#4 Conversation avec un hypnotiseur

Anne-Sophie Schimpf
Conversations rapportées
10 min readJun 14, 2016
Fixez le point noir au centre.

J’avais vu un de ces spectacles l’année dernière. On avait invité un hypnotiseur dans notre école. On s’était dit que ça allait être marrant. Et c’était absolument bluffant.

Il avait réussi à faire oublier leur prénom aux gens. A les faire redevenir successivement des foetus, des bébés, des enfants qui font une fête d’anniversaire. Il les faisait vivre mille émotions. Il les faisait voyager à la plage, dans un cinéma. Il les faisait danser de la danse orientale alors même qu’ils n’en avaient jamais fait.

Un claquement de doigts et hop, ils s’endormaient. Il les manipulait à sa guise.

Ce soir-là, Je ne reconnaissais aucun de mes amis. Je savais que rien n’était truqué. Eux n’en ont eu aucun souvenir. Seulement un sentiment de bien-être et de relaxation intense. Je n’en croyais pas mes yeux.

Alors, encore intriguée, un an plus tard, je lui ai écrit. Ma curiosité ne tenait plus en place. Il a proposé de s’appeler.

Conversation rapportée d’un appel téléphonique, un vendredi après-midi.

Moi, quelque peu hésitante, probablement intimidée surtout, mais extrêmement reconnaissante : “Je te remercie vraiment de m’avoir répondu! Je sais que tu es très occupé, je ne veux pas te prendre du temps. Mais c’est juste que je ne me remets toujours pas de ce que j’ai vu l’année dernière. Je trouve ça fascinant, l’hypnose, très honnêtement. Ca ne te dérange pas de m’en parler ?

— Pas du tout, ne t’inquiète pas. Au contraire. En réalité, tu sais, j’apprécie beaucoup ta démarche. Généralement, les gens sont très curieux par rapport à l’hypnose. Ils n’y croient pas vraiment, et pourtant ce qu’ils voient n’est pas du bluff. Ils sont toujours là “Explique-nous comment tu fais”, mais pourtant je les vois qui restent sur le côté. Comme à l’ESSEC, après le show, dans l’amphi. Je voyais que beaucoup étaient restés, ils voulaient me poser des questions, mais ils n’avaient pas assez d’ouverture d’esprit, il y avait comme une certaine réserve.

— Ils n’osent pas poser de questions, ils ont probablement peur que tu les hypnotises à leur insu ?

— Probablement, oui ! Ils ont peur. Ils pensent que c’est surnaturel. Ils n’y croient pas mais ils croient ce qu’ils voient. En eux, il y a un blocage quelque part.

Moi : — En même temps, je les comprends. Ca paraît dingue, même paranormal, l’hypnose.

— Tout repose pourtant sur une simple connexion entre l’esprit et le corps.

— Et alors, toi, comment as-tu découvert l’hypnose ? Comment ça t’est venu ?

— Eh bien, d’abord, je suis issu d’une famille de médecins. Je suis né en Thaïlande, mon père est laotien et médecin, ma mère vietnamienne et sage-femme, et ils pratiquaient tous les deux la médecine asiatique. C’est dans ce milieu que j’ai pu approcher les pratiques de certaines disciplines liées à l’énergie : l’acupuncture, le chakra par exemple. Mes parents m’ont enseigné à ça dès mes 13–14 ans, ils m’ont ouvert à la notion d’énergie, au chakra. Je ne sais pas si tu t’y connais un peu : il y a différents types de disciplines liées à l’énergie ; celle qu’on pratique, c’est celle de l’énergie universelle, le Reiki, le Chigong. Je ne sais pas si tu connais cette notion asiatique du Chi, présente un peu partout en Asie sous différentes appellations, mais qui représente une même chose : l’énergie intérieure qu’on peut cannibaliser et libérer. C’est le cas dans les arts martiaux par exemple, ils libèrent leur Chi quand ils se battent.

— D’accord, tu as donc baigné dans un milieu bien propice…

— J’ai commencé comme ça, à travailler sur ces énergies, et donc à soigner les gens jusqu’à mes 18 ans, via le Reiki et le Chigong ; j’ai développé mes propres techniques. Et ensuite, ça a commencé il y a 10 ans, quand j’ai lu un article sur l’hypnose. J’étais comme tout le monde au début : “C’est quoi, l’hypnose?”, je n’y croyais pas vraiment. C’était un article sur les liens entre la relaxation et l’état d’hypnose et, d’un coup, en lisant cet article, j’ai tout compris. Tout a été clair dans ma tête. Ca a été comme une illumination, une révélation !

— Avec cet article ?

— Exactement. J’ai compris que la relaxation n’était que la première étape.

— La première étape ? Ce que tu faisais, avec le travail sur l’énergie…?

— C’est ça. C’est là que j’ai commencé à me pencher sur l’hypnose, à me passionner pour ça. J’ai commencé à faire des recherches, à m’auto-former tout seul : bibli, documentation internet. C’est fou, avec Internet on a accès à tout aujourd’hui.

— T’as tout appris tout seul ?

