Analyse du scénario de Zootopie : une structure béton

Baptiste Rambaud
Comment c’est raconté ?
28 min readDec 16, 2018

CINÉMA — Analysons le scénario du film Zootopie (2016) : comment sa structure narrative est-elle construite ?

Est-il possible de trop structurer un récit, ou de le structurer trop comme tout le monde ?

Info : Cet article retranscrit un épisode du podcast “Comment c’est raconté ?”, disponible sur Youtube, Apple Podcasts, Soundcloud, Spotify et services de podcast par RSS.

Salut ! Et bienvenue dans ce 27ème numéro de “Comment c’est raconté ?”, le podcast qui déconstruit les scénarios un dimanche sur deux. Aujourd’hui, cap sur le monde merveilleux de Zootopie — dont je préfère le titre original Zootopia, une utopie zoologique, ça a quand même plus de sens — film d’animation américain sorti en février 2016 au cinéma. À la réalisation : Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush ; au scénario : ces trois-là plus Jim Reardon, Josie Trinidad, Phil Johnston et Jennifer Lee. Ce sera l’occasion pour nous d’explorer l’outil préféré des scénaristes égarés, j’ai nommé : les conventions de structure dramatique d’une histoire.

Zootopia est une ville qui ne ressemble à aucune autre : seuls les animaux y habitent ! Dans cette incroyable métropole, chaque espèce animale cohabite avec les autres. Qu’on soit un immense éléphant ou une minuscule souris, tout le monde a sa place à Zootopia !

Lorsque Judy Hopps fait son entrée dans la police, elle découvre qu’il est bien difficile de s’imposer chez les gros durs en uniforme, surtout quand on est une adorable lapine. Bien décidée à faire ses preuves, Judy s’attaque à une épineuse affaire, même si cela l’oblige à faire équipe avec Nick Wilde, un renard à la langue bien pendue et véritable virtuose de l’arnaque….

Exceptionnellement, cet épisode sera très long, et très linéaire, je vous invite à faire des pauses, par ailleurs et comme toujours, attention spoilers.

La structure. Probablement la plus vaste des notions que je puisse aborder, celle que bien des dramaturges ont exploré en long, en large et en travers, voilà pourquoi j’ai mis du temps à me décider à l’aborder.

STRUCTURE LOGISTIQUE VS. STRUCTURE DRAMATIQUE

Ici, nous ne parlerons pas de structure logistique, mais de structure dramatique. La structure logistique, nous en parlions dans l’épisode du podcast dédié au film Saint Amour : il s’agit du découpage cartésien d’une histoire en actes, en séquences, en scènes et enfin en temps forts, bref en unités assez neutres, finalement.

La structure dramatique, quant à elle, comprend les différentes étapes signifiantes contenues dans histoire. Au collège, on m’avait expliqué qu’une histoire se déroulait en cinq temps : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, dénouement et situation finale. On peut ici parler de structure dramatique.

Situation initiale : la jeune lapine Judy Hobbs veut devenir flic. Élément perturbateur : elle prend son service à Zootopia, mais n’est pas respectée ni reconnue. Péripéties : elle mène malgré tout une enquête très importante sur la disparition mystérieuse de plusieurs citoyens. Dénouement : elle lève le voile sur un vaste complot et résout l’enquête. Situation finale : la voilà enfin reconnue comme une policière légitime.

Ainsi peut-on résumer la structure dramatique de Zootopia en ces cinq étapes primaires. Remarquons que cette construction dramatique diffère également de celle logistique par la durée inégale des étapes. Là où la situation initiale et l’élément perturbateur durent environ quinze minutes à eux deux, les péripéties durent facilement une heure. Une étape de structure dramatique peut ainsi constituer un instant, une action, tout comme constituer plusieurs séquences. Pour la suite de cette analyse, je me contenterai parfois du mot « structure » pour parler de structure dramatique.

PRÉAMBULE

Bien. Mais comment construire quatre-vingt-dix minutes d’histoire, avec cinq malheureuses étapes, sans sombrer dans la redondance ou dans le remplissage ? Ainsi, plusieurs théoriciens ont analysé le déroulé des histoires populaires, pour en tirer des étapes signifiantes et universelles supplémentaires.

Il y a Christopher Vogler, qui détaille dans son Guide du Scénariste une structure en douze étapes, héritée du travail de Joseph Campbell. Il y a le regretté Blake Snyder, qui déploie dans Save the Cat une structure en quinze étapes, via sa fameuse « Blake Snyder’s Beat Sheet » — le document des temps fort par Blake Snyder. Il y a John Truby qui propose dans son Anatomie du Scénario une structure en vingt-deux étapes. Voilà pour les trois constructions les plus célèbres. Mais il y a aussi par exemple K.M. Weiland, qui présente dans Creating Character Arcs une structure en 14 étapes archi-détaillées, aux nombreuses sous-étapes. Ou encore le russe Vladimir Propp qui évoque dans sa Morphologie du conte une structure en plus de trente étapes. Ou enfin, Michael Arndt, qui dans sa vidéo Beginnings compte avec beaucoup de pertinence huit étapes pouvant constituer le simple premier acte d’une histoire.

Alors. À la manière de l’épisode du podcast dédié au film Moon, où je parcourais chronologiquement l’histoire afin d’en analyser le recours aux archétypes, je vais ici parcourir chronologiquement le film Zootopia afin d’en déconstruire la structure, et ceci sous le prisme des six références que je viens de vous citer.

