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Dernier tour de glace au « sud » pour les Nordiks

Maude Fraser Jodoin
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10 min readApr 21, 2017

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Par Philippe Léger et Maude Fraser Jodoin

L’équipe junior du programme de hockey Nunavik Youth Hockey Development Program (NYHDP) parrainé par l’ancien hockeyeur professionnel, Joé Juneau, enfilait pour la dernière fois leur chandail bleu et blanc aux couleurs du Nunavik au mois d’avril.

En février dernier, le programme de hockey mis sur pied en 2007, financé annuellement à une hauteur de 2,2 millions par des fonds publics, avait appris que son financement serait compressé de près de 900 000$ par année. En conséquence, le volet compétitif a été aboli pour la saison 2018 au grand désarroi des participants du programme.

Ce volet permettait entre autres aux meilleurs jeunes joueurs inuit de participer à des camps d’entrainement, à des ateliers pédagogiques et surtout à des tournois au sud de la province. Les jeunes hockeyeurs pourront continuer de jouer localement sous l’organisation du programme, mais plus aucune équipe ne représentera le Nunavik au sud du 55e parallèle.

Pour clôturer les activités du volet compétitif, Joé Juneau et sa bande ont réuni 14 joueurs âgés entre 17 et 26 ans de différentes communautés inuit qui forment le Nord québécois et qui ont participé de près ou de loin à l’expansion du programme. Des gérants d’aréna, des entraineurs locaux, des administrateurs et des éducateurs du programme NYHDP étaient présents au centre sportif de Sainte-Foy pour former l’équipe junior à l’occasion de la 27e édition du tournoi huron-wendat réservé aux communautés autochtones.

Volet compétitif, vecteur de dépassement?

« Tous les joueurs qui ont fait partis des équipes compétitives sont décus, surtout les filles, qui étaient dévastés lors de leur dernier tournoi la fin de semaine passée à Ottawa », nous explique Danielle Demers, coordonnatrice pédagogique du programme NYHDP.

En 2007, six mois après avoir pris sa retraite comme enseignante dans une école de Kuujjuaq, Danielle Demers n’a pas pu refuser l’offre de Joé Juneau de devenir pédagogue pour le programme. « Je travaille avec les jeunes de 9 à 17 ans, de l’atome au midget, et j’ai vu les effets sur les jeunes », affirme la femme qui a vu passer près de 800 athlètes dans le programme. « L’évolution au niveau de la responsabilité, du respect et surtout de la persévérance a été remarquable. Quand la persévérance te fait atteindre tes objectifs dans le hockey, tu comprends que c’est la même chose dans la vie, et c’est ça qu’on apprend aux jeunes. »

Alexandra Arellano, professeure et sociologue à l’Université d’Ottawa, a étudié le programme. Pour elle, la fermeture du volet compétitif met en péril la participation au programme récréatif, car les jeunes avaient une opportunité de se dépasser en se frayant une place dans l’équipe compétitive : « Je crois qu’avec le temps la motivation des jeunes diminuera considérablement, tout comme la participation au programme — à moins que l’on remplace ce volet compétitif et que l’on offre de nouvelles opportunités de participer à des tournois provinciaux, nuance-t-elle. Le volet compétitif offrait une véritable source de fierté, de dépassement et des opportunités de voyages à ces jeunes. »

Jobie Kasudluak, animateur au Nunavik Hockey School et joueur de l’équipe Junior, a observé les effets des compressions sur le terrain. « Même si le programme connait du succès, il y a moins de jeunes qui se sont présentés directement après les coupes dans le programme, explique-t-il. Même que des jeunes se sont présentés à l’aréna et ne voulaient pas embarquer sur la glace, car ils se demandaient à quoi ça servait de pratiquer s’il n’y pas plus d’équipes compétitives. » Le jeune homme d’Inukjuak n’a toujours pas digéré les compressions dans le programme, qu’il considérait comme une opportunité de s’épanouir en restant dans sa communauté.