— Oui, je farfouillais partout, j’épuisais toutes les recherches que je pouvais trouver. C’est comme ça que je me suis créé ma propre méthode.

— C’est impressionnant, comme ça, tout seul. Et ça a marché ?

— Mon premier sujet a été mon cousin. Je voulais passer à la pratique, voir ce que ça faisait. Lorsque je l’ai endormi, j’ai été sous le choc : “Putain, ça marche vraiment!” Je n’en revenais pas. J’ai réussi à lui faire oublier son nom, je trouvais ça dingue. En plus, mon cousin a toujours été un mec sérieux, il n’était pas du genre à faire semblant. Je lui ai même fait oublier sa femme. Je l’ai amenée devant lui, il était incapable de la reconnaître! Elle avait d’ailleurs commencé à paniquer, elle ne comprenait pas et avait peur, et elle savait que mon cousin n’était pas du genre à lui faire une blague. Elle avait peur que je n’arrive plus à le réveiller.

— Et tu as réussi à le réveiller ?

— Après, oui, je l’ai réveillé. Il lui a fallu la nuit pour se remettre totalement je crois. Le lendemain matin, il était complètement revenu à la normale. Bien sûr, je le surveillais. Je ne voulais pas que ça laisse des séquelles ou autres. J’étais méfiant!

— C’est dingue, quand même !

— Et depuis ce jour-là, j’ai été convaincu que l’hypnose fonctionne. J’ai donc continué à le pratiquer, d’abord dans une optique de thérapie. Que ce soit pour traiter des problèmes corporels, comme le mal de dos, ou des problèmes de l’esprit, des troubles émotifs.

— Comment ça se passe, pour ces problèmes de l’esprit ? Tu rentres dans l’esprit des gens, simplement ?

— Evidemment, d’abord on discute avec la personne, on essaye de découvrir la nature de son problème, pour que je puisse ensuite entrer dans son esprit pour essayer de l’aider. Après, il y a des troubles d’ordre émotionnel, comme par exemple le stress lié au travail : la source du problème vient du conscient, et l’hypnose, elle, travaille sur le subconscient, comme la PNL et la sophrologie permettent de communiquer avec le conscient.

— D’accord, l’hypnose touche donc bien à tout…

— Oui. Enfin, disons qu’il y a plusieurs niveaux : le niveau corporel, la psychologie et la psychiatrie. Et l’hypnose agit dans le subconscient pour soigner l’esprit.

— Et tu as donc fait de la thérapie ?

— C’est ça, depuis 10 ans. Mais c’est ensuite, il y a 4 ans, que j’ai décidé de changer complètement de vie. Tu sais, j’ai eu une formation assez classique, comme toi : prépa, puis école de commerce, puis j’ai été consultant dans un cabinet en système de l’informatique. Mais j’ai décidé de faire un revirement dans ma carrière, de donner une tournure artistique à ma vie. J’ai décidé de me lancer dans le spectacle, et de faire des shows d’hypnose. J’ai ainsi pu me produire sur quelques scènes, j’ai été invité dans des écoles…

— Je suis quand même intriguée par l’hypnose. Ca me paraît toujours aussi fou. Comment ça marche, sur l’esprit, concrètement ?

— Le point essentiel, c’est le subconscient. En fait, il faut bien le comprendre : l’esprit a deux parties, le conscient, qui est la capacité à raisonner, la logique, dont le langage est en fait l’intellect ; et le subconscient, dont le langage est les images et les émotions. Et quand on sait ça, à partir de là, il suffit juste de mettre en oeuvre des techniques de communication.

— Ca a l’air simple, dit comme ça. C’est-à-dire que n’importe qui pourrait apprendre l’hypnose ?

— Bien sûr ! Aujourd’hui, la connaissance sur l’hypnose est partout, avec Internet. Il y a des sites, des articles, des tutoriaux sur Youtube…

— Des vidéos tutoriaux d’hypnose sur Youtube??

— Evidemment ! Le meilleur prof d’hypnose, aujourd’hui, c’est Youtube ! Même des ados de 13–14 ans peuvent très bien apprendre l’hypnose. J’en connais quelques-uns, et parfois ils me demandent des conseils, je les guide. Je joue un peu le rôle de grand frère, mais ils se débrouillent vraiment très bien !

— 13–14 ans ? Si jeunes ?

— En soi, comme pour tout, il y a un cheminement à connaître, et après c’est possible de le faire soi-même.

— Et qu’est-ce qu’il se passe quand une hypnose se passe mal ? Si elle est mal contrôlée ?

— Je dois t’avouer que ça ne m’est jamais arrivé, mais j’imagine qu’on peut essayer d’endormir quelqu’un sans réussir à le ramener à la conscience, ou suggérer des troubles. C’est pour ça que je suis contre les hypnotiseurs de rue, ils font ça pour impressionner, sans forcément tout contrôler, et ils n’ont pas conscience des dangers.

— Mais c’est pas dangereux, que ce soit accessible comme ça ?

— Evidemment, c’est un problème, parce qu’à 13–14 ans, les ados n’ont pas forcément la maturité nécessaire pour comprendre ce qu’ils sont en train de manipuler… J’essaye d’encadrer un maximum ceux que je rencontre.

