Le festival Innu Nikamu est l’un des plus importants festivals autochtones en Amérique. Tourisme Autochtone Québec, Flickr

Vivante: une scène musicale en quête de plateformes

Estelle Grignon
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8 min readApr 21, 2017

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Par Marie-Hélène Daigneault et Estelle Grignon

Associée à l’origine à des chants de gorge et des tambours cérémonials, la musique autochtone s’est modernisée et diversifiée au Québec. Si le rappeur Samian, la chanteuse Elisapie Isaac et le groupe Kashtin ont su se faire connaître, la place laissée à la musique autochtone dans l’espace culturel de la province reste minime, surtout dans les grands pôles urbains.

« Je ne crois pas qu’il y a assez d’événements pour promouvoir la musique autochtone à Montréal », déplore le coordonnateur du Cercle des Premières Nations de l’UQAM, Gustavo Zamora Jiménez. C’est précisément ce constat qui a poussé son organisme à créer la première Soirée art et culture en 2010, un événement qui permet à des artistes autochtones de monter sur scène au bar l’Escalier tous les premiers jeudis du mois. Passant par le chant, la poésie et le théâtre, les artistes autochtones de Montréal et des environs ont l’opportunité de partager leur talent lors de ces soirées gratuites, offertes à tous. « Il y a beaucoup de choses qui se passent dans le milieu autochtone, mais on a l’impression que l’offre culturelle et l’intérêt des gens de Montréal sont très segmentés. Il y a beaucoup d’événements autochtones maintenant, mais beaucoup de personnes ne le savent pas », se désole-t-il.

C’est aussi le problème qu’éprouvent les artistes. Le musicien provenant de Maliotenam, Ti-John Ambroise, qui a performé le 6 avril dernier lors d’une Soirée art et culture, ne connaît pas toutes les options qui s’offrent aux artistes. « Je ne suis pas vraiment au courant des endroits pour promouvoir ma musique à Montréal, sinon [le festival] Présence autochtone et le Cercle des Premières Nations de l’UQAM », admet-il.

Dans un contexte où la culture musicale autochtone est bouillante, l’arrivée de célébrations d’envergure comme celles du 375e anniversaire de la ville de Montréal devrait découler sur des rendez-vous mettant de l’avant le talent de ces artistes contemporains. Un objectif beaucoup plus facile à dire qu’à faire, constate le directeur artistique du festival de musique Innu Nikamu à Maliotenam, situé près de Sept-Îles, Kevin Bacon Hervieux. En entrevue, il explique avoir entrepris des démarches pour exporter son festival dans la métropole dans le cadre du 375e anniversaire de la ville. « Ça n’a pas fonctionné », exprime-t-il au téléphone, déçu, mais pas très surpris. Ça a l’air que c’était un projet qui n’intéressait pas la Ville de Montréal, donc, on a laissé tomber », déplore celui qui est aussi le réalisateur du long métrage Innu Nikamu : La grande tradition, qui prendra l’affiche au cours des prochaines semaines.

Selon lui, le comité de Gilbert Rozon aurait reçu une grande quantité de projets similaires au sien, qui ont tous connu le même sort. La seule place faite à la musique autochtone sur la programmation officielle vient du festival Présence autochtone, qui réunit sous un même toit de nombreux arts de la scène et qui en sera à sa 27e édition cet été. Loin d’avoir sa langue dans sa poche, Hervieux tacle: « On ne veut pas s’obstiner et expliquer pourquoi c’est important. Il me semble que c’est naturel pourquoi c’est important, mais il faut croire que ce ne l’est pas. Moi j’en ris, je trouve ça absurde. »

Prendre exemple sur les communautés

S’il souhaite exporter son festival à Montréal, c’est qu’il est fier de ce que celui-ci a pu accomplir à quelque douze heures de route plus loin de la métropole, dans la réserve de Maliotenam. Au-delà des aspects musical et symbolique du festival, qui se déroule sur le lieu même d’un ancien pensionnat, le jeune Innu de 24 ans a vu Innu Nikamu attirer un nombre grandissant de visiteurs ces dernières années. En 2012, le festival a modifié sa formule et a commencé à intégrer à sa programmation des artistes populaires issus de l’extérieur des milieux autochtones, ayant des affinités avec la culture autochtone. En 2016, Simple Plan, Koriass et Zébulon avaient enflammé la scène avec de nombreux artistes venus de différentes communautés du Québec et des Maritimes.