Jamie-Grey Scott, lui aussi originaire d’Inukjuak, partage l’avis de son ami, Jobie. Il considère que les tournois locaux entre les communautés ne permettront pas aux jeunes joueurs de développer leur assiduité et leur persévérance : « Ce n’est pas suffisant pour les enfants. Ils ne se présenteront plus aux pratiques et aux camps d’entrainements. C’est vraiment dommage que les leaders des communautés ont décidé de couper dans un programme qui connait du succès depuis 10 ans. »

Joé Juneau est du même avis. Le programme était à ses yeux une opportunité pour les jeunes de se dépasser et d’influencer directement la vie quotidienne des individus. « Le but du club compétitif, c’était d’amener les jeunes à un niveau beaucoup plus élevé en travaillant directement avec les meilleurs joueurs, nous explique Joé Juneau. On voulait motiver les jeunes à en faire plus et à devenir des leaders dans leur communauté. »

Émergence de leaders

Le volet compétitif permettait également l’émergence de leaders, selon Danielle Demers : « L’objectif principal, c’est que les jeunes s’impliquent davantage dans leur communauté. »

« On les encourage dès le niveau atome à devenir des leaders dans leur communauté. On les incite à s’impliquer davantage à l’école, lors des récréations ou en aidant le professeur, par exemple. Nous voulons qu’ils deviennent des ambassadeurs pour le Nunavik. » Voilà ce que M. Demers demande aux hockeyeurs qui participent au programme.

La question reste à quel prix. Comme il n’existe pas de routes entre les villages, les déplacements coutent très cher pour le peu de jeunes sportifs qui y participent. Au total, ce sont 5 équipes de 16 hockeyeurs qui forment les équipes du volet compétitif. Danielle Demers, qui habite désormais au sud du 55e parallèle, estime que l’argument des coûts trop élevés utilisé par les personnes réfractaires au programme n’est pas justifié. « Le programme ne touche pas seulement les participants, mais toutes les communautés. Quand les jeunes hockeyeurs retournent dans leur village, ça devient une motivation pour les autres de voir leur évolution et leur réussite, même s’ils ne jouent pas au hockey. »

La femme chargée de l’éducation des jeunes affirme que ce sentiment de fierté est décuplé lorsque par exemple les jeunes filles reviennent du sud avec une médaille d’or accrochée au cou. D’ailleurs, au cours des 5 dernières années, l’équipe compétitive a remporté ont décroché le titre de championne du tournoi d’Ottawa, qui clôture leur tournoi. Titre qu’elles ont remporté encore une fois au mois de mars dernier.

Rapport douteux

Pour justifier les compressions dans le programme NYHDP, la Société Malavik, qui contrôle le financement des projets régionaux et communautaires, s’est basée sur un rapport exécuté par la firme de consultation Goss Gilroy Inc (GGI). Le rapport avait pour but d’évaluer la pertinence des subventions envoyées au programme parrainé par Joé Juneau.

Le programme NYHDP a pour mission de faire la promotion et la valorisation de l’éducation, ainsi que de prévenir la criminalité. Son financement, qui provient de fonds publics, dépend uniquement de la Société Malavik et de sa filière, le fond Ungaluk. C’est cette dernière organisation qui a décidé de couper le financement à une hauteur de 900 000$.

« Les membres de la haute direction des deux organismes (Société Makivik et l’Administration régionale Kativik) ont pris unanimement la décision de développer le hockey à l’échelle locale au Nunavik et de miser davantage sur des tournois de hockey régionaux plutôt que sur des compétitions dans le sud du Québec », peut-on lire dans un communiqué de presse le 2 février dernier qui justifiait les compressions dans le programme NYHDP.

