Comment j’ai crashé une startup pendant mes études.

Pierre GUILBAUD
Content Studio
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9 min readOct 10, 2018

Septembre 2014, je fais mes premiers pas en école de commerce. En première année du programme grande école, on nous demande de créer un groupe de 6 personnes afin de développer un projet qui sera noté en fin d’année.

Avec 6 amis, nous décidons d’organiser une course d’auto-stop en France. Bien évidemment, l’administration refuse pour des raisons de sécurité et malgré plusieurs itérations du concept, cela ne passe pas.

Nous passons donc d’un état d’excitation et d’inspiration à une phase de procrastination qui durera 4 mois. Alors que la plupart des groupes commencent sur des chapeaux de roues, nous appliquons la politique de l’autruche.

Au mois de décembre, une personne du groupe nous fait découvrir le concept du Sightjogging provenant d’Italie : Visite touristique sportive, alternant le trottinement et les commentaires sur les monuments.

En bref, l’idée était de faire découvrir la ville de Toulouse à des touristes par le biais de jogging. On trouve le concept assez sympa, et ça, l’administration accepte.

Concept validé en décembre, oral de projet en mai, tout va bien.

Tellement bien que la procrastination reprend sa place au profit de notre investissement dans la vie associative de l’école.

Nous sommes alors fin mars, et nous n’avons ni itinéraires, ni connaissances culturelles de la ville de Toulouse, ni même une idée de stratégie pour mener à bien ce projet.

Nous rentrons alors dans ce mode bien connu de tout étudiant, la pression avant la deadline, celle qui rend efficace et productif en un temps réduit.

En quelques jours, nous élaborons 2 itinéraires associés à des fiches pour bachoter une vingtaine d’anecdotes culturelles et nous lançons une page Facebook. La semaine qui suit, il est possible de s’inscrire à la première séance via un spreadsheet publié sur notre page.

Sans le savoir, on a créé un minimum viable product tant apprécié en entrepreneuriat. Un moyen simple et efficace de tester notre idée. On commence avec des groupes d’étudiants, le concept plaît, les retours sont positifs.

Nous sommes alors à quelques semaines de l’oral du projet qui a un poids conséquent dans notre passage en seconde année. Il faut faire prendre de l’ampleur au projet, il faut de la matière, sinon ça ne passera pas. Et c’est là que l’idée nous tombe dessus…

Nous allons faire une campagne de crowdfunding. Cela nous donnera de la visibilité et une vitrine sympa à présenter le jour de l’oral. Un crowdfunding d’accord, mais on demande combien ? Et pour quoi faire d’ailleurs ? Mais on va donner quoi en contrepartie ?

Un brainstorming et un benchmarking des sites de financement participatifs plus tard, on lance notre campagne en 2h sur KissKissBankBank, la voici. On demande 1130€ pour sous-traiter la création d’un site internet, imprimer des flyers, se faire des polos à notre image et pourquoi pas commencer à bosser sur une app (Sait-on jamais…).

En contrepartie, un éternel merci, une session de Sightjogging ou encore le logo de votre entreprise sur nos tenues de guide. On a bien sûr commencé par harceler nos amis et nos familles, mais l’expérience est tellement locale que ça suffit à peine à remplir 30% de l’objectif.

Il nous fallait de la visibilité, alors on est passé à la vitesse supérieure.

Nous avons passé 2 soirées à contacter plus de 200 pages Facebook Toulousaines pour leur présenter notre concept. Le message est simple : On est jeune, dynamique et on souhaite faire briller le magnifique patrimoine culturelle de la ville rose. On a clairement forcé, Facebook nous a même bloqués pendant quelques heures.

Les pages commencent à partager notre concept et c’est là que l’effet boule de neige prend. Nous sommes en avril 2015, c’est le début des beaux jours, le concept apparaît au timing parfait. Mon téléphone sonne tous les matins aux environs de 9h pendant une semaine: “Allo, c’est le magazine ELLE”, “Allo, c’est le Figaro”, “Allo, c’est Virgin Radio”, “Allo, c’est…”. Ca n’en finit plus.

Nous profitons de cette couverture médiatique qui nous offre une belle crédibilité instantanée pour obtenir un partenariat clé : Décathlon. Il ne suffira que d’un email pour convaincre l’enseigne de nous habiller de la tête aux pieds en Kalenji. On voulait de la matière, en voilà.

