notre travail et la mission solidaire que nous nous sommes fixés ! Un seul bémol a assombri cette excellente nouvelle car au moment de la remise du prix, il a fallu que l’organisatrice souligne :
Et bravo à la seule femme lauréate parmi les 7 vainqueurs du concours.
Lorsque j’étais sur scène, bien que les lumières des projecteurs m’empêchent de bien discerner les membres de l’assistance, j’ai bien entendu les encouragement sonores émanant de la salle. J’ai ensuite reçu de nombreux encouragements de femmes entrepreneurs (ou non) :
“Nous désespérions de voir au moins une femme au palmarès de ce concours”.
“Merci de faire ce que vous faites : il manque des femmes dans l’entrepreneuriat”.
“Que des hommes, heureusement qu’ils ont au moins sélectionné un projet porté par une femme”.
En un sens, il est vrai et il faut l’avouer, que les femmes entrepreneurs sont peu nombreuses. Souligner leurs actions est une manière de les encourager à persévérer. Pourtant… pourtant, il est important d’y mettre les formes. La forme vaut autant que le fond, voire plus dans notre monde où l’image est reine. Et c’est le dernier encouragement qui m’a faite réagir : si je suis avant tout une femme, est-ce pour cela que le projet a été choisi, car il “faut au moins une femme vainqueur” ?
C’est vrai, il faut se battre plus fort
L’ambiguïté qui règne entre la nécessité de l’encouragement et le paternalisme ambiant font aujourd’hui un cocktail assez détonnant. Oui il faut encourager l’entrepreneuriat au féminin car, comme dans tout secteur, c’est la diversité qui en améliorera l’efficacité.
Dans ce monde masculin, la place est à prendre. Elle est à prendre, non pas parce qu’elle est déjà occupée par un homme, mais parce que la place est vide.
Depuis le milieu du XXè siècle, les femmes se battent pour leurs droits et aujourd’hui nous pouvons accéder à toutes les positions que nous voulons. Le fameux plafond de verre existe beaucoup dans nos têtes car avec de la persévérance, nous pouvons le briser.
J’ai encore une anecdote à vous raconter. Il y a quelques jours, j’ai eu le plaisir d’être invité à un petit-déjeuner d’entrepreneurs organisé par la CCI. J’arrive donc à l’événement de bonne heure, et me retrouve, progressivement, entouré d’hommes. Les minutes passent, et voilà 25 hommes en costard-cravate qui se réunissent autour du Président de la Chambre. Je suis la seule femme. Nous sommes 2 dans la salle à avoir moins de 45 ans. L’ambiance est extrêmement sérieuse : je ne m’attendais pas vraiment à ça (pourtant, en y repensant, rien de surprenant). J’aime les imprévus car c’est dans ce genre de situation où je fais souvent les meilleurs expériences et dont découlent aussi les meilleures opportunités (ou pas d’ailleurs), alors je fais bonne figure et relève ce challenge !
Et cette expérience là restera gravée : pour la deuxième fois, je me suis sentie jugée (peut-être était-ce dû à mes baskets ?). Mes pieds bien cachés sous mon siège (vilaines baskets), je parle avec assurance des positions stratégiques de Cohome et tente d’apporter une solution aux entrepreneurs présents qui rencontrent des difficultés avec le recrutement des talents de la “jeune génération” (ma génération donc).
Je tente de leur transmettre ma vision en expliquant que les “jeunes” (oulala le gros mot) veulent effectivement de la souplesse, de la confiance et de l’autonomie. Ce qui n’est évidemment pas possible dans une société paternaliste dans laquelle le héro (aka le patron) garde les reines décisionnelles ne laissant que des miettes aux subalternes (je te signale juste, cher lecteur, que je garde ce dernier commentaire acerbe bien au chaud dans ma bouche).
Ma tentative restera veine : le principal intéressé par ce problème balaiera d’un revers de main la solution clé en main et accessible que je lui apporte. Dommage pour lui, mais je ne suis pas là pour le convaincre. Il y a les “early adopters” et il y les “ringards”, je vous laisse deviner dans quelle catégorie il appartient.
Mon ressenti est que je n’ai pas ma place ici. Deux mondes s’affrontent : l’ancien et le nouveau (guerre ancestrale) ! Les patrons traditionnels ne peuvent pas s’adapter aux exigences de demain. Il le veulent pourtant, mais ne peuvent pas : ils sont l’héritage pyramidal du siècle précédent où la jeunesse et les femmes étaient en bas de la pyramide. Bonus de l’anecdote qui appuie cette dernière phrase : il y avait une autre femme dans la salle, il s’agissait de la secrétaire du Président de la Chambre (une femme charmante et pleine d’énergie). Comment voulez-vous qu’une femme se fasse entendre dans ce vieux monde où elles n’occupent que des places subalternes ?
En conclusion
La conclusion de ce texte est assez compliquée à formuler car être une femme entrepreneur n’est pas qu’une question de forme, c’est aussi une question de fond.
Je constate aussi que les professionnels indépendants de moins de 40 ans sont globalement moins sensibles (voire insensibles) au sexe de l’entrepreneur qu’ils ont en face d’eux. Alors voilà, la meilleur posture à adopter me semble-t-il est de se battre contre le sexisme, se battre pour améliorer l’égalité de traitement, se battre contre les préjugés et avancer pour imprimer notre vision dans ce magnifique monde fait de diversité.
Comme tant d’hommes et femmes, je suis avant tout entrepreneur.
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