Guillaume Champeau (Qwant) : « Je n’ai pas vocation à imposer des réponses, mais plutôt à poser des questions »

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7 min readMay 18, 2019

Lancé en 2013 en France, Qwant est le moteur de recherche qui protège la vie privée de ses utilisateurs. Grâce à Cambridge Analytica, et dans une moindre mesure à l’entrée en vigueur du RGPD, Qwant a quasiment doublé sa part de marché en France en un an, de plus en plus d’internautes ayant pris conscience des risques associés au recueil systématique et non consenti de leurs données. Guillaume Champeau, le Directeur de l’éthique et des affaires juridiques de la pépite française, veille sur le respect des valeurs et de l’éthique qui ont présidé à la création de ce moteur de recherche et qui attirent chaque jour de nouveaux utilisateurs.

Comment est née Qwant ?

Qwant a été imaginée en 2011 par Éric Leandri, aujourd’hui Président de Qwant, à un moment de prise de conscience de l’ultra-domination de Google en France, qui détenait alors 95 % du marché de la recherche internet. Cette situation était unique dans le monde, car même aux États-Unis, Google ne détenait guère plus que 65 % du marché. Parallèlement, Google avait évolué pour devenir un véritable univers imperméable de services, ce qui impliquait une collecte de plus en plus importante des données personnelles de ses utilisateurs. Dans ce contexte, il y avait de la place pour une solution européenne fondée sur des valeurs comme l’éthique et le respect de la vie privée. Qwant a été lancée en France en juillet 2013, après deux ans de R&D.

Vous êtes Directeur de l’Éthique et des Affaires Juridiques de Qwant, un poste qui n’est finalement pas si courant au sein de jeunes entreprises. Que recouvre-t-il et comment a-t-il été créé ?

J’ai rejoint Qwant en 2016 après une rencontre avec Éric Leandri, qui souhaitait mieux faire comprendre les valeurs de l’entreprise en externe d’une part, et disposer d’un relais éthique interne alors que Qwant croissait d’autre part. Juriste de formation, j’avais travaillé pendant 15 ans en tant que journaliste pour le site Numerama que j’avais fondé en 2001 ; j’y traitais principalement des conséquences de nos choix technologiques et réglementaires sur la société. Intégrer Qwant, c’était l’occasion pour moi de passer à l’action.

J’ai d’abord occupé le poste de Directeur de l’éthique et des relations publiques — du fait de ma double casquette de juriste et de journaliste, poste resserré avec la croissance de l’entreprise sur l’éthique et les affaires juridiques. Sur le volet éthique, mes missions principales se rapprochaient d’abord de celles d’un DPO avant l’heure : identifier les process où des données sont collectées, imaginer comment ne pas avoir à les recueillir ou bien mettre en place des process respectueux de l’utilisateur si la collecte est nécessaire, etc. Je conduisais également des actions de sensibilisation en interne pour que les valeurs de Qwant soient bien intégrées par l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, bien que la plupart nous rejoignent précisément parce qu’ils partagent notre vision sur la protection des données.

Comment fonctionnez-vous aujourd’hui et avec quelle équipe ?

Depuis Qwant a grossi, nous sommes un peu moins de 165 salariés aujourd’hui, contre une petite cinquantaine à mon arrivée. L’équipe des affaires juridiques est toute petite, puisque nous ne sommes que deux en interne, accompagnés par des cabinets d’avocats. Pour animer le volet éthique, nous nous appuyons donc sur des relais opérationnels internes identifiés selon les sujets. Mon rôle va notamment être d’animer ce réseau et d’échanger avec les expert·e·s internes sur les sujets qui émergent. Nous allons à la rencontre des équipes pour comprendre quand des problèmes peuvent se poser. C’est un travail au long cours de rencontres et de dialogue. Je n’ai pas vocation à imposer des réponses, mais plutôt à poser des questions, soulever les problèmes, discuter avec les parties prenantes, et proposer des réponses.

En externe, nous intervenons souvent dans des conférences pour recueillir l’avis du grand public sur nos sujets, notamment au sein des grandes organisations professionnelles. Nous échangeons également avec des entreprises françaises et européennes, mais également des universitaires pour faire avancer notre pratique et répondre aux grands défis éthiques que pose le développement technologique. À titre d’exemple, nous soutenons la Chaire Valeurs et Politique des Informations personnelles au sein de l’Institut Mines-Télécom qui a pour objectif d’aider les entreprises, les citoyens et les pouvoirs publics dans leurs réflexions sur la collecte, l’utilisation et le partage des informations personnelles aux côtés d’autres organisations, comme Dassault Systèmes, BNP Paribas, Orange, Sopra Steria, l’Imprimerie Nationale et la CNIL.