Du coup je préfère vous avertir : nous ne traiterons pas chaque étape de chacun de ces six paradigmes, bien que certaines se recoupent d’une construction à l’autre. Déjà parce que cela prendrait encore plus de temps, et puis surtout parce que je trouve très limitant et donc dommage, que de cloisonner ces paradigmes les uns des autres, en analysant une histoire sous le prisme exclusif d’un seul d’entre eux ; tandis qu’ils ont tellement à apporter les uns aux autres, à se nuancer comme à s’enrichir. En revanche ce que je vous garantis, c’est qu’on traitera bien plus que les cinq étapes essentielles de la structure dramatique ; et d’ailleurs c’est parti.

© The Walt Disney Company France

LE PREMIER ACTE DE ZOOTOPIE

Le film s’ouvre sur une pièce de théâtre jouée par des enfants animaux devant leurs parents et leurs camarades, racontant comment la situation animale a évolué : pendant longtemps, il y a eu les prédateurs et les proies, mais de nos jours c’est fini, tous les animaux sont en harmonie, on ne se chasse ni ne mange plus les uns les autres. Voilà donc la situation initiale. Ainsi, expliquent les enfants parmi lesquelles la jeune lapine Judy, n’importe quel animal peut devenir ce qu’il veut, comme par exemple inspecteur des impôts, et n’est plus cantonné à sa nature ancestrale.

Nous assistons alors à une première étape dramatique de Zootopia évoquée par Arndt : montrer la grande passion du héros. Judy, sur scène, clame haut et fort qu’elle veut devenir policière plus tard, et ainsi aider son prochain. L’auditoire se moque un peu d’elle, vu qu’à ce jour aucun lapin n’est entré dans les forces de police, mais peu importe, Judy est convaincue de sa vocation. Ce n’est pas signifiant en soi de présenter la grande passion d’un héros, mais patientez un instant cela va le devenir. Dans Toy Story, par exemple, la grande passion de Woody est d’être utilisé comme jouet préféré par son propriétaire Andy. Evidemment, tous les héros ne présentent pas forcément de passion.

À la sortie de la pièce de théâtre, Judy sautille déguisée en policière, aux côtés de ses parents. Dans la structure d’une histoire, Weiland analyse ce moment comme celui où le héros se contente, où il prend son monde pour acquis. En l’occurence, Judy est persuadée que rien ni personne ne l’empêchera de devenir flic. Le plus souvent, cette étape de l’histoire montre un personnage un peu misérable qui se contente de sa vie nulle, je pense par exemple à l’introduction du personnage de Shaun dans Shaun of the Dead, qui apprécie son petit quotidien routinier, avant la propagation du virus des zombies, mais avec Zootopia, c’est dans une utopie, que la jeune lapine se complait, utopie vécue comme une réalité acquise.

À ce moment là, les parents de Judy lui font comprendre avec bienveillance qu’il vaut mieux éviter ce type de vocation, quand on est un lapin. Ils ont peur pour elle, peur qu’elle se blesse, toute chétive qu’elle est. Si l’enfant Judy veut aider son prochain, elle peut tout aussi bien devenir planteuse de carottes, à l’image de ses congénères. Cette fois, nous faisons face à une étape évoquée par Propp, celle de l’interdiction signifiée au héros. Alors non, en effet, Judy ne soit voit rien interdire, mais il lui est tout de même largement déconseillé par ses parents de suivre sa passion. Dans La La Land, il est demandé au personnage campé par Ryan Gosling de ne pas jouer de jazz dans le restau où il officie comme pianiste. Bien sûr, l’idée de la transgression de l’interdit n’est jamais loin de ce type de situation.

Reprenons le fil de l’histoire. Judy, toujours enfant aux côtés de ses parents, remarque un renard de son âge sur le point de s’en prendre à un gentil petit agneau tout innocent. Cette fois, démarre à mes yeux la scène la plus dense du film, sur le plan de la structure. Tout d’abord, cela constitue l’étape du catalyseur, comme la formule Snyder, ou de l’appel à l’aventure, comme la formule Vogler, bref, ce moment où l’histoire ouvre ses portes et tend ses bras au héros. Judy rêve de devenir policière ? Voila une occasion pour elle de réaliser sa première bonne action, sa première protection d’un concitoyen. Cette étape compte parmi les plus répandues, on la retrouve par exemple au moment où Ipkiss croit sauver un homme de la noyade en pleine nuit dans The Mask, mais qu’il tombe en fait sur un simple masque vert, masque qui lui offrira toutes les péripéties que vous connaissez.

Judy saute ainsi sur l’occasion et suit Gédéon — c’est le prénom du vilain renard agresseur. Se faisant, elle remplit une étape universelle présentée par Propp, celle où les parents s’éloignent du héros. Enfin, en l’occurence, c’est le héros qui s’éloigne de ses parents ; en pratique cette étape décrit l’instant où le héros n’est plus sous la surveillance de celui ou celle ayant formulé l’interdiction. En allant sauver le petit agneau, Judy se soustrait au regard de ses parents. On retrouve cette étape par exemple dans Le Monde de Nemo, quand Némo s’éloigne des adultes avec ses amis au début du film, livré à lui-même.

