Lyle et Anna au bar, Mohawk Girls. Lyle (Kristopher Bowman), Anna (Maika Harper). MATHIEU COUTURE

Combattre les stéréotypes une émission à la fois

Océanne De Grandpré
Premières connexions
9 min readApr 21, 2017

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Par Gabriel Guénette et Océanne De Grandpré

Combien de fictions diffusées par Radio-Canada traitent de la réalité autochtone ? Réponse : Aucune. Les autochtones du Québec tournent pourtant leurs propres séries télévisées comme Les Sioui-Bacon ou Mohawk Girls afin de sortir des clichés éculés, de montrer un visage moderne. Mais le reste du pays ne semble pas à l’écoute.

À l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, le diffuseur public a diffusé en français un documentaire sur le monde du hockey chez les Inuits « L’avantage de la glace », une émission spéciale sur Wapikoni, retraçant l’histoire du programme de cinéma itinérant lancé en 2004 par Manon Barbeau et qui accouchera cette année de son 1000e film tourné par de jeunes autochtones. Radio-Canada s’apprête aussi à diffuser un documentaire sur Stanley Vollant, premier chirurgien autochtone du Québec, qui a lancé son projet Innu Meshkenu, une grande marche de 6000 km qui le mènera pendant 5 ans à la rencontre des communautés autochtones du Québec, de l’Ontario et du Labrador pour les sensibiliser aux saines habitudes de vie.

Du côté anglophone, la CBC essuie une pluie de critiques pour son projet de reconstitution historique « The Story of Us » une histoire du Canada qui sous-estime selon plusieurs autochtones, l’apport et l’histoire des Premières Nations. Si les documentaires, critiqués ou non, défilent timidement au petit écran, les séries autochtones, elles, triomphent par leur absence sur les grands réseaux.

La robe de mariage, Mohawk Girls. De gauche à droite: Bailey (Jennifer Pudavick), Anna (Maika Harper), Zoe (Brittany LeBorgne), Caitlin (Heather White). ÉRIC MYRE

Comme l’explique Marie Tetreault, chef de la promotion Information Télévision, ICI RDI et projets spéciaux à Radio-Canada, même si la chaîne diffuse des reportages sur les autochtones qu’à l’occasion, Radio-Canada tente tout de même d’incorporer des autochtones dans les panels d’émissions et d’avoir autant que possible des nouvelles les concernant. « Nous avons aussi un espace autochtone sur notre site web dans lequel nous diffusons des nouvelles concernant les autochtones », ajoute madame Tetreault.

« L’art autochtone est beaucoup plus présent au Canada anglais qu’au Québec, nous on était plus dans une dynamique d’affirmation de nos racines. On dirait que les autochtones ont été mis de côté très loin dans la liste des priorités. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a pas d’émission qui parle de ça à Radio-Canada pis à Télé-Québec », déplore Guillaume Lonergan, réalisateur de la série autochtone Les Sioui-Bacon, diffusée sur le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN).

Guillaume Lonergan dénonce le manque d’émission au sujet des autochtones et aussi la plage horaire de diffusion qui est souvent seulement dans le cadre de commémorations comme le 150e anniversaire du Canada. « Il ne faut pas faire ça juste lors du 150e, faut que tu fasses ça point. Ce sont les autochtones qui rendent notre pays intéressant et différent », dénonce Guillaume Lonergan.

À APTN, « on s’efforce de rejoindre tous les Canadiens à notre façon à travers notre programmation comme dans Les Sioui-Bacon par exemple où on a des comédiens de différentes origines, des comédiens québécois et on a des équipes de réalisation qui proviennent de divers milieux. Notre diffusion est composée de 80% de contenu canadien. De plus, nous sommes diffusés dans plus de 11 millions de foyers à travers le Canada et en plus on a un service de nouvelles qui permet de rejoindre les autochtones et les allochtones sur les enjeux [des Premières Nations] », explique le gestionnaire principal de la programmation, Jean-François D. O’Bomsawin. L’histoire d’APTN a débuté avec Television Northern Canada (TVNC), un réseau qui était diffusé au nord du pays pour les autochtones. « C’est un peu avant 1999, en rencontrant le CRTC que les grands réseaux comme CBC qui ne réussissaient pas à offrir de la programmation pour les autochtones que ce soit en anglais, en français ou en langue autochtone. Donc, TVNC est devenu APTN en 1999, pour offrir une programmation pour les autochtones du nord et du sud par les autochtones. Donc par des producteurs autochtones avec des comédiens et des caméramans autochtones, pour vraiment qu’il y ait une communauté de télévision pour les [Premières Nations] unique. À elle seule, elle est devenue un des premiers diffuseurs au Canada à avoir ce mandat-là », ajoute M. O’Bomsawin.