Qwant est le moteur de recherche qui respecte la vie privée des utilisateurs. Quelles sont ses autres valeurs ?

La protection des données et de la vie privée est notre principe d’action fondamental, sur lequel tout le reste peut se développer. Je pense notamment à la liberté d’accès à l’information, qui n’est possible que dans un cadre de protection réelle des données. Nous accordons également une grande importance au principe de neutralité de la recherche ; c’est-à-dire — par exemple — que nous ne cherchons pas à masquer des résultats qui pourraient être jugés comme immoraux par nous et pas par d’autres, ou inversement. Nous travaillons beaucoup avec les équipes pour lever les biais algorithmiques, conscients ou inconscients, et proposer les résultats les plus pertinents pour chaque requête. Un autre de nos engagements, moins connu, est celui du développement durable. Nous veillons à développer des services à impact neutre ou positif sur l’environnement en développant nos applications de manière responsable. Nous réfléchissons également à un modèle de partage des revenus, qui permette une redistribution équitable de la valeur créée par notre écosystème.

Quel est d’ailleurs le modèle d’affaires d’un moteur de recherche qui ne recueille pas de données ?

C’est l’une des questions qu’on me pose le plus souvent et que je n’avais pourtant pas imaginée en entrant chez Qwant ! La publicité numérique n’a pas toujours été personnalisée pour l’utilisateur, mais été censée répondre à une typologie d’utilisateurs, un peu comme dans un magazine papier. Finalement, ça ne fait qu’une petite dizaine d’années qu’on fait de la publicité ainsi. Chez Qwant, nous nous rémunérons par de la publicité directement en rapport avec ce que cherche l’utilisateur, et non pas en rapport avec l’utilisateur lui-même, donc nous n’avons pas besoin d’installer des cookies tiers ou des trackers, ou bien d’effectuer du ciblage comportemental.

Vous avez dit plus que haut que votre rôle est de trouver les questions. Quelles seront les plus importantes pour les années à venir pour Qwant ?

Le développement des assistants vocaux par exemple génère beaucoup de questions, pour Qwant mais pas seulement bien sûr. Concrètement, un assistant vocal à qui vous posez une question ne vous renvoie qu’une réponse, contre une petite dizaine de suggestions lorsque vous posez la même question depuis votre navigateur. Cela implique une responsabilité renforcée en matière de qualité et de neutralité de la recherche. Un autre exemple est celui de la publicité, qui finance des services gratuits : comment faire la différence avec un assistant vocal entre de la publicité et un résultat non sponsorisé ? Autre sujet : doit-on tendre vers l’anthropomorphisme des robots et assistants ? Les géants du secteur tendent tous à synthétiser des voix ressemblant aux voix humaines pour leurs objets, ce qui renforce le rapport d’empathie, mais qui pose des problèmes quasiment philosophiques de rapport et de confiance à l’objet. On peut imaginer manipuler plus facilement les gens avec une voix humaine qu’une voix parfaitement synthétique et identifiable comme telle. Un autre champ d’interrogation important est celui de la régulation des contenus en zones grises. La loi française pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 (LCEN) établit pour les hébergeurs en ligne — dont nous faisons partie en tant que moteur de recherche — une responsabilité allégée et a posteriori. Cela signifie par exemple que notre responsabilité n’est pas engagée si nous n’avons pas connaissance préalable du caractère illicite d’un résultat qui s’afficherait ou si nous agissons promptement pour retirer ce résultat ou en rendre l’accès impossible. Le législateur au niveau national et européen se déclare favorable à la création d’un nouveau statut qui renforcerait la responsabilité a priori, ce qui pourrait inciter certaines plateformes à supprimer du contenu pour prévenir un risque juridique. Mais dans ce cas, où placer le curseur ? Ne risque-t-on pas de supprimer des contenus par anticipation du risque au détriment de l’accès à l’information et de la liberté d’expression ? Le débat est d’autant plus important dans un contexte de débat sur les fake news : qui décide du caractère factuel ou non d’une information ? selon quels critères ?

Voici quelques questions auxquelles nous sommes confrontés, au même titre que l’ensemble des plateformes, et qui feront l’objet de nombreuses discussions en interne, mais aussi avec nos partenaires, nos utilisateurs, dans les prochains mois et années. //

Cette tribune a paru pour la première fois dans Compliances, le mag // Mars 2019, disponible à la vente sur www.compliances.fr

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