Judy se retrouve ainsi face à Gédéon ayant racketté le pauvre agneau, elle le somme de rendre l’argent. Ce moment constitue ce que Propp appelle simplement la transgression de l’interdit, où le personnage s’affranchit de l’interdit qu’on lui a formulé. En l’occurence, Judy n’écoute pas l’appel de ses parents à ne pas faire de vague, à ne pas intervenir dans les conflits, à se tenir à l’écart du banditisme. Je pense par exemple au film Looper, où le tueur à gages Joseph Gordon Levitt est censé neutraliser les personnes venues du futur apparaissant devant lui, mais qu’il ne le fait pas lorsque Bruce Willis apparait devant lui, ainsi transgresse-t-il un interdit.

Judy entre donc en conflit avec Gédéon, qui la défie de venir chercher la thune elle-même. Malheureusement, il la maîtrise, l’humilie et la griffe au visage. Vous vous rappelez de la grande passion dont parlait Ardnt ? Ici, intervient l’étape où une faiblesse émerge de la grande passion du héros : Judy est tellement passionnée par la garantie de l’ordre public, qu’elle en oublie qu’elle se met en danger, et donc qu’elle agit sans prendre de précautions. Dans les Indestructibles par exemple, le héros est initialement tellement fier et content de son métier, que l’orgueil le pousse à refuser la collaboration avec un jeune enfant. La faiblesse émerge ainsi d’une passion poussée à l’extrême.

Une fois à terre et blessée, Judy entend Gédéon lui demander de se souvenir de cet instant, à chaque fois qu’elle réfléchira à devenir autre chose qu’une planteuse de carottes. Cette injonction répond à l’étape d’établissement du thème, évoquée par Snyder : un personnage donne son avis sur un sujet, et le film explorera ensuite cet avis, pour lui donner tord ou raison. Ici, le thème établi questionne donc la possibilité de choisir une voie que la norme nous refuse. Pour ce temps fort, me vient à l’esprit Spider-Man, où l’oncle de l’homme-araignée le prévient qu’un grand pouvoir implique de grande responsabilités. En effet, cette saga tourne particulièrement autour de la question de la responsabilité d’être un super-héros.

Gédéon laisse ensuite Judy à terre et repart fièrement. Sauf… que pendant l’altercation, Judy a réussi à reprendre l’argent subrepticement, qu’elle rend alors au petit agneau. La lapine se relève, fière, absolument pas atteinte dans ses convictions : « abandonner, je ne sais pas ce que ça veut dire », déclame-t-elle. Ainsi pouvons-nous déceler le passage à l’acte 2 selon Snyder, le choix déraisonnable selon Ardnt, le passage du premier seuil selon Vogler, bref cet instant du récit où l’on bascule dans les fameuses péripéties.

Petite pause. Voyez comme, en une simple scène de moins de deux minutes, nous avons parcouru pas moins de six étapes de la structure dramatique. Le premier acte (surtout) et le troisième acte (un peu), sont les deux parties les plus développées, en terme de construction narrative, dans la plupart des paradigmes, alors que, paradoxalement, ils ne représentent même pas la moitié de la durée du film à eux deux. Ce n’est pas pour rien que le deuxième acte d’un film, celui des péripéties, s’avère souvent bien mou et bien ennuyant. En effet, une fois la dramaturgie installée, difficile de faire autre chose que de l’exploiter, donc difficile de varier les étapes structurantes de l’histoire. Fin de la parenthèse, reprenons notre souffle, acte deux nous voilà.

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LE DEUXIÈME ACTE DE ZOOTOPIE — PARTIE 1/2

Ellipse de quinze ans : la jeune adulte Judy étudie désormais à l’école de police. Elle est encore moquée et n’est toujours pas démotivée, finissant même par vaincre un rhinocéros sur un ring de boxe. Le maire de Zootopia, un lion, félicite la lapine pour son brillant parcours, puisqu’elle est tout simplement major de promo, il la déclare fièrement première lapine policière de l’histoire de la ville.

Avant que Judy ne s’y installe, la voilà sur le quai d’une gare, dans sa ville natale, à dire au revoir à ses parents. Cet instant rappelle fortement l’étape de rencontre avec le mentor, formulée par Vogler. En général, il intervient plus tôt, dans l’acte un, quand le héros hésite à partir à l’aventure et qu’il a besoin qu’on le motive, qu’on l’encourage, comme dans Matrix, lorsque Morpheus explique à Néo les trente-six raisons pour lesquelles il devrait s’extraire de la matrice, avant qu’il ne choisisse entre la pilule bleue et la pilule rouge. Mais dans une histoire où la protagoniste a déjà toute la motivation nécessaire, la rencontre avec le mentor ne garde que la caractéristique suivante : celle de préparer l’héroïne à l’aventure, de lui fournir les équipements nécessaires. C’est ainsi que les parents de Judy, tout paranos et protecteurs qu’ils sont, lui confient un répulsif à renard, au cas où elle ferait de mauvaises rencontres.