— Mais c’est horrible, et la personne peut être bloquée dans un état second, comme ça ?

— Après, ça ne m’est jamais arrivé. Généralement, on arrive toujours à réveiller. Tu sais, l’hypnose c’est un outil comme un autre, et on en fait ce qu’on veut. Aujourd’hui, on est dans un monde où tout le monde utilise déjà un langage hypnotique. Regarde la politique ou le marketing. Ca repose sur la même chose : le pouvoir de suggestion.

— Comment ça ? Il y a quand même une différence entre un discours et une hypnose…

— Eh bien, concrètement, l’hypnose fonctionne sur quoi ? Tout bêtement : j’envoie une suggestion, et la personne est encline à une suggestion plus grande. C’est pareil dans la vie courante : imagine, tu as besoin de quelques pièces. Tu vas voir quelqu’un. Si tu lui demandes des pièces tout de suite, tu as de grandes chances d’être ignorée. Par contre, si t’arrives avec un grand sourire, ce qui est déjà une suggestion visuelle!, et que tu demandes l’heure, on va te répondre. Et si ENSUITE seulement tu demandes quelques pièces, tu as plus de chance qu’on t’écoute.

— C’est comme la technique basique de la négociation… Faire une petite demande avant de se lancer sur celle principale. Faire accepter une petite chose avant de demander une chose plus grande.

— Exactement ! Eh bien, nous, en hypnose, c’est pareil. Tu te souviens de mon discours du début, au show ? J’ai commencé par un “Alors, l’hypnose, qu’est-ce que c’est?” J’employais déjà à ce moment-là un langage hypnotique.

— Ta tonalité, tu accentuais certains mots…

— Tout à fait, j’envoyais en fait des messages au subconscient. Si tu te souviens bien, je disais “Lorsque vous serez hypnotisés, vous…” C’est un ORDRE que je donnais aux gens. Ca paye pas de mine et pourtant c’est super puissant : le subconscient, c’est comme un disque dur, ça intègre tout. Le conscient le capte.

— Dès le début, vous faites accepter aux gens qu’ils vont être hypnotisés…

— Exactement. C’est comme ça qu’il faut commencer : faire en sorte que les gens lâchent prise. Alors, il y a tout un tas de trucs : les faire applaudir, les faire rire. On va dire “Wahou, ça va être cool!” L’hypnose fait moins peur : c’est bon, ils seront plus enclins à se laisser hypnotiser. Et c’est comme ça, qu’à un moment, progressivement, ils vont accepter mes suggestions. Et je peux donc commencer : “Tendez les bras”… J’entre dans le “compliance” en somme.

— C’est impressionnant. Je ne m’étais rendue compte de rien. Personne, d’ailleurs, je pense. Ca paraissait naturel. Et donc, maintenant, autre question : comment tu fais pour changer les choses dans l’inconscient ? Pour la thérapie ?

— Tu connais la notion d’ancrage ? Eh bien, c’est ça : on laisse quelque chose dans le subconscient, et ça reste là, même quand on revient dans le conscient. C’est comme ça que se pratique l’hypnothérapie.

— J’ai toujours du mal à comprendre…

— Par exemple, prenons les techniques d’association, qui est une des bases de l’hypnothérapie. On va prendre le cas d’une personne stressée, qui a la phobie de l’avion. On va lui faire un ancrage : à chaque fois, on va lui demander de joindre le pouce et l’index pour lui faire ressentir une certaine relaxation. C’est-à-dire qu’à chaque séance, on va essayer de faire intégrer dans son subconscient ce sentiment lorsqu’elle produira ce geste. Elle va associer “pouce contre index” et “relaxation” ensemble. Evidemment, ça se fait sur le long terme. Et comme ça, quand elle sera stressée, elle joindra son pouce et son index, et son subconscient qui a intégré que cela est associé à la relaxation, fera rejaillir effectivement dans le conscient cette émotion. Et la personne pourra être plus détendue.

— On associe une image, un souvenir à un geste…

— C’est ça.

— Comme la madeleine de Proust ?

— C’est un peu l’idée. On associe à un geste une émotion, pour que lorsqu’on reproduit ce geste, on soit submergé par cette émotion.

— Et, du coup, est-ce que l’hypnose peut rendre plus intelligent, pour exceller dans un domaine ?

— Eh bien, dans le sport, oui, les sportifs de haut niveau utilisent l’hypnose pour se dépasser, pour avoir des automatismes, des réflexes, confiance eu eux. J’ai aussi travaillé avec des danseurs par exemple, pour qu’ils se lâchent et aillent au-delà de leurs capacités, au-delà de toutes les barrières. Mais bon, après, l’hypnose va pas transformer un QI de 30 en QI de 120 !

— C’est vrai que ce serait trop simple !

— MAIS, voilà, l’hypnose permet de retrouver confiance en soi, d’apprendre à mieux gérer son stress. Ca permet d’évacuer plein de problèmes, de se libérer et de s’exprimer de manière décomplexée.

— Et c’est déjà beaucoup…

— C’est déjà énorme, oui.

Même au téléphone, je devinais son sourire.

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