Allo Houston ? Nous avons une bouteille d’eau qui flotte dans l’espace.

Cosmos for Humanity
Cosmos for Humanity | Français
10 min readAug 1, 2023

Pour moi et pour de nombreux membres de la génération Z, ce que représente la nature a toujours été lié à un sentiment contradictoire d’émerveillement et d’urgence. Alors même que nous découvrions les icebergs et les ours polaires, les tigres et les forêts tropicales, notre regard innocent et émerveillé sur le monde était immédiatement “profané” par la prise de conscience, généralement réalisée au détour d’une phrase, que tout cela était en danger. Un danger imminent, à l’échelle de l’évolution. Il est difficile de décrire cet étrange mélange d’émerveillement et de nostalgie qui a entaché notre découverte du monde, ainsi que l’écrasante prise de conscience que tout ce qui était merveilleux et inconnu était sur le point de nous être arraché des mains avant même que nous ne puissions y remédier.

L’espace a eu le privilège d’être exempt de ces sentiments. Pendant longtemps, il est resté l’ultime terre promise, le dernier refuge de la fantaisie et des possibilités infinies. Lorsque j’ai découvert que nous avions réussi à le polluer, ma capacité à être surprise par le comportement humain s’était depuis longtemps évanouie dans les égouts d’un nihilisme jubilatoire.

Mais je m’égare un peu… Commençons par le commencement.

Couverture du Time du 6 juin 1960 | Vol. LXXV №23

La course à l’espace, ou “Bob, Yvan, et si nous pouvions continuer la bagarre, mais sur la Lune ?”

Notre espèce a le don de se retrouver dans des environnements où elle n’est absolument pas adaptée. Nous n’avons aucun moyen de plonger à de grandes profondeurs ou de respirer sous l’eau, mais nous nous sommes obsédés par l’idée de poursuivre l’exploration des océans. Nous n’avons pas de sabots, de fourrure ni de poumons adaptés aux hautes altitudes, et pourtant des gens escaladent les plus hautes montagnes de la planète, pour le plaisir. Nous ne sommes pas équipés d’ailes et nous sommes trop lourds pour rester en l’air : et pourtant, nous avons construit des avions. Alors évidemment, avant même de savoir que c’était possible, nous avons commencé à rêver d’aller dans l’espace.

Les humains ont également une passion pour les conflits. Nous aimons les petits meurtres (de masse) “entre amis”, et la plupart des progrès technologiques ont été réalisés dans la perspective de pouvoir les utiliser pour se faire la guerre. Les spécialistes des sciences sociales ne savent toujours pas s’il s’agit d’un bug dans le système d’exploitation de l’humanité ou d’un comportement acquis. Quelle qu’en soit la raison, cela nous a incité à développer des technologies géniales, à l’image de leurs créateurs, en ce sens qu’elles ont un immense potentiel, tant pour faire le bien que pour faire le mal.

À l’époque où la technologie était suffisamment performante pour tenter d’aller dans l’espace, seuls deux acteurs internationaux pouvaient se le permettre : les États-Unis et l’URSS. Ils n’étaient pas du tout en bons termes, c’est le moins qu’on puisse dire, même s’ils venaient de remporter ensemble la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit a la particularité de s’être terminé sur le plus grand cliffhanger de l’histoire de l’humanité : deux bombes atomiques ont été lachées sur Hiroshima et Nagasaki, et l’on commence à se dire que cette-fois, technologiquement, on est peut-être allé un peu trop loin. Les scientifiques se sont rendu compte que si nous utilisions cette nouvelle technologie dans les guerres à venir, nous finirions par anéantir la majeure partie de la vie sur Terre, ce qui a donné lieu à la célèbre citation d’Albert Einstein :

“Je ne sais pas avec quelles armes se fera la troisième guerre mondiale, mais la quatrième guerre mondiale se fera avec des bâtons et des pierres”.

La guerre qui s’en est suivie a donc subi un changement de forme majeur et a été baptisée “guerre froide”.