La policière monte dans le train, et en route vers Zootopia ! Cet instant de transition souligné par Vogler dans l’étape de passage du seuil, ou du fait de quitter la maison, souligné par propp, a son importance et son intérêt aussi. Judy observe, depuis la fenêtre du train, les paysages défiler : des montagnes, des lacs, de la pluie, de la neige, pour enfin arriver en gare de la ville de Zootopia. Elle s’installe alors dans un sinistre et minuscule appartement, aux voisins et à la concierge tout aussi sinistres. Cette transition marque une première épreuve, une confirmation que le choix a été fait, que le nouveau monde dans lequel le protagoniste s’aventure ne ressemble plus à l’ancien, donc est régi par ses propres règles, où il faudra tout réapprendre. Comme transition marquante récente, je pense par exemple au départ en voiture de Chris et Rose, dans Get Out, pour la maison parentale de cette dernière. Sur la route, les voilà pris à partie par un flic pour le moins raciste, présageant la typologie de personnages que Chris, noir, s’apprête à rencontrer chez ses beaux parents.

Le réveil de Judy sonne : c’est l’heure d’entamer sa première journée de travail ! Elle se rend au poste de police, le félin de l’accueil lui présente la salle de réunion où elle et les autres agents sont attendus. Ainsi démarre une première et vaste phase de l’acte deux, présentée par Weiland, où la protagoniste est réactive et non active. En effet, quand le héros pénètre le nouveau monde, il se contente dans un premier temps de suivre le mouvement, afin de le comprendre et de pouvoir s’y impliquer clairement. Ici, Judy essaye en vain de sympathiser avec ses collègues, chacun d’eux s’avère distant, puis elle se voit affublée de l’ingrate tâche qu’est celle de distribuer des contraventions, alors que ses collègues partent enquêter sur des disparitions sérieuses. Si la lapine s’insurge, comme quoi cela ne convient pas au prestige de son parcours, le shérif n’en a que faire, et voilà Judy contrainte de s’acquitter de sa situation. Dans le film Premier Contact, Louise Banks commence par se familier avec les aliens et avec le protocole de l’armée, donc par être réactive, avant de prendre des initiatives et d’orienter les opérations, donc d’être active. Attention de ne pas confondre réactif avec passif. Le personnage ne fait pas rien, c’est juste qu’il réagit au lieu d’agir, c’est différent.

Dans le cadre de cette phase de réaction, nous retrouvons une étape tout aussi vaste présentée par Vogler : celle des tests, des alliés et des ennemis. Fraichement arrivée à Zootopia, Judy commence par se faire un petit ennemi, son shérif, comme nous venons de le voir, qui ne la considère pas à sa juste valeur et ne voulait pas d’elle à la base. Elle se fait aussi des amis, je pense au félin de l’accueil du poste de police, mais aussi et surtout au renard Nick Wild, évoqué dans le synopsis un peu plus tôt, mais on y reviendra. Et puis… Judy affronte aussi une ribambelle de tests, comme le fait de distribuer un maximum de contraventions possible, ou de rattraper une belette ayant cambriolé l’étalage maraîcher d’un cochon, ou encore et surtout de démanteler les magouilles du sournois Nick Wild. Prenons le film Les Émotifs Anonymes, où les deux amoureux campés par Poelvoorde et Carré tentent de s’approcher, de se toucher, de partager des premiers rendez-vous amoureux archi-gênants, emprunts de leur malaise intense. Ces scènes constituent la phase de test de la première moitié du second acte.

Revenons à Nick Wilde, le renard. Sa rencontre avec Judy constitue ce que Snyder appelle la « B story », l’histoire secondaire. En effet, en marge de l’intrigue centrale, souvent au cinéma, le ou la protagoniste entretient et développe une relation amoureuse ou amicale avec un personnage secondaire. Judy commence par aider Nick à offrir une glace pour éléphant à son enfant, puis comprend qu’elle s’est faite entubé par ce dernier qui transforme ensuite la glace pour éléphant en centaines de petites glaces pour hamster qu’il revend. Judy essaye de l’arrêter, mais il a tout prévu car rien dans cette arnaque n’est véritablement illégal à Zootopia, c’est juste immoral. Dans Inception, la relation toxique qu’entretient Di Caprio avec le souvenir de sa défunte femme dans ses rêves amorce l’histoire secondaire du film, sa « B Story » ; secondaire bien qu’intimement liée, tout au long de l’histoire, avec l’intrigue centrale, comme dans Zootopia.

Après avoir interpellé la belette voleuse, Judy se fait recadrer par le shérif, mécontent qu’elle ait foutu le bordel durant la course-poursuite. Au même moment, une malheureuse loutre entre de force dans le bureau du shérif, car son mari a disparu. Judy saisit l’occasion et implore son supérieur de travailler sur ce dossier. À cet instant, elle entre dans sa phase active selon Weiland — ce qui est tôt puisqu’en général cette phase n’intervient qu’après le noeud dramatique centrale intervenant au milieu de l’acte deux — et cela confère à l’héroïne un nouveau but et un nouveau désir, celui de résoudre cette affaire. Cette étape de révélation en cours d’acte deux menant le protagoniste dans une nouvelle direction nous vient pour le coup de Truby, on la retrouve dans des films comme Grave, lorsque Justine apprend que sa soeur est cannibale.

Le shérif refuse à Judy cette enquête, il veut même la virer et lui retirer sa plaque, mais à ce moment-là l’adjointe au maire, une brebis influente et à priori sympathique, s’extasie qu’une jeune lapine puisse investiguer au sein de la police sur une telle affaire, ce serait un sacré progrès social. Cette rencontre constitue ce que Truby appelle l’ « ennemi faux-ami », un personnage à priori sympa mais qui plus tard trahira l’héroïne — puisque rappelons-le cette brebis nommée Bellwether est la grande méchante de l’histoire, nous le découvrirons à la fin. Et… à partir de maintenant je vais cesser de mettre les étapes de la structure en perspective avec d’autres films, afin de ne pas vous les spoiler.

