Comment c’est raconté ?

Restranscriptions du podcast d’analyse de scénarios.

Analyse du scénario de Last Action Hero : genres et dynamiques

Baptiste Rambaud
Comment c’est raconté ?
21 min readNov 3, 2019

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CINÉMA — Analysons le scénario du film Last Action Hero (1993) : quels sont ses genres cinématographiques ?

« C’est quoi ton genre de films ? » demande-t-on parfois à quelqu’un dont on fait connaissance. « Les films d’action ? Les romances ? Les films d’auteur ? ». Et bien, qu’appelle-t-on exactement un « genre » de film ?

Info : Cet article retranscrit un épisode du podcast “Comment c’est raconté ?”, disponible sur Youtube, Apple Podcasts, Soundcloud, Spotify et services de podcast par RSS.

Salut ! Et bienvenue dans ce 44e numéro de “Comment c’est raconté ?”, le podcast qui déconstruit les scénarios un dimanche sur deux. Aujourd’hui, traversons l’écran des films d’action avec la comédie d’aventure américaine Last Action Hero, écrite par Zak Penn, Adam Leff, Shane Black et David Arnott, réalisée par John McTiernan, et sortie au cinéma en août 1993. Cet hommage festif aux blockbusters testostéronés nous offrira l’occasion de définir ce qui constitue un genre cinématographique.

Grâce à un billet de cinéma magique, Danny Madigan, un enfant de onze ans, traverse la toile de projection du cinéma où il a ses habitudes, et vit les aventures de son personnage préféré, le policier Jack Slater, à ses côtés. Ensemble, ils affronteront tous les dangers.

Même si vous devinez que les gentils gagnent toujours à la fin, attention spoilers.

Donc je disais, Last Action Hero est une comédie d’aventure. Enfin, c’est ce que nous dit Allociné. Sur SensCritique, est écrit qu’il s’agit également d’un film d’Action. IMDB, de son côté, propose même un quatrième genre : le genre fantastique. Enfin, pour la page Wikipedia, le film de McTiernan est juste une comédie policière. Donc : Action, Comédie, Policier, Aventure et Fantastique. Ça fait beaucoup. Mais chacune de ces étiquettes est ma foi légitime. Il y a bien des scènes d’Action, avec diverses courses poursuites et explosions. Il y a bien de la comédie, avec toutes les punchlines méta de Schwarzenegger. C’est bien un film policier, puisque Jack Slater est un flic qui traque un parrain de la mafia. La dimension fantastique s’avère également présente, avec ce billet magique qui permet au jeune Danny de traverser l’écran. Et enfin, on peut parfaitement parler de film d’Aventure, puisque Danny découvre et parcourt un monde nouveau : celui des séries B populaires.

LE GENRE : UN OUTIL MAGIQUE

C’est quand même quelque chose de bien pratique, le genre. Si on vous propose d’aller voir au cinéma une comédie, ou un film d’action, ou un film fantastique, ou un film d’aventure ou un film policier, ou tout cela à la fois, vous vous faites instantanément une idée globale, dans votre tête, du film en question.

Dans les formations qu’il dispense, le scénariste français Ludovic du Clary explique que le genre permet justement de connecter plus rapidement et plus facilement avec le spectateur. Et c’est terriblement pratique, à plusieurs égards.

Déjà, cela prépare le spectateur. S’il sait qu’il regarde une comédie telle que par exemple Last Action Hero, il est d’entrée de jeu en condition pour se marrer — par exemple il se trouve avec des potes, des bières, des chips, et un certain enthousiasme. Et au pire, s’il regarde un film dont il ne connait rien, les quelques premières scènes lui indiqueront tout de suite le genre du récit, et le spectateur saura alors dans quoi il s’embarque.

Par ailleurs, remarque Du Clary, le genre épargne pas mal d’exposition. Par exemple, quand il visionne un film de vampires, bon bah le spectateur devine que les personnages craignent la lumière du Soleil, l’ail, l’eau bénite, qu’ils sont immortels, sucent le sang de leur victime pour se nourrir, etc. Bref, le scénariste n’a pas à rappeler tout cela, et s’épargne ainsi d’encombrer son récit avec des scènes et dialogues expositionnels. Dans Last Action Hero, le policier Jack Slater règle les problèmes par la manière forte, autrement dit avec de la casse et des dommages collatéraux, puis son supérieur hiérarchique l’engueule. Bon bah là, le spectateur ne se demande pas pourquoi Schwarzy transgresse les procédures d’intervention et n’en fait qu’à sa tête, non, il sait très bien que dans les films d’action à la Men in Black ou Die Hard, le protagoniste ne peut pas s’empêcher de tout faire péter dans le seul but de choper l’ennemi.