Le groupe de Maliotenam Maten en spectacle au festival Innu Nikamu

« Ça a brisé des murs », se félicite M. Hervieux, ravi de voir des citoyens tant autochtones que non autochtones célébrer ensemble sur le rythme de la musique, dans la petite communauté. Cette année-là, un nombre record de personnes se sont rendues au festival : 8500 personnes s’étaient toutes réunies grâce à leur amour pour la musique.

« Des gens de la ville d’à côté me racontaient que pendant 30 ans, ils pensaient que Innu Nikamu, c’était une beuverie », indique-t-il, en rappelant qu’il ne se vend pas d’alcool sur le site. « Avec les artistes que l’on a eus, ces gens-là ont trouvé le courage de venir voir ce que c’était », complète l’homme de 24 ans.

Le festival a un impact considérable sur la communauté, une des raisons qui ont poussé Kevin Bacon Hervieux à vouloir produire le documentaire sur celui-ci intitulé Innu Nikamu : La grande tradition. « Ce festival a été créé peu après la destruction du pensionnat. Les Innus étaient perdus. Ce festival-là a été une des premières actions posées par les Autochtones pour se redonner un peu d’identité. »

Le pensionnat dont parle Hervieux fait référence à une sombre époque de l’histoire des autochtones. Celle-ci s’est étendue de la fin du 19e siècle à 1996 et a vu de nombreux enfants de communautés autochtones être contraints à fréquenter des pensionnats loin de leurs familles dans le but de se faire assimiler. Le site du festival se trouve d’ailleurs à l’emplacement exact d’un ancien pensionnat qui a été démoli. « Je n’imagine pas ma communauté sans Innu Nikamu », dit Hervieux.

Bande-annonce du documentaire Innu Nikamu : La grande tradition.

« Nous on a cette chance-là et ce que ça apporte à notre communauté, c’est énormément de vie, de la fierté, ça apporte une tribune et ça amène une éducation dans la communauté qui découvre autre chose et qui s’ouvre au monde. »

— Kevin Bacon Hervieux

Reste que ce succès sur la Côte-Nord ne semble pas encore faire des petits dans la grande ville de Montréal, plaque tournante de la culture au Québec. Selon lui, il s’agit de la prochaine étape pour permettre le rayonnement de la musique des différentes communautés. « Je crois que ce serait une bonne idée, non seulement de faire un festival de musique autochtone à Montréal, mais que cela puisse servir de pont vers les réserves et vers les communautés plus éloignées. » Si le festival Présence autochtone a réussi à se faire un nom depuis ses débuts au tournant des années 90, Hervieux trouve que l’événement est très centré sur le tourisme et sur Montréal. « Je n’ai pas l’impression que l’on invite les gens à se déplacer, » dit-il.

De l’aide à portée de main

Pourtant, le Cercle des Premières Nations est loin d’être la seule initiative à Montréal qui souhaite aider ces artistes à se tailler une place dans l’univers de la musique dans la métropole.

En effet, depuis 2006, la relève autochtone peut compter sur Musique nomade, une association à but non lucratif, qui offre des services d’enregistrement professionnel en studio ainsi que de l’aide pour réaliser le tournage de vidéoclips. Sur leur page web, il est possible de découvrir de nombreux musiciens autochtones issus de partout au Québec. Rock, hip-hop, musique électronique, slam, le site agit comme une véritable mine d’or de talents pour quiconque ose s’y aventurer. Musique nomade, fondée avec La Maison des cultures nomades par Manon Barbeau, « a pour mission de soutenir la relève autochtone et la diversité culturelle, tout en favorisant les rencontres interdisciplinaires et celles entre artistes autochtones et non autochtones », selon leur site internet.

