Quelle lutte contre les matchs truqués ?

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4 min readJun 8, 2019

Tribune de Carole GOMEZ, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)

Le 14 novembre 2010, à la suite d’un match opposant Cremonese et Paganese en Ligue Pro italienne de football (l’équivalent de la 3ème division française), un joueur de Cremone a un accident de la route après s’être endormi au volant. Des traces de somnifères sont découvertes dans ses urines. Les autres joueurs de son équipe se plaignent également de malaises, tous ont en réalité ingéré la même substance.

Les enquêteurs découvrent alors que ces évènements sont liés entre eux et ont été planifiés dans le cadre d’un trucage de match. Pire encore, ils comprennent que cela ne concerne pas seulement ce match, mais que la triche s’étend à des dizaines d’autres rencontres, réparties sur les trois premières divisions italiennes, impliquant grands clubs, joueurs ou anciens joueurs ainsi que des mafias italiennes et étrangères. Le scandale « Calcioscommesse » venait d’être révélé.

Phénomènes anciens, les matchs truqués sont devenus, depuis le tournant des années 1990, un problème nouveau qui dépasse très largement le seul cadre sportif. En effet, les organisations criminelles nationales et transnationales n’ont pas tardé à comprendre l’importance et l’intérêt de « miser sur le sport ».

Le risque pour les fédérations est considérable : si aucune action d’envergure n’est envisagée pour mettre un terme à cette atteinte à l’intégrité, le sport perdra sa glorieuse incertitude, ses supporters, ses diffuseurs, ainsi que ses sponsors. C’est précisément ce qui s’est passé en Chine au début des années 1990 dans un championnat de football ayant perdu tout intérêt en raison de la gangrène des matchs truqués.

Quand blanchiment d’argent et pari sportif font bon ménage

D’abord considérée comme marginale, la pénétration par la criminalité organisée du domaine sportif est apparue comme de plus en plus prégnante. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, comme le développement des offres de paris illégales mais également le « taux de retour aux joueurs » qui est particulièrement élevé. Alors que dans toute opération de blanchiment d’argent, une partie de l’argent sale est « perdue » en rémunération de divers intermédiaires, le trucage de matchs permettra un taux de retour pouvant atteindre 99 % de la somme misée.

Une nécessaire internationalisation de la lutte contre les matchs truqués

Face à cette menace transnationale, la réponse des seuls États ne pouvait suffire et différents dispositifs ont pu ainsi être pris au niveau des clubs, des fédérations, mais également par des entités supra-étatiques.

Par le biais de formations, voire de mise en place de plateformes d’échanges confidentiels, les fédérations et clubs ont pu sensibiliser les sportifs et les staffs aux risques que peuvent représenter les matchs truqués, tant sportivement que pénalement. L’exemple de la plateforme Hand Clean, réalisée par la Fédération Française de Handball — avec le soutien de la Française des Jeux — a notamment pour ambition de sensibiliser les joueurs et professionnels du handball sur les risques liés à la manipulation des matchs et aux risques de fraudes.

Cette acculturation à l’éthique passe aussi par la création de « référents intégrité » au sein des différentes fédérations et clubs. En outre, un effort particulier est initié depuis quelques années en direction de la protection des lanceurs d’alertes, à travers notamment la mise en œuvre de plateformes anonymes.

À l’échelle supranationale, et en dehors des fédérations internationales, deux acteurs sont particulièrement actifs. L’Union européenne, cherche en effet depuis 2007 et plus spécifiquement depuis 2014 par le biais des programmes Erasmus +, à jouer un rôle de premier plan en lançant chaque année des appels à projets visant à faire évoluer la lutte. Formations, séminaires, logiciels, plateformes sont autant d’actions de terrain financées pour permettre de restaurer et de garantir l’intégrité dans le sport.

Quant au Conseil de l’Europe, il est également très actif, notamment à travers la Convention sur la manipulation des compétitions sportives (Convention de Macolin) et son Réseau de plateformes nationales. L’idée principale de ce Réseau est de mettre en place un processus de collecte de données en provenance de diverses sources relatives à toutes les alertes liées ou non aux paris, combiné avec un processus d’analyse et d’interprétation de données. Ces informations permettront d’aider les Plateformes nationales à développer des stratégies de prévention et les forces de l’ordre à augmenter le nombre d’enquêtes et de sanctions contre la manipulation de compétitions sportives.

Compte tenu de l’importance croissante que prend le sport dans notre quotidien, il y a fort à parier que les menaces à son encontre ne feront que se multiplier. Le défi est donc de taille et le relever implique une meilleure prévention et une répression plus sévère, tant au niveau local qu’international. //

Cette tribune a paru pour la première fois dans Compliances, le mag // Mars 2019, disponible à la vente sur www.compliances.fr

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