#1 Conversation avec un UBER

Anne-Sophie Schimpf
Conversations rapportées
7 min readMar 2, 2016

J’ai toujours été très bavarde. Alors je n’hésite jamais à engager la conversation. On apprend toujours des choses très drôles. Et puis, ça permet de découvrir des personnalités originales.

Conversation rapportée d’un vendredi soir, 3:20.

Mr UBER : “Alors, c’était bien la soirée ?”

— Oui, c’était vraiment sympa. Merci beaucoup à vous d’être là, maintenant on peut rentrer dormir tranquillement !

— C’est normal, y a pas de soucis (rires). Y a des bonbons derrière, si vous voulez.

— Oh ! Merci. C’est une règle d’UBER que de toujours proposer des bonbons dans sa voiture ?

— Bah oui, c’est un petit plus, un bonus ! Ca fait plaisir, non ? (rires encore)

— C’est vrai, j’aime bien. C’est chaleureux. Vous continuez comme ça toute la nuit, à faire des rondes ?

— Oui, je travaille depuis 19–20h et jusqu’à 8h tous les week-ends.

— D’un côté, vous avez raison, c’est là où il y a plein de gens qui sortent. Vous devez avoir toutes les personnes encore à moitié saoul, ça doit être marrant à voir !

— C’est cool oui, les gens sont sympas, vous voyez, il y a une bonne ambiance ! Le jeudi soir aussi, c’est pareil.

— Ah bah oui, jeudi, soir de l’apéro ! Et ça vous plaît d’être UBER ?

— Bien sûr ! J’aime conduire, donc je fais ce que j’aime, je fais des rondes, on rencontre des gens, je gagne bien mon argent, c’est facile, et je rends service. Il y a un contact, vous voyez. Je peux discuter avec les clients, y a pas de cadre formel à respecter. Comme avec vous, là. J’aime bien la nuit. C’est vivant. Parfois, le jour, c’est vrai que… (Il fait un petit signe “Couci-couça” de la main)

— Ah les embouteillages, j’imagine, ça doit être horrible ! En plus je suis sûr qu’il y a toujours des parisiens pour être super stressés et mettre la pression, non ?

— Eh oui ! Ils sont pas patients, les gens, aujourd’hui. En plus, parfois sur la route c’est du grand n’importe quoi. Mais je les ignore, moi, ces gens-là ! Je les regarde pas dans le rétro et je me concentre sur la route.

— Le pire, c’est les chauffeurs de bus je pense. Quand je les vois dans des petites rues, avec leurs manoeuvres impossibles, je suis complètement angoissée pour eux. A chaque fois je me demande s’ils vont y arriver.

— C’est pas facile, de conduire un bus. C’est très gros. C’est pour ça que je suis bien, moi, avec ma voiture. Et les gens s’y sentent à l’aise. Moi je prends soin de ma voiture pour qu’elle soit confortable. J’aime bien qu’on me dise qu’elle est bien. Et les gens, quand ils sont bien, ils bavardent. Le soir ils racontent des blagues, on rigole.

— Et vous êtes un UBER à plein temps ? Tout le temps ? C’est pas trop fatiguant ?

— Oui, dans l’année, je fais ça. A la base, je suis chauffeur de bus de tourisme, je continue à faire ça pendant les grandes vacances ou parfois de petites vacances.

— Bus de tourisme ? C’est cool ça! Ca doit être mille fois mieux que bus RATP. C’est pas trop dur ?

— Bus RATP c’est le suicide. Enfin, moi, je peux pas. Le matin, surtout, les heures de pointe, et le soir, ça claxonne de partout, c’est l’enfer. Vous même vous disiez que ça vous angoissait. Non, chauffeur de bus tourisme, ça n’a rien à voir, c’est super cool.

— Mais c’est gros aussi, à conduire, comme bus. Encore plus gros, même.

— Oui mais on ne conduit pas énormément en ville. Et jamais aux heures de pointe. Avec un bus de tourisme, ce qui est génial, c’est qu’on voyage. On emmène un groupe, on voit du pays. C’est aussi comme ça que j’ai voyagé dans plein de pays en Europe.

— Ah ouais, je vois ! C’est génial de pouvoir voyager comme ça avec son boulot. Mais vous devez aussi voyager de nuit, non ?

— La nuit, c’est pas un problème. Les gens dorment, j’éteins les lumières derrière, je mets mes écouteurs, la route est calme. Je suis seul au monde, et je me fais des films avec les paysages que je découvre. C’est agréable d’être tranquille.

— Et vous avez l’hôtel et les restaurants aussi ?