Pour Juneau, le rapport est truffé d’erreurs. « Le rapport a été contredit par cinq chercheurs des universités d’Ottawa et de Toronto. Ils ont trouvé des fautes méthodologiques et l’ont jugé beaucoup trop négatif », poursuit celui qui a porté les couleurs du Canadien de Montréal de 2001 à 2004. « Cela a été la même chose sur le terrain, nous n’avons vu pratiquement jamais vu l’évaluatrice en charge. Ils ont plus étudié les perceptions des personnes hors du programme que le travail et les résultats. Il n’y a eu aucune évaluation des résultats sur le terrain », déplore-t-il.

Le rapport de la firme de consultation de Toronto affirme avoir interviewé 141 personnes avant de conclure que le programme ne répondait pas à sa fonction première, soit de luter contre la criminalité. « Sur 141 personnes, j’aimerais savoir qui sont ces gens interviewés et quel était leur fondement », se questionne Juneau. « L’évaluatrice était censée être présente toute l’année, mais on ne l’a pratiquement jamais vu et peu de gens ont été interviewés à part moi. »

Dans son communiqué de presse, la société Makivik affirme examiner « quatre demandes de financement liées au hockey présentées dans le cadre du Programme Ungaluk pour des collectivités plus sûres ». Pour le joueur retraité, cette évaluation n’a aucune valeur et souligne davantage la jalousie que son programme suscitait : « On l’avait vu venir, on voyait les manipulations qui se passaient devant nous. Nous savons que beaucoup de gens étaient contre le projet et qu’il avait beaucoup de politiques pour obtenir le financement. Tout le monde ici court après le même argent. »

Pour justifier la compression, la firme GGI s’est basée sur les statistiques policières des cinq dernières années. Les statistiques policières démontrent que le taux de crimes a augmenté d’année en année au Nunavut avec environ 32 495 crimes par 10 000 habitants, une augmentation de 4% entre 2014 et 2015. En comparaison, le reste du Canada a un taux de 5 198 crimes pour 10 000 habitants. Cependant, pour Juneau, ces mesures statistiques n’ont aucun rapport avec la mission du programme qu’il parraine. « Le programme n’a rien à voir avec les abus qui se passe dans les foyers. Notre programme travaille sur la prévention et non sur la baisse des crimes. Ce sont deux choses différentes. »

Après respectivement 10 et 11 ans dans le programme, Danielle Demers et Joé Juneau, les deux s’accordent pour dire qu’ils n’auraient pas mis autant d’efforts s’ils n’avaient pas vécu de grandes histoires. « Je n’aurais pas perdu mon nom là-dedans et 11 ans de ma vie si je n’avais pas vu de belles choses », nous confie l’ancien porte-couleur des Bruins de Boston et des Capitals de Washington dans la Ligue nationale de hockey (LNH).

Dialogue culturel

Le village nordique de Kuujjuaq et la ville de Montréal se trouvent à 1 443 kilomètres de distance. La température moyenne cet hiver à Kuujjuaq était -21,37 degrés, comparativement à -6,8 degrés à Montréal. Autrement dit, les Inuit et le reste du Québec évoluent dans deux univers parallèles et entrent rarement en contact.

La professeure à l’Université d’Ottawa, Alexandra Arrellano, soutient que les tournois au sud de la frontière sont une occasion d’ouvrir un dialogue culturel : « Leur participation aux tournois était aussi une vitrine pour la culture inuit qui est extrêmement riche ». Pour la sociologue, il s’agissait d’une belle occasion pour les jeunes de voyager et de découvrir le reste du Québec, car ils vivent souvent de façon isolée. En effet, il n’existe pas de routes entre les 14 villages inuit qui bordent la Baie d’Hudson et le Détroit d’Hudson.