Le shérif cède : il accorde quarante-huit heures à Judy pour retrouver le mari disparu de la loutre. Dans le dossier, figure pour seul indice : une photo où la victime a été aperçue la dernière fois. Sur la photo : une mini-glace, menant la lapine à se tourner vers le renard Nick — qui vend ces fameuses glaces contrefaites — afin de retrouver la trace du mustelidé. Judy entourloupe son acolyte, afin qu’il n’ait d’autre choix que de l’aider dans sa quête, et les voilà partis sur la piste du disparu. Ce passage de l’histoire amorce l’étape du plan, selon Truby, étape où les protagonistes établissent leur mode opératoire.

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Puis démarre le segment le plus ludique d’un récit, celui du « fun & games » selon Snyder, autrement dit de l’amusant et des jeux. En effet, durant la première moitié de l’acte deux d’un film, bien souvent, le protagoniste s’éclate dans le nouveau monde qu’il parcourt, tant qu’il n’est pas trop inquiété par les antagonistes. Dans Zootopia, par exemple, Judy mène son enquête avec Nick dans un centre de yoga naturiste complètement perché tenu par un lama baba cool, ou encore au département des véhicules dont les employés sont des paresseux avec deux de tension, ou encore sur un parking qu’ils infiltrent par effraction.

Mais trêve de plaisanteries, place à « l’approche du coeur de la caverne », nous prévient Vogler, cette étape de l’histoire où le ciel s’assombrit, où les enjeux commencent à augmenter, où les complications se succèdent, je fais bien sûr référence à cette séquence où Nick et Judy sont séquestrés par un marsupial parrain de la mafia, qui les a surpris en train de fouiller dans sa limousine, dans l’habitacle de laquelle se trouvait des traces de griffes et les papiers de la loutre disparue. Heureusement, comme Judy avait sauvé la fille de ce parrain un peu plus tôt, les voilà libres elle et son compère, carrément invités à fêter le mariage de la jeune marsupiale, pour revenir quelques instants dans du « fun & games ».

L’enquête se poursuit ensuite chez une panthère recluse dans la jungle, identifiée comme le chauffeur de la limousine qui transportait la loutre disparue. Ce témoin, à priori terrorisé, demeure caché derrière sa porte d’entrée, trop méfiant pour ouvrir à la lapine et au renard. Soudain, au moment où elle se décide enfin à ouvrir, la panthère entre dans une rage, dans une folie meurtrière terrible, plongeant le récit dans l’étape « d’épreuve suprême », selon Vogler, celle où les protagonistes pénètrent symboliquement le coeur de la caverne, ici incarné par cette folie impitoyable ayant pris possession de la bête, faisant encourir aux deux protagonistes un péril intense, et les mettant sur la piste d’un complot bien plus important que prévu.

Heureusement, Nick et Judy s’en sortent sains et saufs. Le shérif débarque à ce moment-là, suite à leur appel à l’aide, ils le mènent à la panthère qu’ils ont réussi à capturer, mais… cette dernière a disparu ! Grosse déception pour la lapine, congédiée sur le champ par son supérieur. Heureusement, Nick intervient, prend la défense de Judy, rappelant qu’elle n’a ni équipe ni matériel, que l’enquête est d’une envergure démesurée, et que surtout il lui reste dix heures pour résoudre cette affaire, puisqu’elle en avait quarante huit à la base. Les deux compères se remettent ainsi en quête de la loutre disparue. Cet instant à priori anodin où le renard défend la lapine, constitue en fait le point central de l’acte deux comme de l’histoire en général, le « Midpoint » nous disent Weiland ou Snyder, ce point de non-retour où l’histoire prend une nouvelle direction radicale. En l’occurence, le renard Nick ne soutenait jusqu’ici Judy que malgré lui, sous la contrainte et la menace. Il passait son temps à la moquer, à multiplier les remarques cyniques, ne la prenant pas plus au sérieux que le reste des personnages. Mais là, au bout de quarante cinq minutes de film, il la défend, la considère, et dorénavant, Nick sera tout aussi moteur qu’elle, il la soutiendra dans sa tâche. Cette évolution de dynamique dans leur relation donne un souffle nouveau au récit, sur le chemin de la seconde partie du deuxième acte.

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LE DEUXIÈME ACTE DE ZOOTOPIE — PARTIE 2/2

L’étape qui suit le plus souvent le midpoint est celle de la « récompense » dixit Vogler, de la « réception de l’objet magique » dixit Propp. Fort d’avoir survécu à l’épreuve suprême et d’avoir insufflé une nouvelle direction au récit, le protagoniste obtient un élément précieux, qui lui facilitera la suite des réjouissances. Dans Zootopia, Judy gagne une intimité et une vraie complicité avec Nick, puisque ce dernier se dévoile enfin à elle, et lui raconte un traumatisme d’enfance ayant façonné sa vision de la société : il a été moqué et humilié étant petit par des ex-proies qui n’avaient pas confiance en les ex-prédateurs. Depuis, le pauvre renard se sent limité à sa condition d’animal prétendu dangereux et infréquentable.