7 jours et 47 contributeurs plus tard, la campagne est complétée. Et pas uniquement avec des particuliers, plusieurs entreprises locales ont cru en notre projet et l’ont soutenu pour voir leur logo floqué sur nos tenues.

Nous continuons à organiser une séance par semaine. Les participants ne sont pas seulement des étudiants mais aussi des locaux qui redécouvrent leur ville de manière ludique.

Mi-mai 2015, l’oral du projet se passe évidemment à merveille. On ressort avec un 18 et une phrase de notre tuteur : “Vous êtes peut être assis sur une mine d’or”. L’idée de créer une entreprise commence à germer.

Nous entrons alors dans une période d’examens de fin d’année, ce qui nous fait oublier cette aventure pendant près de deux semaines. Jusqu’au jour où je reçois un coup de téléphone : “Allo, je suis journalise chez TF1, nous aimerions venir filmer votre concept pour le JT de 20H”.

Tournage dans 10 jours. On n’a ni site internet, ni statuts légaux. Ah oui parce que cette annonce sur TF1 nous donne l’impression que l’on se doit d’être officiel. J-10 : C’est parti pour le sprint.

Sans vraiment réfléchir, un ami expert comptable nous rédige les statuts d’une SAS à 6 co-fondateurs. Nous ouvrons un compte en banque professionnel. On essaie de faire sortir de terre un site sur wordpress en utilisant weezevent pour vendre des billets à 15€ la session. Nous recrutons des figurants représentatifs pour le tournage afin que tous les téléspectateurs puissent s’y retrouver. On profite de la médiatisation pour négocier une subvention auprès de notre école, 1500€, qui couvriront nos premiers frais.

On se fait même faire des cartes de visite, au cas où. A ce moment là on ne le sait pas encore, mais on va droit dans le mur.

Le tournage se passe très bien, le concept est mis en valeur et les témoignages sont élogieux. Il nous reste alors un peu de temps pour finaliser le site pour le jour J.

Deux semaines plus tard, une soirée chaude d’été, 20h30, nous passons au JT de 20h. Nous avons les yeux rivés sur la TV et notre site internet. Le reportage se termine, très sympa, et ensuite, RIEN. Rien ne se passe, pas une réservation, pas un email, rien.

A ce moment là ce qui est incroyable c’est que ta famille et tes amis pensent que tu as réussi, ce qui est parfait pour flatter l’ego. Alors qu’en réalité, nous n’avions encore rien fait.

Petite déception, mais on ne baisse pas les bras pas pour autant. Nous discutons vision et conquête du monde. En plein boom de l’uberisation, l’idée apparaît alors évidente : Nous allons devenir le blablacar du Sightjogging.

A ce moment là, nous avions fait payer notre prestation à seulement une poignée de personnes. Nous ne savions pas vraiment qui était notre cible, quelle était la taille du marché ou encore si notre business model était viable. En somme, nous n’avions pas de bases solides, mais nous visions déjà la lune.

Nous passions donc d’un modèle où nous étions les guides à un modèle de type Marketplace où des sportifs locaux pourraient s’inscrire et proposer des visites sportives de leur ville. Qui dit Marketplace, dit besoin de créer une plateforme, recruter des guides et se faire connaître du grand public.

C’est alors sûr dans nos têtes, nous n’avons pas le choix, il va falloir lever des fonds.

C’est l’histoire de 6 associés qui cherchent à lever des fonds…

Après des heures de discussions complexes, nous convenons que pour la viabilité du projet nous devons passer de 6 à 3 associés. Le choix se fait sur le temps que chaque personne pourra accorder au projet.

Nous nous retrouvons donc à 3 sur le papier, mais toujours 6 sur le projet. Nous passons alors l’été à travailler sur les mockup de cette plateforme qui permettra à n’importe qui de réserver une visite sportive d’une ville. Et puisque nous travaillons à la mise en place de cette nouvelle vision, nous décidons d’arrêter d’être guides nous-même afin d’éviter les confusions entre les deux concepts.

Nous voilà en septembre 2015. Un compte en banque pro, une SAS, 3 associés, un mockup de la plateforme sur powerpoint et un nom : Guidmee. Nous décidons alors de rencontrer plusieurs prestataires pour réaliser notre projet, mais aucune ne semble faire l’affaire.