Plus que de mettre le spectateur en condition, le genre permet à une oeuvre de formuler une promesse au spectateur. « Je suis un film d’action » signifiera alors « je te promets moultes courses poursuites, gun fights, explosions et gros muscles ». « Je suis un film de fantômes » signifia par ailleurs « je te promets des sursauts, de la peur, des portes qui claquent toutes seules, et des apparitions qui surgissent n’importe quand n’importe où ». Ainsi, la satisfaction du spectateur à l’issue du film sera pondérée par son sentiment d’avoir obtenu ce qu’on lui a promis, que ce soit des larmes, du rire, de l’effroi, des questionnements métaphysiques, du sexe, une enquête ludique ou que sais-je. Quelque part, le genre annoncé d’un récit met le spectateur au diapason de l’histoire. Comme je le disais juste avant, Last Action Hero répond plutôt bien à tous les genres qu’on lui assigne.

Enfin, qui dit promesses dit attentes, et il est un dernier atout qu’offre un genre à son récit, termine du Clary : celui de jouer, justement, avec ces attentes. Parce que c’est bien beau de rassurer le spectateur sur ce qu’il va voir, mais toujours faut-il ensuite surprendre ce dernier. Du coup, il y a certains codes que l’on suit, auxquels on se conforme, et d’autres que l’ont réinvente. Dans Le Jour des Morts Vivants, Georges Romero confère à ses zombies une capacité d’apprentissage, forme d’évolution Darwinienne de ces créatures. Il enrichit ainsi la mythologie du film de mort-vivant, et nous surprend par la même occasion. Dans Last Action Hero, la série B est subvertie par l’incursion d’un personnage méta — le jeune Danny — qui commente tout ce qui se passe en fonction de ce que lui-même connait des films de ce genre. Là encore, c’est un pas de côté, un moyen de surprendre le spectateur tout en lui garantissant les ingrédients inévitables du film de série B.

Ce jeu avec les codes de genre, ce dosage précis entre “respecter des attentes » et « prendre les attentes à contrepieds », répond à une convention d’écriture bien connue des scénaristes, théorisée par feu Blake Snyder dans son livre Save the Cat : « Give me the same thing, only different », « donne moi la même chose, mais en différent. » Voila ce qu’exige le spectateur sans le savoir.

Si le spectateur ne sait pas à quoi se rattacher, il est perdu et ne s’investit pas dans l’histoire. S’il a le sentiment de savoir où l’histoire va, le voila rassuré et pleinement impliqué. Par contre, si l’histoire suit trop ses attentes, et bien soit il s’ennuie, soit il n’en gardera pas un souvenir particulier. Du coup, si les attentes sont ensuite défiées, le spectateur se ravira d’avoir été surpris.

Pour finir sur le pouvoir du genre, ce n’est donc pas pour rien qu’une affiche de cinéma nous crie souvent le genre du film au visage, à travers son esthétique. En un fragment de seconde, le potentiel spectateur saura s’il est intéressé, se mettra en condition pour apprécier l’oeuvre, se remémorera la mythologie à mobiliser s’il y en a une, bouillonnera d’attentes, et se mettra en position d’être surpris.

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UNE INFINITÉ DE GENRES

Alors quels sont les genres ? Il y en a des centaines. Mais aucun des livres que j’ai lus — et dieu sait qu’il y en a — ne fournit de liste exhaustive des genres et sous-genres narratifs. Et pourtant, la plupart de ces manuels insistent sur le fait que les codes du genre sont importants, qu’il faut les connaitre, les maîtriser, bla bla bla. Cependant, quand il s’agit de les lister, y’a plus personne.