La “froideur” (ou sa “fraîcheur”, qui n’avait rien de cool en l’occurence) de cette guerre est discutable puisque des millions de personnes à travers le monde ont perdu la vie dans des coups d’État organisés, des dictatures brutales et des guerres par procuration se déroulant en dehors du monde occidental. Ce que la bombe atomique a fait, cependant, c’est d’introduire dans le domaine de la stratégie la possibilité d’utiliser comme une arme le potentiel de destruction auquel il n’est pas, encore, fait recours [weaponization of the unused potential for destruction]. Les spécialistes de la théorie des jeux appellent cela le “jeu de la poule mouillée”, et personnellement je le vois plutôt comme le jeu du “Tu penses que tu es cinglé ? Sache que je le suis bien plus que toi”. Cela ressemble à cette scène comique que l’on voit dans les films d’action, où deux personnes posent leurs armes sur une table et sortent des armes de plus en plus grandes et de plus en plus absurdes et inutiles, et où la tension monte jusqu’à ce qu’ils finissent par passer à autre chose sans les utiliser. Tout le monde dans la pièce sait que si ces armes étaient utilisées, la partie serait terminée. La véritable provocation consiste donc à les montrer et à convaincre les autres que nous sommes prêts à les utiliser. Ce jeu à un autre nom : la course aux armements.

Pendant que l’on empilait des pièces d’artillerie sur une table, l’idée de l’espace commençait à titiller les dirigeants du monde entier. C’est à ce moment-là que la course aux armements est devenue la course à l’espace, et que les dirigeants ont commencé à investir dans le développement de technologies spatiales de plus en plus performantes, cherchant à atteindre des objectifs clés liés à l’espace avant les autres, dans le but de menacer leurs ennemis en leur offrant la possibilité de lancer l’ultime “attack from above”.

Race to space — Image via the Ultra Swank Flickr Group

Quelques règles : pas de “c’est mon mien pas l’tien” dans l’espace, et “faisons en sorte que Star Wars reste de la SF et non un documentaire”.

En 1957, l’URSS a lancé le premier satellite dans l’espace, mettant en difficulté les États-Unis qui sentaient l’hégémonie mondiale, le véritable enjeu de la guerre froide, leur échapper. Cette capacité de l’humanité à identifier, avant qu’il ne soit emprunté, un chemin menant clairement vers une catastrophe (ce qu’on appelle vulgairement le bon sens) n’ayant pas encore été anéantie, les juristes et les spécialistes ont bien compris qu’il était impératif de prendre un peu de distance par rapport au principe du “tout est permis” et de fixer des règles de base. C’est ainsi qu’est né le droit de l’espace, le corpus juridique le plus cool (il est appliqué à -273,15°C) qui a vu le jour en 1966 avec le traité sur l’espace extra-atmosphérique. Nous reviendrons plus en détail sur ce droit de l’espace, mais pour l’heure, il convient de garder à l’esprit quatre grands principes.

Le principe de non-appropriation (1) dispose que l’espace, les planètes et les astéroïdes ne sont pas à vendre et que toutes les activités spatiales doivent bénéficier à l’humanité dans son ensemble. En termes plus techniques, “l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, est libre pour l’exploration et l’utilisation par tous les États sans discrimination”[1] et “ne fait pas l’objet d’une appropriation nationale par revendication de souveraineté, par voie d’utilisation ou d’occupation, ou par tout autre moyen”[2].

Le principe de libre accès (2) dispose que chacun est libre d’aller dans l’espace, s’il en a les moyens. Ou plus précisément, “L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, est libre pour l’exploration et l’utilisation par tous les États sans discrimination d’aucune sorte, sur une base d’égalité et conformément au droit international”, et il y a “libre accès à toutes les zones des corps célestes”[3].

Le principe de responsabilité (3) attribue aux États la responsabilité des dommages causés par les activités spatiales : “Les États parties au traité assument la responsabilité internationale des activités nationales menées dans l’espace extra-atmosphérique […], que ces activités soient menées par des organismes gouvernementaux ou par des entités non gouvernementales […]”[4].

Le dernier (4) est le principe de l’utilisation pacifique, qui interdit l’utilisation d’armes de destruction massive dans l’espace et montre qu’après tout, nous n’avons peut-être pas complètement perdu la raison . “Les États […] s’engagent à ne pas mettre en orbite autour de la Terre des objets porteurs d’armes nucléaires ou d’autres types d’armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas les placer dans l’espace extra-atmosphérique de quelque autre manière. La Lune et les autres corps célestes seront utilisés par tous les États parties au traité exclusivement à des fins pacifiques”[5].

Nous sommes à la fin des années 60, nous avons des êtres humains dans l’espace et une série de règles précises à suivre. Nous verrons plus en détail pourquoi le droit international, et en particulier le droit de l’espace, est difficile à appliquer. C’est également à ce moment-là que la pollution de l’espace a commencé.

Des tortues de l’espace s’étouffent avec des filets en plastique

Mandy Barker, Refused, from Times

Lorsque l’on pense aux pollutions spatiales, on imagine des canettes de soda flottant parmi les satellites et des carcasses de voitures heurtant au ralenti des astéroïdes. Mais dans l’espace, rien n’est immobile : tout bouge, tout le temps, à une vitesse phénoménale. L’espace lui-même est en mouvement, en expansion, et ce depuis la nuit des temps.