Wapikoni mobile, un organisme à but non lucratif, offre aussi des services d’enregistrement audio pour les musiciens. Selon son site internet, ce sont plus de 4300 jeunes qui ont eu une formation en cinéma documentaire ou en enregistrement musical depuis sa fondation en 2003. Wapikoni mobile se déplace vers les communautés afin de rendre leurs services encore plus accessibles.

D’autres plateformes favorisent aussi l’émergence de la musique autochtone à Montréal. Entre autres, l’émission le Rythme, présentée à APTN, est un documentaire de 13 épisodes de 30 minutes qui démontre le chemin de 8 artistes autochtones vers l’enregistrement de leur premier album en groupe et vers un grand spectacle. Les participants sont choisis lors d’une ronde d’audition et ont ensuite droit à une formation intensive ainsi qu’à des conseils de professionnels afin de peaufiner et de partager leur talent.

Trois saisons de l’émission Le rythme ont été produites. CRÉDIT PHOTO

Cette émission, qui en est déjà à sa troisième saison, a pour but principal l’accomplissement et le dépassement de soi. Il ne s’agit pas d’un concours avec processus d’élimination. Ces artistes âgés entre 18 à 30 ans sont des chanteurs, des compositeurs ou des interprètes autochtones. Ceux-ci doivent faire une performance devant public pour la grande finale de l’émission.

Enfin, le festival Présence autochtone, qui a lieu à Montréal du 2 au 9 août prochain, présente aussi de la musique autochtone. Toutefois, celui-ci demeure principalement un rassemblement dédié aux œuvres audiovisuelles.

Talent à profusion

Il n’en demeure pas moins qu’il est très difficile pour les artistes autochtones de se tailler une place dans le milieu musical montréalais. Il reste alors beaucoup de travail à faire afin d’avoir une scène musicale complètement autochtone dans la métropole.

Gustavo Zamora Jiménez est également d’avis que les Autochtones ont beaucoup de talent, mais il croit qu’il y a encore un certain manque dans la métropole à travers des scènes plus contemporaines. « Les seuls groupes complètement autochtones, c’est les tambours cérémonials », explique-t-il en parlant de la réalité montréalaise.

« Des groupes complètement autochtones, je sais que cela existe à Ottawa, je sais que ça existe dans les communautés autochtones, mais à Montréal, je ne connais pas un groupe complet formé par des musiciens autochtones. »

— Gustavo Zamora Jiménez

« Je pense qu’un événement ce serait bien, déclare Hervieux. Il y a beaucoup de choses qui se passent à Montréal avec des Autochtones. Il y a une ouverture. La vision que j’ai de la présence des Autochtones sur les scènes à Montréal elle est constructive et optimiste. Ça pourrait être mieux, mais il y a déjà une belle ouverture. Ce n’est pas négatif du tout, mon impression à moi. C’est énormément mieux qu’avant », mentionne-t-il.

Pour la chargée de projet de Musique nomade, Joëlle Robillard, il n’y a aucun doute sur le fait que les communautés autochtones regorgent de talents. Elle admire comment les artistes réussissent à mélanger leurs langues autochtones, le français et l’anglais et ce, dans une panoplie de style afin de créer un métissage riche. Selon elle, il y a « souvent beaucoup d’histoire et de tradition dans les chansons également, les artistes autochtones utilisent un bagage différent de ce qu’on peut être habitué d’entendre chez nos artistes contemporains, de par leur histoire, de par leur environnement, leur rapport à la nature, etc. »

« Plus il y aura un désir de découvrir cette musique, conclut-elle, plus les auteurs-compositeurs-interprètes autochtones auront une place naturelle dans le paysage musical et pas seulement [parce qu’ils auront] une étiquette autochtone, mais pour le talent incroyable de ces artistes. »

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