#5 Conversation avec un enfant qui voyait ses grands-parents comme ses Bouddhas

Anne-Sophie Schimpf
Conversations rapportées
6 min readJul 25, 2016

C’était mon guide taïwanais local lorsque j’étais en Thaïlande. J’avais trouvé son histoire touchante. Lorsqu’il était petit, sa mère était partie en Thaïlande et il n’avait pas pu la suivre ; il avait dû rester avec ses grands-parents, à Taïwan.

Je ne sais plus comment on avait commencé à parler de la différence entre un bouddha et un dieu, mais c’est à ce moment-là qu’il m’a parlé de ses grands-parents et, quelque part, ses mots ont résonné en moi. Alors j’ai eu envie de les écrire.

En réalité, ce n’était plus un enfant, il avait déjà trente ans. Mais son cœur était resté celui d’un enfant. Plein de bonté, débordant de générosité. Il n’était pas insouciant, mais il avait encore ce regard candide de celui qui aime la vie et qui croit en elle. Il veut toujours être là pour les autres, et cette confiance en l’humanité sans borne qui l’anime m’a évoqué l’image d’un enfant qui gambade un peu partout, rit et pleure sans trop se poser de questions, laissant exprimer ses sentiments, simplement, honnêtement, sans subterfuges ni artifices ; juste naturellement.

Conversation rapportée sur le chemin de Bangkok à Pattaya, alors que tout le reste du groupe dormait dans le car silencieux

— Dieu, finalement, c’est une divinité, alors que Bouddha… Un bouddha, ça peut être un être humain. Oui, si on y réfléchit bien, n’importe quelle personne peut devenir un Bouddha, avait-il commencé.

— En réalisant des miracles, tu veux dire ?

— Non, pas forcément des miracles…

Je le voyais qui cherchait ses mots.

— Par exemple, ta Maman est une Bouddha à toi.

— Pardon ?

— Un Bouddha n’est pas nécessairement universel. Ca peut être une personne qui devient un Bouddha pour une autre personne, parce qu’elle a réalisé une grande oeuvre pour elle. Regarde, ta Maman t’a élevée, elle veille sur toi, se soucie de toi, elle t’a tout donné. Son amour est inconditionnel, donc en un sens elle est comme un Bouddha à toi. Moi, j’ai été élevé par mes grands-parents. Même si, quand j’étais petit, j’avais du mal avec ça, je ne comprenais pas ; en grandissant j’ai compris qu’ils avaient toujours voulu mon bien, ils m’ont tout donné sans jamais rien demander en retour, et ce sont mes Bouddhas à moi.

— Un amour sacrificiel, qui ne demande rien en échange…

— Oui, c’est ça. Dans toutes les relations qu’on a avec autrui, il y a toujours une attente, un échange. Mais ce n’est pas le cas avec les parents. Eux, ils donnent, sans rien vouloir en retour, si ce n’est notre bonheur. Ils veillent sur nous jusqu’au bout, sans qu’il y ait besoin de raisons à cela. Je l’ai compris seulement qu’à l’âge adulte, où j’ai réalisé à quel point mes grands-parents avaient tout fait pour moi, et c’est pour ça qu’aujourd’hui je veux veiller sur eux en retour, un peu pour les remercier.

— Même si tu as envie de vivre en Thaïlande, tu restes à Taïwan avec eux et fais des allers-retours…

— Je sais que je viendrais vivre ici un jour, j’adore ce pays. Mais pour le moment, il me reste encore quelque chose à faire à Taïwan. Je dois m’occuper de mes grands-parents, je ne peux et ne veux pas les laisser seuls.

— Tu préfères la Thaïlande à Taïwan ?

— Je ne sais pas, peut-être est-ce parce que lorsque je venais en Thaïlande, c’était toujours les vacances, et je retrouvais ma mère, mon demi-frère, alors qu’à Taïwan, tu le sais bien, les enfants travaillent tout le temps, même en été on a des cours particuliers.

— Ca n’a pas été trop dur, de vivre loin de ta mère ?

— Forcément, oui, au début, mais tu sais, finalement aujourd’hui je reviens assez souvent la voir. Avant, il m’arrivait parfois de venir deux semaines, même pendant les périodes de cours. Surtout en fac, je pouvais sécher les cours un mois entier pour venir ici.

— Ta mère ne t’en empêchait pas ??

