Droits humains, environnement : le débat hard law vs soft law est-il dépassé ?

Equipe Compliances
Compliances
Published in
4 min readFeb 7, 2019

Tribune d’Anthony Ratier, Responsable droits humains, ODD et questions éthiques au sein du réseau français du Global Compact

Brett Zeck on Unsplash

La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre impose aux très grandes entreprises d’établir un « plan de vigilance » de leurs activités et de celles de leurs sous-traitants quant à leurs impacts sociaux et environnementaux.

Cette loi, qui a fait l’objet d’une bataille législative de près de 5 ans, est une première du genre car elle reprend à son compte de nombreux dispositifs de soft law propres à la Responsabilité Sociale et Sociétale d’Entreprise (RSE). Au point de rendre caduc le débat entre les partisans de la réglementation et ceux de l’initiative volontaire ?

Les Principes Directeurs Entreprises et Droits de l’Homme des Nations Unies — principes dits « Ruggie » du nom du représentant spécial de l’ONU John Ruggie — reposent sur le cadre « Protéger, Respecter, Réparer ». Ils infusent les articles 1 et 2 de la loi sur le devoir de vigilance, dont l’innovation juridique majeure s’inscrit dans les concepts de « diligence raisonnable » ou « vigilance raisonnable ».

Ces termes, empruntés à la langue comptable et financière, ont été définis par John Ruggie comme « un processus par lequel les entreprises non seulement gèrent le risque de porter atteinte aux droits de l’homme, mais préviennent aussi la survenance de ce risque ».

La loi de 2017 impose ainsi aux entreprises de réaliser un plan de vigilance consistant à cartographier les risques que ses activités et celles de ses sous-traitants font peser sur les droits humains et environnementaux. Réalisée en collaboration avec ses parties prenantes, cette cartographie répond à une obligation de moyens en matière de prévention des risques en droite ligne du premier pilier Ruggie — Protéger — et reprend les standards RSE d’évaluation et d’amélioration continue avec ses partenaires commerciaux.

Cette loi prévoit également la mise en place d’un mécanisme d’alerte et de signalement — très proche de la loi Sapin 2 — en concertation, et non en négociation, avec les organisations syndicales : le pilier « Respecter ». Enfin, elle prévoit une action en responsabilité devant les juridictions compétentes par toute personne justifiant d’un intérêt à agir. Il convient de noter que ce volet, en phase avec le pilier « Réparer » des Principes Ruggie, a été partiellement censuré en France par le Conseil Constitutionnel.

Ainsi, la loi n’invente rien et reprend à son compte un grand standard de soft law universellement reconnu en matière de droits humains.

Ce dépassement du débat « hard law vs soft law » est également illustré par l’opposition de moins en moins forte entre la loi sur le devoir de vigilance et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. En effet, et contrairement à ce que certains avaient avancé au cours de l’élaboration de la loi sur le devoir de vigilance, le Point de Contact National (PCN) français continue à recevoir et trancher un grand nombre de cas.

Ainsi, certaines décisions du PCN français de l’OCDE peuvent aller plus loin que les dispositions de la loi en matière de diligence raisonnable dans le secteur financier : le cas « Natixis » en est une parfaite illustration.

Dans cette affaire, une plainte avait été déposée par des salariés d’un hôtel de luxe américain contre Natixis devant le PCN français pour non-respect des droits syndicaux — Natixis n’ayant pas de « relation commerciale établie » au sens de la loi sur le devoir de vigilance, mais seulement une responsabilité indirecte en tant qu’investisseur.

En 8 mois, le PCN français, via l’application de la soft law des Principes directeurs de l’OCDE à destination des entreprises multinationales, a permis de démontrer la responsabilité des acteurs du secteur financier vis-à-vis de leurs relations d’affaires sur l’ensemble de la chaîne de valeur et a finalement permis aux salariés de cet hôtel de se syndiquer.

Le cadre plus soft des Principes directeurs de l’OCDE apparaît ainsi de plus en plus, par son efficacité et sa flexibilité, comme une réponse efficace à la résolution des problèmes se situant dans les interstices ou aux marges de la loi sur le devoir de vigilance.

Au-delà de la dimension de prospective juridique qu’a pu recouvrir la RSE, cette interpénétration entre soft law et hard law sanctionne en fait plusieurs années de pratiques de « droit mou » en matière de RSE, basé sur les best practices des entreprises et les grands référentiels internationaux (Global Compact, ISO 26000, Principes Directeurs des Nations Unies ou de l’OCDE).

Aujourd’hui, une nouvelle forme de droit d’inspiration hybride se fait jour pour l’entreprise, où les parties prenantes et constituantes sont au cœur des dispositifs, à l’instar de la loi PACTE votée cette année, qui en constitue l’expression la plus récente. //

Cette tribune a paru pour la première fois dans Compliances, le mag // Hiver 2018, disponible à la vente sur www.compliances.fr

--

--

Equipe Compliances
Compliances

Compliances est le média professionnel dédié aux enjeux opérationnels et tech de l’anticorruption, de l’éthique des affaires et de la protection des données