— Bien sûr ! Je voyage gratuitement. Et en plus j’y suis traité comme un roi ! Déjà, mon groupe, il me traite avec plein de respect. Les clients savent que c’est moi qui les emmène partout. Alors ils me sourient, sont gentils. Et quand j’arrive au restaurant du groupe, j’ai ma propre table, les serveurs m’appellent “Monsieur”. Attendez, “Monsieur”, quoi ! Rien à voir avec le grec “Alors, la sauce blanche chef ?” (rires)

— Et l’hôtel aussi, gratuit ?

— Tout. Je conduis, je mange et je dors bien. Quand j’arrive à un endroit et que je lâche le groupe, j’attends, je peux me balader. Je visite aussi. Comme dit, je vois du pays !

— Et, alors, je suis curieuse : vous avez déjà eu des groupes chinois ? Sans racisme, hein. Comme ma mère est chinoise, je les connais bien. Ils me font super rire.

— Ah oui, les chinois, y en a tout le temps. Ils arrivent par masse !

— Et ils sont toujours efficacité maximale, non ? Du genre il faut aller à dix endroits différents dans la journée.

— Ah ça, oui, on rigole pas avec eux. L’itinéraire, il est tracé du début jusqu’à la fin. Super timing. On part, on enchaîne. Mais c’est bien, ils ne posent pas de questions. Ils hochent toujours la tête et sourient. Ils sont très gentils, je les aime beaucoup, moi. C’est agréable de travailler avec eux. Pas de retard, ponctualité, promesse tenue et ils rincent bien à la fin.

— C’est vrai, vous demandez toujours un petit pourboire à la fin ?

— Evidemment ! C’est la moindre des choses. Chacun donne un quelque chose. Ca me fait mon argent. Les chinois, généralement, ils donnent bien. En plus, parfois, quand ils te demandent un petit service et que tu le fais, ils te récompensent généreusement. C’est vraiment gagnant-gagnant, j’aime cette mentalité.

— Ca fait un peu pot de vin, dit comme ça, hahaha.

— Mais non, c’est le pays, c’est la culture ! Faut pas penser corruption tout le temps (rires)

— Et alors, quel est la nationalité la plus radine que vous ayez connue ? Y a des gens qui font leurs gredins et refusent de donner un pourboire ?

— Eh bien, pour être tout à fait honnête… Y en a, y en a. Bon, je fais pas de généralités, hein, mais les pakis et les indiens, parfois y en a qui m’ont tapé sur les nerfs.

— Ah bon ? Allez, racontez ! On arrive bientôt, mais je veux savoir.

— Bah certains croient qu’ils peuvent me filer sous la patte. Par exemple, quand on arrive à l’hôtel, c’est moi qui porte les valises pour tout le monde. Je charge, je décharge. Y a au moins une valise par personne, et certaines valises…

— Ah oui, il y en a toujours pour ramener toute leur maison avec eux. On sait même pas pourquoi ils ramènent autant.

— C’est ça. Ca pèse des tonnes. Alors, ça, c’est fixé à 20€ normalement, chacun. Et des indiens, bah ils courent jusqu’à l’hôtel et font semblant qu’ils m’ont pas vus. Ils croient pouvoir m’échapper, comme ça. Mais non, non, on ne me berne pas comme ça, moi, faut que j’aille les chercher.

— Vous allez les chercher, vraiment ?

— Il faut ! Je porte leur valise et ils hochent la tête et s’empressent de partir. Non mais oh, ils croient qu’ils vont me la faire, à moi, celle-là ? Alors non, je les rattrape et je leur dis clairement “Hey, you forgot the money.”

— Et qu’est-ce qu’ils répondent ? Ils doivent avoir honte, non ? C’est drôle de se dire qu’ils se font attraper comme ça.

— Certains cachent bien leur jeu. Ils me font des “Ooooooh I forgot, sorry”. Sorry mes fesses, ouais. Je le vois bien, moi, que ça les saoule et qu’ils me donnent cet argent à contre-coeur. Mais je m’en fiche, j’ai mon argent, je le prends et je les laisse.

— Je pense que vous ne pouvez pas négocier pour choisir la nationalité du pays que vous transportez dans votre bus ?

— Non, pas vraiment, mais y a des classements entre chauffeurs. Comme une hiérarchie. On commence par là, on termine ici, c’est honnête. Mais après, généralement, c’est que quelques personnes dans le groupe qui sont comme ça. Les autres sont sympas. Et puis, avec le temps, on apprend à devenir insensible à ça. Alors on dit juste les choses clairement, et on se réjouit quand on transporte des personnes agréables. Rien que pour elles, je suis content de faire mon métier.

— Ca, c’est une vraie parole d’humaniste. J’aime beaucoup. Tiens, j’habite juste la prochaine à droite.

— Et voilà, on y est. Rentrez bien, mademoiselle.

— Merci beaucoup ! Bon courage pour la suite de votre soirée. Et rigolez bien avec les prochains !

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Merci !

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