Economie du partage : économie collaborative ?

Yowa Muzadi Aguilera
Stéphane Grumbach
Published in
5 min readDec 15, 2017

Perspectives chinoises

L’économie collaborative est une économie P2P, c’est-à-dire de pair à pair. Elle repose sur l’échange ou le partage, entre particuliers, de biens, de services ou de connaissances, que ce soit avec ou sans échange monétaire. Aujourd’hui, cette notion devient indissociable de ses intermédiaires : les plateformes numériques de mise en relation.

On peut citer trois phénomènes principaux qui expliquent son essor :

  • Les technologies numériques
  • La sous-utilisation de certains biens et de certaines infrastructures. L’économie collaborative permet à ce niveau l’usage de ces biens plutôt que leur possession.
  • La crise économique et financière de 2008. Dans une certaine mesure, la crise de 2008 a poussé certains ménages à faire des économies et d’autres à trouver des revenus complémentaires.

Le cas de la Chine

Pourquoi parler de la Chine ? Partout dans le monde, des villes ont fait le pari d’adopter l’économie du partage : Séoul, Amsterdam, Milan… Mais la Chine est le premier pays au monde à en faire une “priorité nationale”, face à la nécessité d’engager une transition d’une économie industrielle, reposant sur des produits manufacturés vendus à l’export, à une économie basée sur des services à destination du marché domestique.

Beijing a ainsi financé de nombreux incubateurs de startups, à travers des mécanismes d’incitations fiscales. Les investisseurs ont suivi l’exemple de l’Etat et ont massivement financé les entreprises de l’économie collaborative. Ainsi, Mobike et Ofo, financés respectivement par Tencent et Alibaba, ont levé presqu’un milliard de dollars, chacun, en venture capital.

Le vélo comme symbole de la “sharing economy”

La Chine est connue pour être le “royaume des vélos”. Je me souviens d’ailleurs d’avoir été surprise par la marée de vélos à Beijing, la première fois que j’y ai mis les pieds en 2010.

Si le vélo est symbolique de l’économie collaborative c’est d’abord parce qu’il a été porté par l’Etat, qui a tout de suite soutenu les initiatives de vélos partagés. Xinhua, l’organe de presse étatique chinois, a présenté le vélo partagé comme l’une des quatre grandes nouvelles inventions chinoises, aux côtés du e-commerce, du train à grande vitesse et des paiements mobiles. Enfin, aujourd’hui, plus d’une quarantaine d’entreprises offrent un service de vélos partagés à Beijing. Ce phénomène d’explosion des acteurs se retrouve dans tous les secteurs de l’économie collaborative en Chine.

Au-delà des considérations écologiques soulevées par la quantité de vélos abandonnés dans les villes, l’exemple chinois en ce qui concerne l’économie du partage permet de s’interroger sur deux aspects : l’utilisation des données personnelles et la définition même du terme d’économie collaborative.

Utilisation des données personnelles

Mobike ou Ofo ne font pas de profits impressionnants, mais cela n’importe guère car le plus important dans ces business model de l’économie collaborative chinoise reste les données personnelles que les entreprises sont en mesure de collecter ; un outil précieux pour la conception de smart cities, par exemple.

Cependant, la Chine entend utiliser ces données dans son nouveau système de crédit social, qui permet de donner un score à chaque individu au regard de trois critères : financière, sociale et politique.

Le gouvernement chinois a donné l’autorisation à Tencent et à Alibaba de mener un essai pilote de ce système de crédit social, qui se base sur les données récupérées par les applications de partage de vélo (paiements réguliers, localisation, temps d’utilisation…)

Avec ces systèmes, nous entrons dans un changement de paradigme, en passant d’une économie basée sur le dépôt, donc une économie où la confiance est basée sur l’argent, à une économie basée sur les actes, et à un historique personnel (via le score de crédit).

Par exemple, Zhulegeqiu fait payer ses utilisateurs 1 renminbi, soit 15 centimes d’euros, pour une heure d’utilisation. Un dépôt de garantie d’environ 10 dollars est nécessaire à moins que la personne ait un score de crédit élevé sur Sesame Crédit, la plateforme de China Ant Financial, filiale d’Alibaba ; dans ce cas, la personne n’a pas besoin de faire un dépôt de garantie.

Je ne m’attarderai pas sur les dérives d’un tel système, que l’on imagine aisément (dans le cas chinois, quels sont les critères “sociaux et politiques” pris en compte ? comment est établi ce score ? quelle place pour la vie privée dans un tel système ?). Je recommande vivement le visionnage du fameux épisode de Black Mirror pour se faire une idée plus précise des dérives d’un système reposant sur la notation des individus.

Mais alors, c’est quoi l’économie collaborative ?

En m’intéressant au cas de la Chine, j’ai réalisé que je ne comprenais plus ce que l’économie collaborative signifiait réellement dans la mesure où tout pouvait être étiqueté “sharing economy”.

Les lavomatiques, par exemple : est-ce de l’économie du partage ? ou tout simplement de la location ? Dans l’état actuel des choses, économie du partage en Chine peut être utilisé pour tout, à partir du moment où on peut louer un objet par l’intermédiaire d’un téléphone mobile.

N’y a-t-il donc pas une différence à établir, en s’inspirant du cas chinois, entre deux tendances : l’une reposant sur l’usage plutôt que la possession de biens, basée sur le partage de biens et services à louer, et l’autre reposant sur la mise à disposition de biens sous utilisés, avec des échanges entre particuliers ?

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