— Ahah elle n’était pas forcément au courant ! Et mes grands-parents comprenaient, même s’ils n’approuvaient pas toujours.

— Tes grands-parents doivent être tellement adorables, à veiller en permanence sur toi. Ils doivent te chouchouter, non ?

— Ils étaient surtout très durs !

— Ah bon ? Mais pourtant, j’ai toujours l’image des grands-parents compréhensifs qui gâtent leurs petits-enfants…

— Ah non, les miens étaient sévères ! Très stricts. Je me faisais souvent engueuler. Et punir. Quand je faisais une bêtise, ils m’enfermaient aux toilettes.

— Ils t’enfermaient aux toilettes ??

— Oui, parce qu’à l’époque, l’interrupteur était haut, et j’étais petit — bon, je ne suis pas très grand aujourd’hui non plus, mais j’étais encore plus petit avant — donc ils éteignaient la lumière, ils m’enfermaient dans les toilettes et moi j’étais trop petit pour atteindre l’interrupteur, alors j’étais dans le noir. C’est pour ça que j’avais peur du noir quand j’étais petit. C’était horrible. (Il rit).

— Et maintenant, ça va ?

— Maintenant, ça va, je n’ai plus peur du noir.

— Ils ne t’enferment plus dans les toilettes ?

— Non, maintenant, je peux allumer la lumière tout seul, c’est bon. (On a ri tous les deux).

— Et aujourd’hui encore, ils sont durs envers toi ?

— Ah bah oui, toujours ! Enfin, je sais que c’est parce qu’ils s’inquiètent surtout pour moi. C’est pour ça que je ne bois jamais à Taïwan, parce que sinon, je ne peux pas conduire, et si mes grands-parents voient que je ne prends pas la voiture, ils vont savoir que je vais boire et se faire du souci, et je ne veux pas qu’ils s’inquiètent pour moi.

— Wahou, tu es bien sage !

— Oui, à 30 ans, j’écoute encore mes grands-parents ! Eux me voient toujours comme un enfant.

— C’est rare de voir des personnes si attentionnées…

— Avant, je leur en voulais beaucoup. Mais une fois adulte, j’ai compris que ce n’était que de l’amour qu’ils nourrissaient pour moi, et je ne pourrai jamais assez les remercier pour tout ce qu’ils ont fait pour moi… C’est pour ça qu’ils sont mes Bouddhas. Je les chéris.

— Je suis admirative, c’est vraiment adorable de ta part.

— Toi aussi, tu prends soin de ta Maman, tu sembles veiller sur elle, et tu voyages avec elle.

— Oui, c’est vrai. Je suis un peu comme toi. Mes parents ont été durs avec moi, mais j’ai compris que ce n’était que pour mon bien et qu’ils veulent le meilleur pour moi, alors je reste avec eux. C’est une vision purement asiatique, je suis bien plus chinoise de ce point de vue que les Occidentaux.

— En Occident, les jeunes quittent la maison à 18 ans pour être indépendants, non ?

— C’est un peu ça, on considère qu’une fois la majorité passée, l’enfant est adulte et doit veiller sur lui-même, les parents ont fait leur travail. Ca choque toujours mes amis étrangers, quand ils viennent ici, de voir que des jeunes peuvent rester habiter chez leurs parents jusque la trentaine passée !

— Il n’y a pas le mot dédié « attentionné envers les parents » (xiaosun en chinois) c’est ça ?

— Exactement, parce que cette conception est purement asiatique, confucéenne même. Mais moi, je suis restée comme ça, je considère que, maintenant que mes parents m’ont élevée, c’est à moi de veiller sur eux à mon tour. Je leur dois énormément, et je veux leur montrer que je suis assez grande maintenant pour prendre soin d’eux.

— Alors, ils sont aussi tes Bouddhas, non ?

A ce moment-là, j’ai regardé ma mère qui dormait sur le siège d’à côté, dans le car.

— Oui, c’est vrai. Ils sont mes Bouddhas.

Parce que derrière chaque personne il y a toujours des histoires inspirantes à découvrir, il ne faut jamais hésiter à aller vers l’autre et à lui parler. Quitte à demander “So, what’s your story ?” pour sortir des banalités et des mondanités. J’aime parler, et à chaque je rencontre des personnalités passionnantes, alors j’ai décidé de les noter, pour les partager et ne jamais les oublier.

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