Buckingham en Aveyron

tranche de vie de l’été 1981

Frederic Guarino
Connecting dots
3 min readMay 29, 2021

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Fan de The Crown, admirateur d’Elizabeth (ma Reine depuis que je lui ai prêté serment en 2015 en devenant Canadien), je replonge dans mes souvenirs et le 27 juillet 1981 reste une date forte pour moi.

J’avais 7 ans et j’étais fasciné par le spectacle du mariage du Prince Charles et de Diana Spencer. Très tôt attiré par la lecture de l’Histoire par mon parrain Philippe Brochard, auteur de livres dans la magnifique collection La Vie Privée des Hommes, j’avais l’impression de voir l’Histoire avec cette cérémonie.

Je suis en vacances chez ma grand tante Gisèle qui vit en Aveyron, dans une des vallées du Massif Central à la beauté à couper le souffle.

Le 27 juillet 1981 il fait beau et chaud à Vérouls, petit hameau de Coupiac de moins de 10 maisons, entre Albi et Sainte Affrique. Mon grand-oncle Manuel est fils de réfugiés républicains espagnols.

Les soirées d’été arrosées se terminent toutes avec ses amis le Pep et les autres, mineurs de Carmaux, au chant de l’Internationale.

C’est impressionnant pour moi qui grandit dans une famille de militants gaullistes et qui découvre avec eux les récits de la mine et du travail manuel.

Ces hommes élevés à la dure, militants communistes convaincus, sont heureux de l’élection de François Mitterrand qui a pris des leurs, des militants comme eux, au gouvernement du pays.

Le 27 juillet est un jour comme les autres mais ma grand tante et ses amies veulent voir le mariage princier retransmis après le déjeuner sur la grande télévision du salon de la maison de pierre.

J’assiste alors à une montée de mots entre Manuel et ses amis communistes et leurs épouses et j’en retiens des bribes: “on a fait la révolution ici en France pour éviter ce genre de spectacles” “on devrait les pendre tous par le haut du plafond de cette église” “nous on sort dehors, on veut pas voir ça”.

Le jeune garçon que j’étais est choqué par ces phrases prononcées par Manuel et je demande à Gisèle pourquoi ils sont tous aussi énervés alors que c’est une belle cérémonie quand même. Elle me répond de quelques mots réconfortants.

40 ans plus tard, je mesure à plein la très profonde blessure que représente pour ces hommes fiers de leur histoire l’intrusion de Buckingham en Aveyron.

Laisser entrer chez eux, dans leur salon, le spectacle d’une monarchie grandiloquente leur était insupportable et renvoie aux souvenirs du pays natal, où la famille Bourbon ne s’est pas toujours bien conduite.

Le 27 juillet s’est terminé par une soirée peut être encore plus gaie et chantée, pour conjurer la présence télévisée des “Royals” anglais. J’ai encore dans l’oreille le son de l’Internationale et dans les yeux les drapeaux de militants de Manuel et de ses amis.

La vie était belle en juillet 1981, les communistes étaient au gouvernement, et le temps des désillusions, des reniements et des fermetures d’usines n’avait pas encore commencé.

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