Grâce à cette intimité, Judy et son acolyte entrent dans une phase du récit décrite par Weiland, où ils seront plus efficaces. En effet, les voilà rapidement sur la piste de la voiture ayant subtilisé la panthère enragée, laquelle voiture les mènera à un étrange domaine gardé par des loups. Judy et Nick font diversion pour parvenir à pénétrer la bâtisse, où il espèrent retrouver la panthère enragée, et pourquoi pas la loutre disparue aussi.

Une fois à l’intérieur, les deux compères constatent des décors cauchemardesques : un laboratoire d’expérimentation, et surtout une prison où résident les quatorze animaux disparus, tous enragés et fous. Cet instant de l’histoire où les choses deviennent vraiment sérieuses est qualifié par Snyder de « bad guys close in », les méchants se rapprochent, quoi.

Voilà que le maire de Zootopia, le lion, entre et parle avec un scientifique. Le maire s’énerve, de ne toujours pas savoir de quoi ces prédateurs sont atteints. Car si on ne le trouve pas et que le grand public voit ces créatures enragés, alors lui — qui est un lion — et tous les prédateurs de Zootopia deviendront méfiés, comme il y a bien longtemps. Truby qualifierait cette étape de « deuxième révélation, course obsessionnelle, désir et motivation changés ». En fait, entre les différents noeuds dramatiques que sont le passage à l’acte deux, le midpoint ou encore le passage à l’acte trois, figurent des révélations de moindre effet pour le protagoniste qui lui permettent de rebondir dans l’intrigue, comme celle dont je parlais tout à l’heure où la femme loutre déclarait avoir perdu son mari. Cette fois, coup de théâtre, il semblerait non seulement que les quatorze disparitions soient liées, mais qu’en plus le maire de Zootopia trempe dans cette affaire.

Voilà pourquoi, à leur sortie, Nick et Judy, qui avaient filmé discrètement la scène, appellent le shérif et lui fournissent ces informations. Le lion est ainsi arrêté, et cette affaire gagne l’opinion public via les médias. Nous voilà donc de plus en plus proches de la fin du deuxième acte, et l’ensemble des étapes suivantes vont de nouveau se dérouler en l’espace de quelques minutes de film.

D’abord, la lapine tend un contrat à son ami renard Nick, fière de leur collaboration, l’invitant à rejoindre les forces de police. Il ne sait pas, il hésite. De son côté, elle est convié par le shérif à s’exprimer devant un panel de journalistes, sur l’affaire qu’elle vient de dévoiler au grand jour. Quand on la questionne sur les origines de la rage des prédateurs retrouvés, Judy émet naïvement l’hypothèse qu’ils soient revenus à leur mode de vie sauvage, qu’ils aient régressé, qu’ils soient redevenus primitifs. Ici, Judy commet l’erreur de « choisir son but et de sacrifier son besoin », théorise Weiland. En effet, le besoin de Judy est de promouvoir un monde ouvert, comme elle le disait en intro, où chacun peut devenir qui il veut, indépendamment de sa race, qu’il soit prédateur ou proie. Tandis que le but de la jeune lapine est de garantir l’ordre public et en l’occurrence de rendre des comptes sur cela. Malheureusement, en tenant de tels suppositions sur l’affaire alors qu’elle ne sait encore rien de l’origine des folies constatées, en essentialisant ainsi les prédateurs devenus fous, en les ramenant à leur prétendue nature, Judy provoque une panique générale, où l’ensemble des prédateurs de la ville se verront méfiés, et donc stigmatisés.

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C’est ainsi que nous retrouvons, juste après, l’étape de Truby intitulée « attaque par un allié », où un allié du héros le ramène à la raison en s’opposant directement à lui. En l’occurrence, Nick, lui-même prédateur, est particulièrement déçu de l’intervention de Judy, qui pourtant croyait bien faire. Pire encore, il informe Judy qu’il a remarqué le répulsif à renard qu’elle garde avec elle, il s’attriste qu’elle ait gardé ses préjugés à l’égard des renards comme des prédateurs en général, et lui rend donc le contrat pour devenir flic, refusant de rejoindre les forces de police. Leur chemin se sépare, Judy en prend un coup, et réalise doucement son erreur.

Du coup, survient cette phase de l’histoire où tout semble perdu nous dit Snyder, où la protagoniste essuie une défaite apparente nous dit Truby : la ville se divise, des manifestations surviennent où sont proférés des propos réducteurs à l’égard des prédateurs, même le félin tout sympa de l’accueil du poste de police quitte ses fonctions, puisque son visage fait désormais peur au reste de la population. Zootopia est on ne peut plus divisée.

C’est alors que Judy, accablée par la situation, effectue sagement le choix inverse de tout à l’heure, selon Weiland : cette fois, elle « choisit son besoin et sacrifie son but. » En effet, la brebis ex-adjointe au maire Bellwether, désormais devenue maire, propose à Judy, suite à sa découverte incroyable, de devenir le visage de la police de Zootopia, une promotion que la jeune lapine aurait à priori rêvé toute sa vie, son but ultime. Mais… dépitée par ce qu’est devenue la ville à cause de ses déclarations, Judy préfère rendre sa plaque, quitter ses fonctions et rejoindre ses parents en ruralité plutôt que de causer plus de tord. Elle privilégie ainsi l’humain au but personnel, à l’inverse de ce qu’elle a fait durant la conférence de presse.

