Sables bitumineux d’Athabasca (Alberta). Crédit SHELL

Premières Nations Inc.

Simon Lefranc
Premières connexions
9 min readApr 22, 2017

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Par Simon Lefranc

L’opposition aux projets d’oléoducs par certaines communautés autochtones ne fait pas que des heureux chez les Premières Nations. Alors que les mobilisations font les manchettes, une partie importante de l’opinion publique semble croire que les Amérindiens sont unis contre l’exploitation pétrolière, ce qui n’est pas tout à fait le cas. Regard sur ces autochtones propétrole.

Pétrole et lutte à la misère

De nombreux groupes écologistes et autochtones dénoncent les sables bitumineux albertains et les projets d’oléoducs comme des facteurs de destruction de l’environnement. Mais des milliers d’autochtones voient aussi ces projets comme une opportunité économique. Après avoir travaillé 15 ans dans le milieu bancaire, Stephen Buffalo a décidé de s’impliquer à sa façon pour sa communauté en devenant PDG d’Indian Resources Council, une organisation comptant près de 150 communautées autochtones en faveur des oléoducs et du développement pétrolier. «Je suis heureux d’aider, car je suis fatigué de voir beaucoup de communautés vivre dans l’extrême pauvreté avec des problèmes d’eau potable et une sous-éducation généralisée. Le gouvernement ne contribue pas assez financièrement et nous devons trouver une façon de créer nos propres revenus. Comme autochtones, nous avons le droit d’avoir des compagnies pétrolières. »

Selon Ken Coates, professeur spécialisé en affaires autochtones nord-canadiennes à l’Université de Saskatchewan, les oléoducs doivent être considérés comme un prolongement de la coopération entre l’industrie et les Premières Nations. « Les autochtones bénéficient de la production avec des milliers de travailleurs dans ces milieux. Le reste de l’économie canadienne ne leur a jamais donné autant d’opportunités que le pétrole et les ressources naturelles », explique-t-il. En plus d’être un facteur d’enrichissement, le développement pétrolier peut être une voie de réconciliation entre des communautés autochtones et le reste de la population. « Il reste encore beaucoup de chemin à faire… Certains travailleurs (non autochtones) ne connaissent pas la réalité dans les communautés et cela peut causer des problèmes, pense Trevor McLeod, autochtone et directeur du Centre des ressources naturelles pour le think thank Canada West Foundation. Mais il est clair à mes yeux que depuis les sept ou huit dernières années, le secteur de l’énergie a compris qu’il s’agissait d’un enjeu important et qu’il travaille très fort pour améliorer la situation ».

Standing rock

La mobilisation autochtone et écologiste contre l’oléoduc Dakota Access Pipeline devant passer par Standing rock au Dakota du Nord a été la plus médiatisée dans les derniers mois. Si certains y voient une grande lutte anticoloniale, d’autres semblent plutôt croire que ces événements auraient pu être évités si les promoteurs avaient été plus responsables. « Le fait est qu’il s’agissait d’une route de plan B. Les développeurs ont commencé à vouloir tirer avantage sur la communauté de Standing rock au lieu de travailler avec eux. Il y avait effectivement des risques avec l’eau, mais il y avait beaucoup de bénéfice pour la ville de New Town dans le Dakota du Nord et nous n’en avons pas entendu parler » estime Stephen Buffalo. Selon Ken Coates, bien que la question de Standing rock est préoccupante, elle n’est pas comparable avec l’opposition aux oléoducs au Canada « Cette mobilisation est un bon exemple de ce qui arrive si les autochtones ne sont pas impliqués dès le début dans un projet touchant leurs territoires. Ils n’ont pas été consultés alors ils se sont montrés bien plus insistants. Au Canada, les communautées concernées par les pipelines sont intégrées bien avant dans les processus et les compensations sont bien plus avantageuses ».