J’ai fini par trouver, sur un site obscur intitulé filmsite.org, une longue liste de genres de film. Bon, je vous épargne les plus connus et généraux, pour vous en rappeler tout de suite certains des plus spécifiques : le teen movie, le thriller psychologique, le film de braquage, le film d’exploitation, le film de survie, le film de mafia, le western, le triangle amoureux, le huis clos, le body horror, la dystopie, le film de voyage dans le temps, le film d’époque, le film d’enquête, de super héros, ou encore le conte de fées — BREF, il y en a autant que de lignes de dialogues dans un scénario d’Aaron Sorkin.

Mais ça ne s’arrête pas là. Comme on l’a vu avec Last Action Hero, on peut les croiser — c’est d’ailleurs une des façon de transgresser un genre, que de le confronter à un autre. Donc pourquoi pas un body horror à huis clos sur fond de triangle amoureux dans un film de mafia d’époque ? Allez, ça semble possible. Et si on rajoutait une couche de film d’aventure, là dedans ? Ah bah là non ! Jusqu’à preuve du contraire, un huis clos ne peut pas également être un film d’aventure. Ça, c’est mort !

Me vient la réflexion suivante : comment marier correctement des genres ? Y-a-t-il certains principes, comme il y en a dans la mode ou dans la cuisine ? Les dichotomies sucré/salé, croustillant/fondant, chaud/froid, amer/acide, doux/épicé, trouvent-elles leur équivalent au sein des genres cinématographiques ?

COMMENT DÉFINIR UN GENRE ?

Cela nous mène à la question la plus essentielle : c’est quoi, un genre ? Qu’est-ce qui le compose ? À quel moment établit-on que la satire est un genre, au même titre que le drame ou que le film catastrophe ? Est-ce bien, d’ailleurs, au « même titre » ? Devrait-on différencier genre et sous-genres d’autre chose, tout comme on différencie les fruits des légumes de la viande et des boissons ? Alors là… la tâche est sacrément ardue. Autant, définir un genre en particulier est assez simple — un fan de space opéra vous dira qu’il faut des combats en vaisseaux dans l’espace, un fan de fantasy vous dira qu’il faut des créatures et peuples et mythologies originales qui s’affrontent, un fan de films de pirates vous dira qu’il faut des bateaux, des canons, des trésors et des artimuses — mais alors quand il faut trouver des dénominateurs communs pour établir ce qui constitue structurellement l’ensemble des genres, et bien on galère.

Prenons des exemples. Peut-être qu’un genre implique des événements en particulier. Un film d’action, on le disait, implique des explosions, des courses poursuites et tout et tout, comme celles que l’on retrouve dans Last Action Hero. Une romance implique un moment où les amoureux vont s’embrasser, puis un où ils vont se séparer, avant un dernier où ils se remettront ensemble. Un slasher implique la mort de chaque personnage principal un-à-un jusqu’à ce qu’un seul ou aucun ne survive. Mais un Huis Clos, ça impose quel type d’événement ? Aucun ! Et un film spatial, ça implique quel type d’événement ? Aucun non plus !

D’accord. On laisse tomber les événements. Disons que c’est une question de contexte. Un huis clos se passe toujours dans un petit espace. Un film spatial se déroule toujours dans l’espace. Un film de Guerre se déroule toujours sur un champ de bataille. Mais un film d’épouvante… Ça se passe littéralement où on veut, non, pas forcément dans une maison hantée ? Un film noir, pareil !

Attendez, attendez. C’est peut-être une affaire de ton, d’ambiance. Le film noir répond à une esthétique dé-saturée, à des ombres franches, à des personnages torturées, à des scènes pluvieuses et nocturnes. Un film d’épouvante baigne dans un climat d’incertitude et de tension. Mais un biopic… il peut aussi bien être poétique comme le film sur Gainsbourg, qu’académique comme Le Discours d’un Roi, que punk comme L’Histoire d’un Mec.

Peut-être qu’en continuant à chercher, qu’en insistant, on peut parvenir à trouver des dénominateurs absolument communs à tous les genres sans exception, mais personnellement, j’y crois assez peu. Peut-être que sinon, on peut séparer les genres en différentes familles, mais là encore, je suis sûr que les frontières demeureront poreuses. Je me trompe peut-être, mais cela me semble impossible, que de définir précisément ce qui constitue un genre.

C’est quand même dingue, non ? Malgré toutes les qualités intrinsèques au genre, malgré l’importance que les dramaturges s’accordent à lui attribuer, on n’est pas foutu d’expliquer ce que c’est.