De retour chez elle, Judy expérimente une phase toute aussi déprimante que celle de la défaite apparente, une étape qui en est la suite logique, celle que Snyder appelle la « dark night of the soul », la nuit noire de l’esprit, bref la dépression totale quoi, l’absence absolue de motivation et d’espoir. La lapine aide ses parents sur leurs étalages de carottes, et s’apitoie sur son sort, coupable. Pour lui remonter le moral, ses parents la félicitent de leur avoir ouvert l’esprit, puisqu’ils travaillent désormais avec un renard, alors qu’à une époque il s’en seraient méfiés, mais elle leur à ouvert l’esprit. Plus encore, ce renard s’appelle Gédéon, c’est celui qui, enfant, avait tenu tête à Judy et l’avait défiée de devenir effectivement policière. Force est de constater qu’il est devenu tout gentil, et s’excuse, des années plus tard, auprès de Judy pour son comportement enfant.

Maintenant que l’on a touché le fond, il est temps de prendre une impulsion pour remonter à la surface : ici intervient alors la troisième révélation, selon Truby, celle qui débloque cette situation à priori inextricable, puisque Judy apprend de Gédéon qu’une certaine fleur bleue plantée dans le coin, appelée « hurleur nocturne », rend son consommateur complètement fou s’il en abuse. Voilà peut-être ce qui a causé la folie des prédateurs enlevés par le lion…

Ni une ni deux, Judy taille la route pour Zootopia, où elle commence par tenter de retrouver Nick. Malheureusement, toujours braqué, ce dernier la snobe et n’a que faire de sa découverte. Ainsi Judy amorce-t-elle l’étape douloureuse et nécessaire qu’est celle de la « résurrection », selon Vogler, celle où la protagoniste se purifie, se retrouve face à elle-même, l’instant de catharsis où ses émotions sont purgées. En larmes, Judy formule à Nick un intense et sincère mea culpa sur son comportement, et s’excuse d’avoir été la pire des amies, le plus stupide des lapins.

Le renard l’excuse, la lapine renaît et leur amitié avec, voilà que nos deux acolytes reprennent du service pour élucider cette histoire de hurleurs nocturnes. Nous entrons donc dans l’acte trois, passage établi par à peu près tous les dramaturges, dont Weiland et Snyder par exemple. En retrouvant la belette voleuse du début du film, Judy et Nick remontent à une planque souterraine, dans une rame de métro désaffectée, où serait exploitée la fameuse fleur problématique.

© The Walt Disney Company France

LE TROISIÈME ACTE DE ZOOTOPIE

Ici, les protagonistes vivent une 4ème révélation, poke Truby, où ils découvrent qu’un sérum ultra-concentré est extrait de ces fleurs, transformé en billes alors armées dans un sniper par un tueur à gage. Le renard et la lapine comprennent ainsi que les prédateurs devenus fous et sauvages, l’ont été par l’injection à distance de cette substance par des individus malveillants.

Les deux compères profitent que le tueur à gage sorte un moment, pour fermer le labo à clé et le mettre en marche, afin d’emporter et de révéler au grand jour cette pièce à conviction géante et ambulante. Ainsi démarre la phase de combat final, décrite par Truby, qui dans un premier temps est celle d’une force contre une autre, celle des gentils contre les méchants. La course-poursuite impitoyable bat son plein, jusqu’à finir au sous-sol du musée d’histoire naturelle, où malheureusement la rame de métro explose, laissant pour seule preuve la mallette avec l’arme, que Nick a réussi à sauver.

Lui et Judy rejoignent le rez-de-chaussée du musée, où les attend la maire brebis Bellwether et ses gardes du corps. Elle les félicite pour leur trouvaille. Sauf… que Judy trouve étrange que la brebis ait ainsi su où et quand les trouver alors qu’ils n’ont prévenu personne. Retournement de situation, donc, où nous apprenons que la contamination des prédateurs était un complot orchestré par la brebis pour ternir leur image et donner le pouvoir aux proies, et non un complot orchestré par l’ancien maire lion. Nous sommes là face à une version alternative de l’étape théorisée par Propp, où le héros voit son identité usurpée à son insu, puisqu’en réalité ce n’est pas le héros mais un personnage secondaire, le lion, qui perd son poste de maire au profit d’un antagoniste malveillant.

Puis débute, dans le musée, la deuxième partie de l’étape de combat final, où les personnages se coursent les uns les autres dans les couloirs du bâtiment ; mais plutôt le combat final entre deux idéologies, que celui entre deux forces bêtes et méchantes. Car cette fois, sans hésitation, la lapine est du côté de la vérité, et donc des prédateurs victimes.

Malheureusement, Bellwether et ses gardes du corps parviennent à précipiter Nick et Judy dans une fosse reproduisant la savane, où ils sont pris au piège. Cet instant me fait penser à la première et à la dernière étape proposée par Snyder, celle de l’image d’intro et de l’image finale qui se miroitent. Dans Zootopia, ce ne sont pas littéralement la première et la dernière image qui se miroitent, mais en gros une vers le début et une vers la fin, puisqu’au début rappelez-vous Judy jouait la comédie sur une scène de théâtre en racontant les origines du règne animal là où, ici, elle et Nick sont pris en piège sur une mise en scène de la savane, rappelant cette période nomade et antérieure du monde animal. D’ailleurs, dans un instant, Judy rejouera une partie de la pièce de théâtre avec avec Nick, avec un foulard rouge représentant le sang.