Mobilisation contre le projet Dakota Access Pipeline à Standing rock. LESLIE PETERSON

Traditionalisme et protection de l’environnement

En plus d’être un enjeu politique, l’écologie s’inscrit dans une philosophie traditionnelle et religieuse dans de nombreuses communautés autochtones. Le rapport à la “terre mère” et à l’aspect sacré de certains territoires sont d’ailleurs mis de l’avant lors des mobilisations en opposition à la construction d’oléoducs. Les producteurs de pétrole sont alors accusés de détruire la terre sans respect pour les traditions et de contribuer à la pollution de la planète. Les autochtones en faveur de l’exploitation se défendent de ces accusations. Selon Trevor McLeod, les manifestations sont aujourd’hui contre-productives car la production des sables bitumineux est moins polluante que celle d’autres types de pétrole lourd. « Ce qu’il faut comprendre c’est que les barils de pétrole lourd ne concurrencent pas le pétrole léger. Il faut comparer le lourd avec le lourd par exemple le Canada avec le Venezuela. On se rend alors compte que le pétrole Canadien est bien meilleur grâce aux avancées technologiques comme le traitement de la mousse de bitume. Le baril de pétrole canadien produit moins d’émissions de gaz à effet de serre que les compétiteurs, même les Américains. Alors si vous empêchez les pipelines, vous allez globalement augmenter les émissions de gaz à effet de serre», dit-il, un argument toutefois rejeté par nombre de groupes écologistes.

À cela, les autochtones s’opposant aux oléoducs répondent qu’il est possible de produire de l’énergie renouvelable, plus éthique, en respectant l’environnement. Cette transition écologique serait plus en concordance avec leurs valeurs et leur spiritualité. « Les autochtones traditionalistes veulent protéger la terre qui nous donne la nourriture et l’énergie. Je crois aussi que cela est très important et nous prenons cela en compte quand nous produisons. Nous faisons de notre mieux et nous essayons de ramener la forêt dans les territoires après l’exploitation, estime Stephen Buffalo. N’oublions pas de mentionner que la réglementation concernant la fracturation hydraulique au Canada est la meilleures au monde. Ils veulent de l’énergie verte, mais le coût pour les infrastructures est très élevé. Nous devons trouver un moyen pour pouvoir se les payer alors nous avons besoin du pétrole ». Du moins, d’ici cette transition achevée.

De son côté, Ken Coates mentionne que les oppositions autochtones sont plus complexes qu’un combat entre traditionalistes et innovateurs. « La majorité des manifestations au Canada ne sont pas contre les pipelines, mais contre l’exportation par l’océan comme ce que nous voyons dans le cas de l’oléoduc Trans Mountain en Colombie-Britannique ou avec le projet Énergie-Est. Il s’agit parfois simplement d’une question de redevance que la compagnie est prête à verser pour passer sur le territoire. » Il peut aussi être question de la compagnie et non du projet. « Il y avait de l’opposition au projet Northern Gateway que le gouvernement Trudeau a fini par refuser. Il y a maintenant un projet similaire soit l’oléoduc ‘Le pacifique’ promut par First Nations Limited Partnership qui est une entreprise autochtone comprenant 16 communautées. Ce projet n’est pas encore approuvé, mais il trouve une approbation populaire dans la région » raconte-t-il.

Manifestation contre les changements climatiques. TAKVER

L’activisme vert comme un paternalisme

Si les autochtones étant partie prenante de l’industrie pétrolière se montrent compréhensifs en ce qui concerne les préoccupations des membres des premières nations, ils se montrent plus durs envers les groupes écologistes qui s’opposent aux projets qu’ils ont approuvés. « Les autochtones sont capables de prendre les décisions sur leurs territoires, estime Ken Coates. Ils ont pris en compte l’environnement. Si on les croit vraiment capables, on devrait les laisser faire mais les écologistes ne veulent pas à cause de questions de changements climatiques. Il est à noter que ce n’est pas la première fois que des conflits éclatent entre des groupes écologistes et des communautées amérindiennes. Pensez à la question de la traite des fourrures dans le Grand Nord ». Stephen Buffalo partage ce sentiment de frustration à l’égard de certains groupes écologistes. Il mentionne qu’il existait déjà une production pétrolière à Fort McMurray dans les années 70. Le pétrole était envoyé en Europe et des activistes auraient nuit à l’industrie ce qui aurait causé de nombreuses pertes d’emplois. « Maintenant nous avons les sables bitumineux et ils sont encore contre. Plusieurs sont payés pour faire ce qu’ils font et ne connaissent pas toute l’histoire. Mais quand une vedette d’Hollywood débarque et dit quelque chose, la planète entière croit que c’est vrai » explique-t-il. Le principal reproche adressé à ces groupes est de penser trop souvent à leur agenda de lutte aux changements climatiques avant de penser à la réalité des réserves « J’ai entendu de nombreux autochtones me dirent s’être senti manipulé par les écologistes. La réalité est que la question des pipelines donne un excellent levier aux premières nations pour réclamer leurs droits. Le problème est de mettre l’accent à 100% sur la question environnementale et de ne pas parler de la question autochtone. Est-ce intentionnel ou non ? Je ne pourrais dire, mais les activistes ont prit tout l’oxygène de la discussion concernant les oléoducs » renchéris Trevor McLeod.