Dans son ouvrage Dramatic Construction, Edward Mabley déplore que la principale difficulté qui réside dans l’analyse de pièces de théâtre, est la confusion dans le vocabulaire. Qu’appelle-ton la prémisse ? Qu’appelle-t-on le thème ? Qu’appelle-t-on le sujet ? Je développais cette problématique dans l’épisode du podcast consacré au film Grave. Et bien, en ce qui concerne le genre, c’est pire qu’une confusion sur la définition, puisqu’il n’y a même pas vraiment de définition. Donc chacun met plus ou moins ce qu’il veut derrière.

MULTIPLES FACETTES

Toujours dans sa formation, Ludovic du Clary a donc cerné plusieurs dimensions auxquelles peuvent s’adresser un genre. On vient de citer le ton, le contexte ou encore des événements obligatoires. À ceux-là peuvent s’ajouter l’émotion recherchée — la peur dans le cas de la dystopie, la joie ou la tristesse dans le cas d’un conte de fées, la colère dans le cas du film social, etc. — la nature de la relation entre les personnages — l’amour dans le cas de la romance, la rivalité dans le cas du film de sport, la revanche dans le cas du film de vengeance, etc. — le style de récit — muet dans le cas du film muet, chanté dans le cas de la comédie musicale, découpé dans le cas du film à sketchs — et j’en passe.

Au delà du contenu de l’histoire, voire de son style de narration, le genre peut même concerner le contexte de production de l’oeuvre, autrement dit son rapport au monde réel. Un scénario s’appelle biopic dès lors que le personnage représente une personne réelle, quand bien même l’histoire fonctionne par elle-même sans mentionner cela. Une oeuvre appartient à La Nouvelle Vague si elle a été créée à une certaine époque, dans un certain pays, avec certains moyens de prise de vue. Un Giallo est également ancré dans un pays et une époque. Un film dit d’exploitation répond à une certaine logique économique liée à la production. Et que dire du cinéma d’animation ? C’est un genre, aussi ! Aujourd’hui, vous pouvez faire un film à la façon d’un Giallo, à la façon de la Nouvelle Vague, à la façon d’un western spaghetti, mais vous n’en serez que fossoyeur, il ne s’agira pas à proprement parler d’un récit propre à l’un de ces genres.

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LES DYNAMIQUES DE RÉCIT

En fait, il y a UNE dimension du genre qui m’intéresse plus que les autres. Ce n’est pas le ton, le style, le contexte, l’émotion suscitée, le rapport au monde réel, la nature de la relation entre les personnages, ni les événements obligatoires, non, c’est la situation. Certains genres impliquent une situation auto-porteuse — appelons-les « les dynamiques ».

Une dynamique d’histoire, en gros, c’est un type de récit qui se suffit à lui-même pour générer de l’intérêt. C’est pour cela que je parle de capacité à se porter toute seule.

Prenez le film de mariage. Il implique des événements et un contexte. On sait qu’il y a des convives, que ça se passe en partie dans une salle de réception, qu’il y aura le moment où ça danse, le moment où les mariés échangent leurs voeux, etc. Mais… Ça peut être très chiant. Je veux dire, sans rajouter un peu de conflit là-dedans, ou de danger, ou quoi. Du coup, ce n’est pas un genre qui confère une dynamique de narration.

Pareil pour le huis clos. Vous enfermez des gens dans une pièce, vous avez un huis clos, youpi ! Et après ? Il ne suffit pas de faire parler les personnages pour avoir une histoire. Il faut en faire quelque chose, de votre huis clos.

C’est pourquoi j’ai une affection particulière pour les dynamiques de récit, qui en leur sein contiennent les ingrédients essentiels pour générer une histoire prenante : à minima du conflit, si possible un objectif pour les personnages, et parfois même un enjeu en prime. Conflit/but/enjeu, l’éternel trio gagnant.