Mais juste avant, la brebis utilise l’arme de la mallette pour rendre Nick sauvage et que ce dernier dévore la pauvre Judy. Sauf… Que la bille de l’arme avait préalablement été intervertie avec une myrtille, et que la lapine a enregistré toutes les paroles de Bellwether avec un stylo dictaphone en forme de carotte. Débarquent alors le shérif et les flics, qui embarquent enfin la méchante brebis.

Là encore, à la fin du film, plusieurs étapes se succèdent très rapidement. D’abord, suite à l’usurpation dont on parlait, le vrai héros, ou plutôt en l’occurrence le vrai gentil, est reconnu, d’après Propp. Le maire originel de Zootopia, le lion, retrouve ainsi ses fonctions. Il n’avait parqué les animaux enragés que pour comprendre et pour protéger la population, mais n’avait pas de mauvaises intentions.

Par ailleurs, selon Vogler, c’est le moment du symbolique « retour avec l’élixir », ce point final du périple, où la protagoniste partage le fruit de l’aventure avec la communauté. Dans Zootopia, les prédateurs enragés sont soignés, et rendus à leurs familles respectives, notamment le fameux mari de la loutre.

Poursuivons avec l’étape du « nouvel équilibre », selon Truby, celui du retour au calme initial, avec tout de même une grosse évolution morale. En l’occurence, La lapine déclame en voix off tout un discours sur cette ville et son retour à l’harmonie, à l’égalité entre les animaux, malgré les erreurs, et les difficultés mises sur son chemin.

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Propp propose également, dans ce troisième acte, un moment signifiant supplémentaire, où le héros reçoit une nouvelle apparence, signe de l’expérience et de la légitimité acquise lors de son périple. Ici, la nouvelle apparence est attribuée à Nick par Judy, puisqu’il rejoint finalement les forces de police et porte donc à son tour l’uniforme de police.

De nouveau, une séquence du « nouvel équilibre » survient, où le shérif affecte les tâches du jour comme au début du film, et fait mine d’affecter Judy et Nick aux contraventions… mais c’était pour rire, en réalité il les met sur la trace d’un chauffard dangereux. Dans ce « nouvel équilibre », Judy est enfin dûment respectée dans sa vocation.

Finalement, survient l’étape du « nouveau but », décrite par Weiland. Bah oui, c’est pas tout de finir son histoire, il faut mettre la suite sur les rails, et voilà donc nos deux compères en route vers de nouvelles enquêtes, vers de nouvelles interventions, à commencer par l’arrestation surprenante du chauffard qui n’est autre… qu’un paresseux au volant d’une voiture sportive. Générique de fin.

ALORS, TROP DE STRUCTURE TUE LA STRUCTURE ?

Voilà donc les presque cinquante étapes de la structure dramatique de Zootopia, telles que je les ai subjectivement identifiées. Et oui, ça chiffre, cela couvre même la quasi-totalité des événements du récit.

Chacune de ces étapes, dans sa symbolique, hérite donc d’une convention. Je demandais en introduction si un film pouvait s’avérer trop construit, ou trop construit comme tout le monde, tout nous pousserait ici à répondre que oui. Et pourtant… qui n’a pas trouvé Zootopia particulièrement original, ou particulièrement fluide ?

En fait, la structure d’un film, qu’elle soit logistique ou dramatique, régit son récit à échelle macro, à échelle large. Or, comme nous le démontrions dans l’épisode du podcast dédié à Saint Amour, la véritable originalité d’un projet réside dans son échelle micro, dans sa petite échelle, dans ses scènes, ses instants, ses personnages, ses dialogues, ses idées de situations locales. Concernant Zootopia, les idées amusantes de cet ordre ne manquent pas, comme les infrastructures de la ville à différentes échelles pour chaque taille d’animaux, ou la façon dont les éléphants utilisent leur trompe pour créer leurs glaces.

Par ailleurs, chaque étape de la structure dramatique d’un récit n’est que symbolique. Il existe des milliers de façons pour le protagoniste, par exemple, d’être appelé à l’aventure. Ainsi, quand les scénaristes se creusent un peu la tête, ces étapes sont invisibles aux yeux du spectateur tout en gardant leur pouvoir signifiant.

Enfin, et nous l’avons vu, il est possible de détourner ces étapes de la structure dramatique pour certaines, voire de les multiplier, d’en inverser l’ordre, d’en omettre certaines ou d’en développer d’autres, bref : les conventions de construction dramatique demeurent flexibles. Dans Zootopia, la protagoniste est durablement sûre d’elle, ce qui évite par exemple les étapes liée à ses doutes, ou au fait qu’elle se voile la face, pourtant répandues dans la plupart des films.

© The Walt Disney Company France

Fondu au noir pour ce 27ème numéro de “Comment c’est raconté ?”, merci pour votre écoute, j’espère qu’il vous aura intéressé !

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Je m’appelle Baptiste Rambaud, disponible sur Twitter pour répondre à vos questions, à vos réactions, et vous donne rendez-vous donc dans 2 semaines, pour la 28ème séance. Tchao !

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