Pour Danielle Demers, des initiatives comme celle du programme NYHDP changent les dynamiques relationnelles entre les Inuit et le reste du Québec. « Ce sont les jeunes joueurs qui font tomber les préjugés envers les Premières Nations et les Inuit », croit-elle. « Quand ils arrivent à un tournoi avec un corps sain, tout sourire et qu’ils travaillent avec acharnement, ça fait changer les perceptions qu’on entend à propos d’eux aux nouvelles »

La coordonnatrice pédagogique, qui a pris sa retraite au terme de la saison, se rappelle avec fierté de toutes les interactions ayant eu lieu lors des tournois au sud du Québec. « La fin de semaine passée, l’équipe compétitive de filles s’est fait inviter par d’autres équipes pour participer à des activités, dont un échange de cadeaux. Des liens d’amitié se sont créés à un jeune âge. C’est comme ça que les préjugés tombent », s’enthousiasme-t-elle.

Année après année, l’équipe des Forestiers d’Amos qui évolue dans le midget AAA accueille des joueurs autochtones et parfois inuit, en raison de la proximité des réserves du Lac-Simon et de Pikogan. Pour plusieurs de ces hockeyeurs âgés entre 15 et 17 ans, l’équipe de hockey est le premier lieu de rencontres dans leur vie.

Christopher Charchuk, ancien joueur des Forestiers, reconnait qu’il n’y a pas vraiment d’interactions entre les peuples autochtones ou inuit et le reste du Québec hors des activités de hockey : « Même si nous sommes à proximité de la réserve du Lac-Simon par exemple, nous ne nous côtoyions jamais. Même à l’école, la majorité va à l’école anglaise. »

Le jeune joueur repêché dans la LHJMQ convient qu’il a été difficile de se défaire de ses préjugés envers ces communautés. « Quand la seule chose que tu entends d’eux, c’est qu’ils sont saouls au centre-ville de Val-d’Or, ça te crée des préjugés même si tu le sais que ça ne représente pas toute la population», affirme celui qui a arrêté le hockey la saison dernière.

« C’est lorsque tu commences à les fréquenter que tu te rends compte qu’ils vivent dans des situations extrêmes, comme la violence et la pauvreté, et qu’au final, ils veulent la même chose que toi dans la vie », pense Christopher Charchuk. « S’il n’y avait pas eu l’équipe de hockey, je n’aurais jamais eu de contacts avec eux. »

La LNH, un rêve impossible?

Bien que le programme ait semblé démontrer des résultats, peu de joueurs autochtones et inuit parviennent à percer dans les hautes sphères du hockey québécois. Dans l’histoire de la LNH, seul un joueur inuit a réussi à enfiler un chandail de LNH, soit Jordin Tootoo. Quelques joueurs d’origine autochtone ont aussi évolué dans le circuit, dont Jonathan Cheechoo, René Bourque et Carey Price.

Le joueur de hockey abitibien, Xavier Couture, a lui aussi côtoyé quelques joueurs autochtones et inuit au cours de sa carrière. « J’ai évolué avec plusieurs d’entre eux et certains étaient d’excellents joueurs qui auraient pu peut-être réussir dans le hockey », soutient-il. « Malheureusement, ils ont eu du mal à réussir dans la structure québécoise. » Il constate qu’au fil des années, peu de joueurs autochtones se sont rendus jusqu’à la LHJMQ, malgré le talent dont ils faisaient preuve.

Christopher Charchuk estime qu’un des principaux obstacles pour un jeune autochtone est le déracinement pour venir pratiquer dans les meilleures organisations de hockey qui se trouvent dans les grands centres. Par exemple, le midget espoir (catégorie de hockeyeurs entre 14 et 16 ans) en Abitibi se trouve maintenant dans la ville de Rouyn-Noranda, à une heure et demie de route de la réserve de Pikogan et du Lac-Simon. « Il n’y a aucune formation adaptée à leur réalité. On leur demande à 14 et 15 ans de quitter leur réserve et de changer de mode de vie en un claquement de doigts. On leur dit “Viens étudier ici, vivre un mode de vie abitibien et adapte-toi en une semaine, sinon t’es out” », déplore Christopher Charchuk.

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