Watio au Pow-wow Mohawk Girls. Waito (Jimmy Blais). MATHIEU COUTURE

Le mandat d’APTN est important afin de changer l’image négative que les gens ont des autochtones. « Quand les allochtones pensent aux autochtones, ils ont très souvent une image négative d’eux. Ils se rappellent seulement les stéréotypes comme quoi tous les autochtones prennent de la drogue, ils sont alcooliques, ah ils sont tous paresseux, ils ne travaillent pas et ils vivent grâce à nos taxes. Ce sont des choses que j’ai entendues toute ma vie par rapport à ma famille aussi », raconte l’actrice qui joue le rôle de la pétillante Zoe dans la série Mohawk Girls, Brittany LeBorgne.

Un bassin réduit

Le fonctionnement d’une série autochtone est bien différent des séries qu’on retrouve sur nos écrans, car le nombre d’acteurs potentiels est limité. « Moi, je reçois des courriels sans arrêt de gens qui me demandent si je connais des acteurs autochtones. » Lonergan donne l’exemple de Natar Ungalaaq, qu’il qualifie de « Robert De Niro des Inuits ». « C’est le plus grand acteur inuit canadien vivant. Si tu fais un film avec un Inuit, c’est sûr que c’est lui qui va le jouer et vu qu’il a près de 60 ans, ils vont changer l’âge du personnage s’il le faut », explique le réalisateur. « Au Québec, il n’y a pas beaucoup d’acteurs et de comédiens autochtones qui sont bons. Il y a Samian, il y a Charles Bender, qui joue le père dans Les Sioui-Bacon, Marco Collin,etc. Disons que ce sont des gens qui sont dans l’Union des Artistes (UDA), qui ont des rôles, qui travaillent, qui gagnent leur vie avec ce métier », explique le réalisateur.

Caitlin Fighting Anna Mohawk Girls. De gauche à droite: Anna (Maika Harper), Iostha (Allyson Pratt), Caitlin (Heather White), Elijah (Gregory Odjig). ÉRIC MYRE

Malgré le fait qu’il n’y ait pas énormément d’acteurs autochtones avec une formation professionnelle, ils ont tous une aisance devant la caméra qui leur permet d’être plus naturels. « Les Autochtones savent comment être devant la caméra. J’ai interviewé des sans-abris dans le cadre de documentaires et ils avaient un calme devant la caméra, ils étaient capables d’être eux-mêmes, d’être naturels et de ne pas faire attention à ce qu’ils disent, pour ne pas avoir l’air fou. Ils comprenaient même qu’ils devaient être plus intéressants devant la caméra, ils sentaient qu’il fallait qu’ils performent juste un peu pour être intéressants, explique Guillaume Lonergan. Tu sais, quand tu dis à des gens pour filmer une scène : “Faites comme si on n’était pas là” on dirait qu’avec les Autochtones, ça fonctionne toujours ! », ajoute-t-il en riant.

Le comédien huron-wendat de Wendake et président du comité de diversité culturelle du Conseil québécois du théâtre, Charles Bender, croit fortement que les écoles de théâtre doivent élargir leurs horizons pour faire une place à la diversité. « D’abord, il faut ouvrir les auditions pour les théâtres au plus de diversité possible incluant les Autochtones et les membres des Premières Nations. De prendre conscience que la diversité au Québec ce n’est pas seulement celle montréalaise, c’est-à-dire où il y a une forte population immigrante, c’est aussi la diversité qui existe dans les régions. Il faut reconnaître qu’il y a des Autochtones dans les régions qui sont trop souvent tenues à l’écart de la diffusion culturelle. » Selon lui, ces écoles doivent voir la diversité comme une richesse pouvant amener beaucoup au métier d’acteur, puisque les Autochtones n’ont pas nécessairement la même façon de jouer un rôle. « Pour être sensible à cette diversité, il faut que les écoles comprennent que les codes ne sont pas toujours les mêmes, la manière de performer ne sera pas toujours pareille ni la manière de comprendre l’intelligence d’un personnage. Donc, il y a cette ouverture à faire pour ne pas tomber dans le piège de l’eurocentrisme. Pendant longtemps, on s’est concentré sur la manière de faire européenne et américaine », souligne M. Bender.

