Déploiement de la 5G : soupçons d’espionnage sur fond de guerre technologique

Clément Marion
Stéphane Grumbach
Published in
4 min readMay 1, 2019

C’est en Corée du Sud que les premiers forfaits 5G ont été vendus début avril. Les trois opérateurs principaux du pays assurent la couverture totale du pays : la technologie est donc accessible pour tous les coréens souscrivant à un tel abonnement et disposant d’un terminal Samsung Galaxy S10 (pour l’instant seul smartphone compatible avec la 5G). Parmi les trois opérateurs principaux, seul LG U+ a fait le choix du controversé Huawei pour s’équiper en infrastructures tandis que KT et SK Telecom se sont tournés vers les européens Ericsson et Nokia ainsi que vers le local Samsung[1]. Le fournisseur chinois est l’objet de soupçons d’espionnage par l’administration américaine notamment. Si pour certains la proximité de l’industriel avec le gouvernement chinois est avérée, d’autres craignent que ce dernier ne puisse forcer Huawei à collaborer à des activités d’espionnage. D’autres encore veulent laisser sa chance à un acteur plutôt jeune sur le marché des télécommunications.

Huawei ou pas Huawei ?

Chaque état place son curseur de suspicions sur ce spectre plutôt large. Les Etats-Unis, au premier rang des plus méfiants, ont fait savoir leur sérieuse méfiance envers l’industriel chinois. Lorsqu’il s’agit de la 5G, les préoccupations américaines en matière de sécurité sont importantes. Début 2018, la maison blanche souhaitait que le réseau 5G soit financé par l’état américain, justement pour des raisons de sécurité. La proposition a été catégoriquement rejetée tant par les industriels que par la FCC (le régulateur local)[2]. L’enjeu sécuritaire n’en reste pas moins une priorité, depuis la fin de l’année 2018, le pouvoir américain met en garde les états européens en position de choisir Huawei pour développer leur réseau 5G. Beaucoup de pays hésitent à choisir le constructeur chinois, d’autant que les pressions américaines sont présentes. En effet, les Etats-Unis sont prêts à mettre sur la table leur niveau de coopération avec les services de renseignement étrangers[3]. La menace est donc bien réelle, et compliquée à gérer car Huawei est bien un des leaders du marché.

Pour se protéger d’éventuelles tentatives d’espionnage, un des recours est législatif. En France, la proposition de loi sur la sécurité des réseaux de télécommunications mobiles vise à instaurer un régime d’autorisation préalable, fondé sur des motifs de défense et sécurité nationale, des équipements des réseaux radioélectriques. S’il peut être un barrage à l’industriel chinois, l’efficacité de telles dispositions n’est pas certaine. Les infrastructures doivent être mises à jour en permanence, notamment pour des raisons de sécurité. Si celles-ci sont urgentes, des tests préalables potentiellement longs seraient contre-productifs. Côté allemand, les portes sont encore ouvertes pour Huawei : les appels d’offre sont en cours et le pouvoir allemand a déclaré que le géant chinois n’était pas exclu des négociations. L’Allemagne a toutefois rehaussé ses exigences en matière de sécurité auprès de ses opérateurs.

Une guerre technologique

Toutes ces tentatives de barrage à l’industriel chinois de la part des Etats-Unis s’inscrivent dans la guerre technologique entre les deux puissances. En effet, le leadership technologique américain est challengé par les nouvelles entreprises chinoises comme Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent dont on commence à entendre parler dans le monde occidental. Ces alter egos des fameux GAFA(M) ont eux aussi une capitalisation boursière importante et menacent de faire de l’ombre à leurs concurrents américains. En août 2018, Huawei prenait la place d’Apple en tant que deuxième constructeur mondial de smartphone[4]. La lutte pour la prééminence technologique à laquelle se livrent les Etats-Unis n’est pas sans rappeler les plus belles heures de la guerre froide.

C’est donc non seulement un affrontement technologique mais également une guerre pour la collecte de données à laquelle nous assistons. Ce “nouvel or noir”, comme se plaisent à l’appeler certains journalistes, est bien au centre du problème puisque c’est ce qui fait la valeur des grands acteurs de la tech. Dès qu’il est question d’espionnage, il est en fait question de données : l’état actuel de la technologie rend leur collecte tout à fait aisée. C’est pourquoi des agences américaines comme le FBI, la CIA et la NSA déconseillaient fortement aux citoyens américains d’utiliser des terminaux Huawei pour protéger leurs intérêts individuels, mais surtout ceux de la nation.

Quels risques en réalité ?

Si on laisse de côté le débat sur les infrastructures, toute cette agitation autour du constructeur chinois ne serait-elle pas un brin hypocrite de la part des Etats-Unis ? Les révélations d’Edward Snowden en 2013 ont montré que les renseignements américains ont eux-même mené un programme de surveillance de masse sur leur territoire et en dehors de celui-ci. De même, les données que nous fournissons, en tant qu’utilisateurs de smartphones Apple, de Google, d’Amazon ne sont pas forcément utilisées uniquement à notre service. Finalement n’est-ce pas le consommateur conscient des implications et des risques de ses choix qui est le meilleur arbitre pour déterminer s’il vaut mieux pour lui acheter un iPhone XR ou un Galaxy S10 ou bien s’abonner chez un opérateur ayant choisi de déployer des infrastructures Huawei ou Ericsson ?

[1] https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Coree-Sud-remporte-course-5G-2019-04-07-1201014024

[2] http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/01/29/20002-20180129ARTFIG00334-etats-unis-l-idee-d-un-reseau-5g-finance-par-washington-provoque-une-levee-de-boucliers.php

[3] https://www.numerama.com/politique/470893-5g-les-usa-sont-prets-a-moins-cooperer-avec-les-services-secrets-des-pays-traitant-avec-huawei.html

[4] https://www.01net.com/actualites/huawei-devient-le-second-constructeur-de-smartphone-mondial-devant-apple-1498433.html

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