On trouve par exemple la dynamique dite du « poisson hors de l’eau ». Elle consiste à prendre un personnage, à le sortir de son contexte confortable, et à la plonger dans un contexte qui lui est totalement étranger. Le premier film Thor, voit Chris Hemsworth débarquer sur Terre, et devoir s’acclimater de sa condition humaine. Dans Intouchables, Omar Sy doit s’acclimater au monde de la bourgeoisie parisienne, avec ses principes, et parfois son goût pour les opéra de 4h en allemand. Dans Les Visiteurs, nos chers personnages du Moyen Âge doivent apprendre à se comporter correctement dans la société moderne. Et enfin dans Last Action Hero — oui, il fallait bien que je parle du film à un moment donné — quand Jack et Danny retournent dans le monde réel pour y arrêter le méchant Benedict, Jack est totalement désemparé. Ici, quand il tombe il se fait mal, et que s’il a un accident de voiture il peut mourir. Le pauvre Jack doit tout réapprendre. En revanche, la première partie du film, où le jeune Danny pénètre le monde des films d’action, ne relève pas tellement de la dynamique du poisson hors de l’eau, puisque le gamin connait parfaitement les codes des séries B, donc n’est pas spécialement perdu une fois projeté à l’intérieur, n’a pas à s’acclimater.

Bref, la technique du poisson hors de l’eau contient à elle seule un personnage et du conflit, voilà pourquoi c’est un genre que je qualifierais d’auto-porteur : mettre un personnage dans une situation qui lui est contre-intuitive suffit à créer plein de scènes drôles, ou dramatiques, ou simplement intéressantes.

Toujours dans son manuel Save the Cat, Blake Snyder développe ainsi une dizaine de genres identifiables de récit, reposant sur des situations.

Premier exemple : le « out of bottle ». Dans ces histoires, un personnage rêve profondément d’une certaine chose, ou en a particulièrement besoin, et cela lui arrive par magie, ou suite à un sort. Il s’agit d’une dynamique assez proche de celle du poisson hors de l’eau. Dans Yes Man, Jim Carrey ne peut soudainement plus dire non aux propositions et aux demandes qu’on lui formule, tandis que sa vie était au point mort. On retrouve ce procédé dans plusieurs autres films avec cet acteur, comme par exemple Menteur Menteur — il ne peut plus mentir — ou Bruce tout puissant — il a les mêmes pouvoirs que dieux. Dans Du Jour au Lendemain, le loser incarné par Benoit Poelvoorde a soudainement tout qui lui réussit. Enfin dans Last Action Hero, le petit Danny qui fuit la réalité et sèche les cours en enchainant les films d’action au cinéma, se retrouve par magie projeté dans l’un de ces films d’action. Ce type de dynamique permet de confronter un personnage à la réalité de ce qu’il désire. Serait-il vraiment plus heureux ? Est-ce vraiment ce dont il a besoin ?

Deuxième exemple : le buddy movie. Dans ces films, deux personnages aux antipodes sont forcés à collaborer. Une journée en Enfer, Hot Fuzz, Men in Black ou encore Sherlock Holmes reposent sur ce procédé. Dans Last Action Hero, le commissaire impose à Jack de collaborer avec le jeune Danny, car ce pré-ado semble très bien renseigné sur les méchants — et pour cause, il a vu la première partie du film dans lequel il se trouve, quand il était au cinéma. Ainsi, Jack doit se coltiner Danny et toutes ses remarques sur le fait qu’ils sont dans un film, alors qu’il est excédé par l’étrange omniscience du gamin. La dynamique du buddy promet non seulement du conflit, mais aussi de l’enjeu. En effet, le plus souvent, les personnages sont contraints à collaborer, impliquant qu’une punition peut leur tomber dessus s’ils n’arrivent pas à s’entendre. En outre, beaucoup de films romantiques relèvent également d’une dynamique de buddy ; dans ce cas, les amoureux n’ont rien en commun, mais sont obligés de changer ou de prendre sur eux.

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Troisième exemple de dynamique selon Snyder : le rite de passage. Dans cette situation, le protagoniste est simplement confronté à une transition de vie, que ce soit le passage à l’âge adulte, à la puberté, à la vieillesse, le premier amour, le premier deuil, le premier emploi, le premier enfant, etc. Le Premier Jour du Reste de ta vie — que j’ai analysé le mois dernier dans le podcast — présente une somme de rites de passages. Lady Bird, Youth et American Beauty reposent également sur ce type de récit. Sur le plan symbolique, à la fin de Last Action Hero, le jeune Danny doit faire le deuil de son enfance, en laissant Jack Slater retourner dans la fiction tandis que lui doit retourner dans le vrai monde. Le passage à l’adolescence — évoqué d’ailleurs par Jack quand il le prévient qu’il va avoir des poils au menton, de l’acnée et des éjaculations précoces — marque pour le pré-ado Danny un rite de passage.