Après presque 2 mois de recherches, nous engageons un freelance qui aura pour objectif de créer la plateforme tout en formant l’un d’entre nous. La collaboration commence bien mais celui-ci arrête de nous donner des nouvelles au bout de quelques semaines. Il décide d’arrêter sans prévenir avec une plateforme terminée à 40%.

Retour à la case départ. En parallèle, nous poursuivons nos études et sommes très impliqués dans la vie associative de l’école. Il est de plus en plus difficile d’allouer du temps au projet.

Puis en janvier 2016, nous rencontrons un étudiant de notre école qui pourrait potentiellement créer une V1 correcte. La machine est relancée.

En attendant nous avons totalement arrêté l’activité. Ce qui réduit l’impact de toutes les retombées média à zéro.

Problèmes techniques après problèmes techniques, les mois passent et la date de lancement ne fait que se repousser.

Il est temps de faire des prévisions sur les 3 prochaines années. Le modèle est simple : Un sportif local propose une session à 10€ par personne, nous prenons 10%. Le nombre de participants moyen serait de 3, nous gagnons donc 3€ par session. C’est exactement le même modèle que Blablacar ou Airbnb. La différence c’est que leur panier moyen est beaucoup plus élevé et donc leur commission aussi. De plus, ils répondent à une vraie problématique : Se déplacer et se loger.

Nous retournons les chiffres dans tous les sens mais nous ne n’atteignons jamais la viabilité financière.

Pour réussir, il faudrait faire un volume monstrueux, et donc dépenser des sommes astronomiques en Marketing. Le petit hic c’est que notre concept ne solutionne pas un problème, c’est plutôt un nice to have.

Alors pivot ? Pas pivot ? Nous sommes en Avril 2016, la V1 voit le jour, elle ne paie pas de mine et ne donne pas du tout confiance. Nous nous essoufflons et peinons à créer un momentum. Nous réfléchissons alors à passer sur un model B2B qui a déjà fonctionné dans le passé. Mais nous nous écartons de notre vision, de nos envies et la motivation baisse.

Mai 2016, nous ne sommes plus qu’à un mois de notre année de césure, il est temps de faire un choix. Après une longue discussion, nous décidons à l’unanimité de nous arrêter là et de profiter de la césure pour vivre de nouvelles expériences.

Voici les questions sur lesquels j’aurais aimé être challengé pour éviter de crasher notre startup :

  • Est-ce que tu résous un vrai problème ? Est-ce que les gens souffrent et sont prêts à payer pour ta solution ?
  • Est-ce que vous êtes complémentaires ? Avez-vous la même vision ? Les mêmes envies ?
  • Combien de temps êtes vous prêts à donner sur ce projet ? Cela va t-il être votre priorité ?
  • Quelle est votre cible ? A quel point la connaissez vous par cœur ? Décrivez moi votre avatar.
  • Quels sont vos KPIs ? Arrêtez de suivre des vanity metrics : Facebook likes, Retombées presse..
  • Est-ce que votre business model est vraiment viable ? Avez-vous testé votre proposition de valeur en B2B ?
  • Restez focus sur le cœur de votre activité. Si c’est de faire découvrir une ville en faisant du sport, continuez à le faire. Faites rentrer de l’argent et développez la plateforme en parallèle avec les retours de vos clients.
  • Apprenez à coder, faites la plateforme vous-mêmes.

Et une des plus importantes aujourd’hui : Quel impact aura ma startup sur la planète ? Si créer de la croissance est égale à détruire l’environnement, à quoi bon ?

Mais honnêtement, je ne regrette rien. Cette aventure a été super riche et intense sur le plan professionnel et personnel. Je pense qu’il n’y a rien de plus puissant que de faire une erreur et de la comprendre pour acquérir un savoir et une compétence sur le long terme.

A la suite de cette expérience j’ai eu l’opportunité de travailler dans des incubateurs en Australie, en Inde et dans une startup aux Etats-Unis. Aujourd’hui, je prend un réel plaisir à accompagner des entrepreneurs dans le développement de leurs projets.

Si l’entrepreneuriat vous intéresse et que vous souhaitez lancer un projet, je vous conseille d’aller faire un tour sur La Boîte Numérique. La plateforme référence plus de 250 outils digitaux classés par objectif pour vous aider à développer vos projets.

PS : N’hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous avez pensé de cette expérience.

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