Ce dernier déplore le fait que les comédiens autochtones ayant des traits beaucoup plus visibles, n’ont pas la chance de faire des rôles simplement pour leur talent d’acteur. Cette situation ne le touche pas directement, car il n’est pas reconnu pour faire des rôles d’Autochtones dans les séries québécoises, comme Destinées, Les rescapés ou Le gentleman. Toutefois, au long de sa carrière, il a observé à plusieurs reprises ce type de situation. Il donne l’exemple de Marco Collin, qui obtient régulièrement des rôles pour jouer un autochtone. « Et cela veut dire que tu es identifié par ton statut avant d’être identifié par ton talent de comédien ou ta capacité de tenir un rôle. […] C’est rare que tu vas avoir un rôle d’un médecin et que ça va adonner que c’est un Autochtone. En ce moment, les personnages autochtones servent de faire valoir, ce ne sont pas des personnages principaux qui ont vraiment un parcours et un arc bien établi autre que leur statut. »

Thématiques universelles

En général, les séries autochtones abordent beaucoup de problèmes de société, des traumatismes qui peuvent venir de la colonisation et tout ce qui concerne les épreuves auxquelles les autochtones ont dû faire face à travers le temps. Les thèmes abordés dans ces émissions surtout dramatiques, parlent des problèmes que les autochtones vivent, par exemple la drogue, le crime et l’alcoolisme.

Pour ce qui est la série Mohawk Girls, une version autochtone de Sex and the City, la réalisatrice voulait dépeindre la réalité d’une femme mohawk d’aujourd’hui avec des thèmes universels auxquels les femmes allochtones peuvent aussi s’identifier. « L’amour et tout, ce sont des problèmes qui ne sont pas seulement autochtones, mais qu’on retrouve aussi chez les autres nationalités. Toutes les femmes peuvent s’y identifier, ce qui rend l’émission beaucoup plus accessible », explique Brittany LeBorgne. « Dans Mohawk Girls, c’est sûr qu’on va aborder des thèmes plus sérieux qui expliquent des vrais problèmes, mais on met de l’humour là-dedans. Ça permet de rendre le tout plus approchable et ça va inciter les gens à nous écouter », ajoute-t-elle.

Leon et Caitlin dans le lit, Mohawk Girls. Leon (Dwain Murphy), Caitlin (Heather White). ÉRIC MYRE

De son côté, Charles Bender indique que dans Les Sioui-Bacon, l’histoire d’une famille autochtone reconstituée vivant à Montréal, les thèmes ne sont pas autant centralisés sur la question autochtone qu’on pourrait le penser. « Dans Les Sioui-Bacon, j’ai l’occasion de jouer un Autochtone, quelqu’un des Premières Nations, sans tomber dans rien qui est folklorique, qui est cliché. Mon personnage n’est pas défini purement et simplement par son statut autochtone. C’est un père de famille dans Les Sioui-Bacon tout simplement. Parfois, on fait référence à ses origines autochtones parce qu’on est sur une chaîne autochtone. »

Afin de donner plus de visibilité aux émissions et à la télévision autochtone, Brittany LeBorgne croit qu’il faut tout d’abord changer la perception que les gens ont des autochtones. « Pour que les gens aient une image plus positive de nous, il faudrait changer l’éducation que les gens reçoivent par rapport aux Autochtones. À l’école, on apprend les Algonquins et les Iroquoiens, pourtant il y a tellement plus de choses à dire à notre sujet et ce qui est triste est que les gens focalisent seulement sur les stéréotypes négatifs. En changeant l’éducation de l’histoire des autochtones, on donnerait une meilleure image des Premières Nations à la population et ça les inciterait peut-être à écouter plus d’émission autochtone », explique l’actrice de Mohawk Girls.

Charles Bender assure que cet ère de changement semble déjà s’installer, observation qu’il a fait dans le cadre de son poste au Conseil québécois du théâtre. « En ce moment, je sens un désir de changement. Il y a beaucoup de gens qui sont conscientisés sur les enjeux autochtones, qui se posent des questions et qui nous posent des questions. »

Toutefois, le comédien tient à mettre un bémol sur cette affirmation. Selon lui, ce phénomène de changement a déjà été observé par le passé, mais en vain, n’a pas abouti à des résultats concrets. « J’ai un ami qui me dit qui s’est passé le même type de changement à la fin des années 80 et début des années 90. Par contre, ce mouvement a complètement été tassé par la crise d’Oka. Donc, nous avons raison de nous questionner afin de savoir si c’est vraiment un vent de changement qui s’installe en ce moment qui va faire en sorte qu’on va voir des changements durables ou si on est juste dans un pic cyclique. »

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