Mais revenons aux pollutions spatiales.

La plupart des objets que nous lançons dans l’espace sont envoyés en orbite. Nous reviendrons plus en détail sur les caractéristiques et les propriétés des orbites, mais ce qui est important pour l’instant, c’est que les objets qui s’y trouvent tournent essentiellement autour de notre planète, très rapidement. Même une écaille de peinture millimétrique tournant autour de la Terre peut, en cas de collision, ouvrir peu perforer un satellite. Ce que nous appelons débris spatiaux, et qui peuvent également être appelés “déchets spatiaux”, ne sont pas causé par les astronautes de la Station spatiale internationale (ISS) qui jetteraient des emballages de barres chocolatées par le hublot (spoiler : ils le font, mais d’une manière un peu plus sophistiquée[6]). Ils sont causés par des morceaux d’équipements qui se détachent lors du lancement des fusées ou lors de la mise en orbite des satellites, par des satellites hors service qui restent désaffectés sur leur orbite, par l’explosion de ces satellites “morts”, mais aussi par des collisions avec ces satellites hors services qui ne peuvent plus effectuer de manoeuvres d’évitement.

C’est là que les débris spatiaux diffèrent de ceux que l’on trouve sur le bord des autoroutes sur Terre. Les déchets terrestres ne se multiplient pas spontanément. Les déchets spatiaux, si. Lorsque des déchets sont abandonnés sur les “autoroutes de l’espace” que sont les orbites, il y a un risque qu’ils se heurtent les uns aux autres, créant de nouveaux débris dans une réaction en chaîne incontrolée. Or pour l’instant, il s’agit d’un processus irréversible, et il n’y a pas d’équipes de nettoyage composées de volontaires du dimanche pour aller ramasser les débris en orbites.

C’est là que Cosmos for Humanity entre en jeu.

Les Cosmos Rangers

La Croix-rouge de l’Espace

Cosmos for Humanity est une ONG européenne basée en Suisse dont la mission est de promouvoir la préservation d’un accès à l’espace environnementalement et économiquement durable. Les orbites sont une ressource limitée, tout comme l’eau potable et les forêts, et elles sont vitales pour notre mode de vie actuel. Vous seriez surpris du nombre de choses qui changeraient dans votre vie si soudainement tous les satellites disparaissaient[7]. La navigation GPS, la télévision par satellite, les prévisions météorologiques, le monitoring du changement climatique et des catastrophes naturelles ne sont que quelques-unes des choses qui seraient affectées. En outre, l’exploration de l’espace et l’étude de l’univers et des origines de la vie sur Terre seraient impossibles si nous ne pouvions plus utiliser les orbites.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que, puisque l’accès à l’espace est un bien public et que les orbites sont des biens communs (au sens de la typologie des biens d’Elinor Ostom), nous devrions tous avoir la responsabilité de les protéger. L’un des moyens que nous envisageons pour y parvenir est la création d’un indicateur, l’empreinte extra-atmosphérique (Outer space footprint), qui aiderait les consommateurs et les entreprises (nous), l’industrie spatiale et les agences spatiales (tant gouvernementales que privées) à adopter des comportements plus responsables. Nous y reviendrons plus précisément dans un prochain article.

“La planète Terre est bleue et il n’y a rien que je ne puisse faire” — ou pas ?

S’il est extrêmement surprenant que nous ayons réussi l’exploit de polluer l’espace dès le début de son exploration, et que nous soyons en très bonne voie de perdre une ressource que nous commençons à peine à utiliser, tout espoir n’est pas perdu. Tout comme il n’est pas trop tard pour agir sur le changement climatique sur Terre, il n’est pas trop tard pour agir sur les pollutions spatiales. En fait, les deux sont liés, car de nombreuses technologies dépendantes de l’espace nous aident à suivre le changement climatique et à nous y adapter. Si vous avez la passion du développement durable et que vous êtes intéressé par la préservation de l’espace, nous vous invitons à vous informer sur les différents types de pollutions spatiales et le développement durable de l’espace grâce à nos articles, ainsi qu’à soutenir notre ONG !

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Retrouvez également l’article original de Rebecca Franzin sur Cosmos for Humanity | English /

[1] Article I, Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.
[2] Article II, Ibid
[3] Article I, Ibid
[4] Article VI, Ibid
[5] Article IV, Ibid
[6] https://mashable.com/article/astronaut-trash-disposal-space-station
[7] https://www.ted.com/talks/moriba_jah_what_if_every_satellite_suddenly_disappeared

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