Il y a également la dynamique du « qui a fait ça », autrement dit la dynamique de l’enquête — à l’oeuvre dans la plupart des séries policières, et que nous avons largement détaillée dans l’épisode de Comment c’est raconté dédié à Old Boy. Dans cette situation, le spectateur cherche aux côtés des protagonistes qui a tué et pourquoi. Dans Last Action Hero, Jack et Danny enquêtent brièvement en voiture sur les méfaits d’un parrain de la mafia, notamment sur un coup qu’il prépare, à savoir faire exploser un cadavre pour tuer un cartel adverse. C’est une dynamique d’enquête, si brève soit-elle.

Enfin, cinquième exemple et je m’arrête là, Snyder évoque la dynamique de la quête. Ici, un personnage voyage et affronte vents et marrées avec en tête d’obtenir un objet en particulier, et sera ainsi régulièrement mis face à lui-même. La plupart des films d’aventure et road movies reposent évidemment sur cette situation, mais on la retrouve notamment dans Astérix et le Secret de la Potion Magique — où nos chers gaulois parcourent le territoire en quête d’un successeur pour Panoramix — Mission Impossible 3 — où Ethan Hunt doit retrouver la fameuse « patte de lapin » — ou encore The Rover — où Guy Pearce cherche à récupérer la bagnole qu’on lui a volée. Dans la deuxième partie de Last Action Hero, Danny et Jack partent en quête du ticket magique, afin d’empêcher Benedict de faire n’importe quoi avec.

Voilà pour les situations repérées par Snyder mais, vous vous en doutez, il en existe tellement d’autres… Quand Jack doit sauver son fils dans le prologue du film, ou Danny dans le dernier acte, ou l’acteur Arnold Schwarzenegger, on assiste à un film de rescousse.

Quand il traque Bénédict et lui en veut pour s’en être pris à sa fille, Jack est animé par une dynamique de vengeance.

Dans son livre Les 36 situation dramatiques, le français Georges Polti s’est d’ailleurs essayé, à la fin du XIXe siècle, à justement énumérer la totalité des situations dramatiques types que l’on peut retrouver à l’oeuvre dans un récit, pour le coup bien plus élémentaires que celles proposées par Snyder. On retrouve par exemple le sacrifice, la folie, l’inceste, l’amour pour l’ennemi, l’erreur judicière, la rivalité ou encore l’ambition aveugle. Il en a donc dénombré 36 ; je ne suis pas sûr que la liste soit si exhaustive ou universelle que ça, n’empêche qu’elle nous offre déjà un beau tour d’horizon du champ des possibles.

Dans Last Action Hero, on retrouve par exemple une dynamique de haine, où le premier méchant qu’affronte Jack Slater est ramené dans la réalité par Benedict pour affronter une seconde fois Jack. Ici, le méchant voue une haine profonde pour Jack, son ennemi juré.

Ce qui m’intéresse avec ces genres particuliers de récits, est qu’ils ne servent que dans la profession, ou à la rigueur entre cinéphiles passionnés. On présente rarement à ses proches une oeuvre comme un « poisson hors de l’eau », ou un film « de quête », ou un film de « Rite de Passage. » Là encore, on va plutôt parler de comédie, d’action, de fantastique, etc. Autant, un genre défini par une situation offre une histoire presque clés en main, qui fonctionne toute seule et par elle-même, donc un outil précieux pour les scénaristes égarés, autant le spectateur se questionne plutôt sur le contexte d’un film ou sur son style ou son ton quand il parcourt son catalogue Netflix.

REGISTRE VS. (SOUS-)GENRE VS. DYNAMIQUE

D’ailleurs, pour revenir au genre d’une manière plus générale, je pense qu’il est possible d’établir tout de même une certaine forme de hiérarchie.

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Par exemple, Yves Lavandier remarque à juste titre dans son livre Evaluer un Scénario, que la comédie est plus qu’un genre. En effet, il s’agit d’un traitement, d’un registre, au même titre que le traitement sérieux ; on les a longuement développés dans l’épisode du podcast consacré à Good Bye Lenin.