Entendre toutes les voix

Travailleurs autochtones de la construction. Crédit inconnu

Selon les autochtones en faveur du développement pétrolier, il existerait un biais dans les médias nationaux concernant la présentation des relations entre les autochtones et les pétrolières. « Premièrement, les autochtones en général ne sont pas très entendus dans les grands médias. Mais quand vous en entendez, vous n’avez que les voix d’opposition au développement, soutient Trevor McLeod. Vous n’avez pas une vision authentique de ce dont les gens discutent dans leurs communautés. Vous n’entendez jamais les voix positives en ce qui concerne l’avenir et vous n’entendez jamais les autochtones qui supportent les projets de pipeline ». Le professeur Coates ne partage pas cette vision. Selon lui les autochtones ne sont pas marginalisés à outrance dans les médias « Depuis le mouvement Idle no more, vous pouvez trouver des nouvelles sur les premières nations tous les jours. Il y a une presse autochtone qui s’est développée. Vous trouverez facilement des livres sur les autochtones dans les librairies de grandes et moyennes surfaces, raconte-t-il. Il y a 30 ans ce n’était pas le cas, mais de nos jours les premières nations ne sont plus ignorées. » Pour Stephen Buffalo, le biais existant est plus contre le pétrole et les pipelines en général. Il est donc d’une certaine façon logique que les autochtones en faveur de l’industrie ne soient pas entendus dans les grands médias. «Les médias vont parler d’un pipeline qui éclate, mais ne vont pas dire que ce pipeline a été construit en 1968. Ils essaient de faire peur avec ça. Les nouveaux oléoducs fonctionnent à la perfection lorsqu’ils sont bien construits. La technologie est tellement rendu avancée que ce n’est plus comparable, estime-t-il . Les médias sociaux n’aident pas non plus en répandant des affirmations qui ne sont pas nécessairement vraies. N’oubliez pas quand vous consultez de l’information que derrière les pipelines, il y a des emplois et que de bloquer les projets aurait un effet sur le prix du gaz. Nous avons encore besoin du pétrole. J’ai besoin de ma voiture pour aller à mon bureau, je ne peux pas monter un cheval. »

Entente entre la communauté Nazko (Colombie-Britannique) et l’industrie forestière. PROVINCE DE COLOMBIE BRITANNIQUE

Bien que frustré de ne pas être assez entendu, les autochtones en faveur de l’exploitation pétrolière ne voient pas pour autant d’un mauvais oeil la médiatisation des mouvements tels que Idle no more. Selon Ken Coates, ce mouvement a réussi à politiser de nombreux jeunes autochtones sur les campus universitaires ainsi dans les médias puis a laissé place à une nouvelle génération d’Amérindiens fiers d’eux-mêmes et sûrs de prendre la parole. De son côté, Trevor McLeod ajoute un bémol « Développer des droits autochtones est une bonne chose. De voir les premières nations participer plus à la société est aussi positif. Cependant, j’aimerais voir les intérêts économiques des autochtones être mis de l’avant. Le discours actuel est très focalisé sur les droits, mais les droits à eux seuls ne donnent pas d’emplois aux jeunes autochtones. Ce dont nous avons besoin, c’est de plus d’engagements pour construire une force économique. »

Les questions des moyens de transport du pétrole continueront à occuper l’actualité nord-américaine, les mobilisations ainsi que les collaborations entre les premières nations et l’industrie pétrolière sont forcément appelées à se multiplier. Comment réconcilier deux peuples autochtones semblant plus divisés que jamais sur cette question économique ? Probablement en donnant la parole à un plus grand nombre de personnes en faveur de l’exploitation pétrolière et que de ces discussions s’obtienne une forme de consensus. À l’heure où l’on sent remonter les tensions raciales en Amérique du Nord, cette mise en lumière de premières nations en faveur du pétrole nous montre que peu importe qu’on soit blanc ou autochtone… Un capitaliste est un capitaliste.

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