Que le terme comédie, ou drame, ou comédie dramatique, soit cité parmi les genres sur les pages Wikipedia ou IMDb ou Allociné est une erreur, car chacun des nombreux genres de films peut revêtir un masque comique ou un masque sérieux.

De même certains sous-genres descendent clairement d’un certains genre. Le film gore et le film d’épouvante sont par exemple les deux principaux sous-genres du film d’horreur, de même que le western spaghetti est un sous-genre du western. Puis le film d’épouvante peut se décliner à nouveau par exemple en film de fantômes. Mais là encore, on le rappelle, tous les genres ne répondent pas à cette organisation. Un film dans l’espace peut être un sous-genre du film de science-fiction, comme un film parfaitement réel, donc juste un film dans l’espace. Autrement dit, un genre peut hériter d’un autre dans certains films, et s’en détacher dans d’autres, donc la quête de la hiérarchie, de mettre de l’ordre, n’a pas toujours lieu d’être. Cette fois, je vais devoir me contenter du chaos.

Mais en gros, on peut dire qu’à la base il y a un registre, qui s’applique ensuite à un ou plusieurs genres et sous-genres, et qui repose par ailleurs sur des dynamiques de récits, autrement dit des situations identifiables.

Last Action Hero opte pour le registre comique, présente les genres policier, aventure, action et fantastique, et cumule les dynamiques de rite de passage, de poisson hors de l’eau, de sauvetage, de vengeance, de quête, de out of bottle, de buddy movie ou encore de haine — et j’en passe.

LE GENRE, UNE FACILITÉ ?

J’aimerais aborder un dernier point : celui du caractère réducteur, du genre. Parfois, les critiques de cinéma ont pu voir les films dits “de genre » comme des récits paresseux qui tirent sur de grosses ficelles pour amadouer facilement l’audience.

En effet, pour rappel, le genre rassure en deux secondes le spectateur. Il est identifiable au moindre élément marketing durant la sortie d’une oeuvre, et les auteurs sont d’ailleurs vite catégorisés comme auteurs de comédie ou d’horreur ou de drames sociaux. De nos jours, les plateformes se réjouissent de pouvoir catégoriser ainsi les oeuvres de leur catalogue dans des sections thématisées, pensées en fonction des gouts de leur public. « Ah, vous aimez les romances ? En voici plein d’autres ! ». Oui, le genre contribue à nous permettre de compartimenter les choses comme on aime trop souvent le faire, à différencier, définir, catégoriser, et dissocier, c’est entre autres un moyen de mettre de l’ordre. Un genre, c’est une étiquette.

Et bien permettez-moi de revenir sur cette idée. Il ne s’agit pas forcément d’un outil de paresse. Le genre, c’est la forme. Et forcément, dans un domaine réputé artistique tel que le cinéma, la forme on s’en méfie, on préfère le fond.

Ainsi, le genre, c’est la façon dont on raconte, il sert le propos, il sert le sujet. Je ferais une analogie avec les tuyaux : il y en a de formes, de matières et de tailles différentes suivant le contenu qui y transite. Et bien le genre c’est pareil. Dans un épisode de Secrets de Scénaristes, l’auteur Quoc Dang Tran remarque par exemple que les récits de science fiction sont propices à traiter de sujets philosophiques et politiques, là ou le fantastique est plutôt propice à traiter ce qui relève de l’intime — en l’occurence dans Last Action Hero, l’aboutissement de l’enfance. Alors oui, parfois les scénaristes ne choisissent pas le bon genre. Parfois aussi, ils en font des caisses sur les codes du genre mais ne les réinventent pas ni ne les exploitent pour servir le fond de leur histoire. Mais n’oublions pas que les genres demeurent un formidable outil artistique, un moyen d’incarner, par la forme, les sujets et les émotions qui n’ont alors plus besoin d’être formulés littéralement. Et c’est peut-être ça, la définition du genre, finalement, s’il en faut une : la forme choisie pour raconter une histoire.

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Fondu au noir pour ce 44ème numéro de “Comment c’est raconté ?”, merci pour votre écoute, j’espère qu’il vous a intéressé !

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