Il y a-t-il une géopolitique de la connexion à Internet?
Le rôle croissant d’Internet dans les économies et les sociétés augmente les conséquences en cas d’interruption de connexion. Internet est devenu aussi stratégique que le pétrole ou l’accès aux eaux internationales. Cependant peut-on réellement affirmer qu’il existe une géopolitique de l’accès à Internet ? Après avoir rappelé les grands principes d’Internet, nous étudierons les aspects stratégiques de la connectivité Internet.
Internet : Un réseau forcément connecté
Que se passe t’il lorsqu’un internaute se connecte au site Medium ? Et quand il envoie un mail ? Et quand il reçoit une notification Facebook ?
Internet est un réseau d’échange d’informations entre machines. Lorsqu’une personne se connecte au site Medium, son ordinateur va envoyer un message au serveur de Medium. Le serveur de Medium va alors répondre en envoyant le code source du site. Ce dernier est un fichier texte qui contient les information du site sous la forme de code informatique. Le navigateur Internet (Google Chrome, Safari, Firefox, etc.) va alors transformer le code et l’afficher à l’écran. C’est ce que nous appelons le site Internet. De la même manière, l’envoi d’un mail est réalisé pratiquement par de la transmission de messages sur le réseau Internet.
Internet est un réseau de transmission de messages entre machines par l’intermédiaire de machines. Ces dernières peuvent être séparé en quatre catégories :
· Les terminaux : Ordinateurs personnels, tablettes, smartphones, mais aussi les capteurs connectés de réfrigérateurs intelligents. Ils sont appelés terminaux car ils se situent aux extrémités du réseau.
· Les serveurs : Il s’agit d’ordinateurs très puissants qui fonctionnent de manière automatiques. Ils sont placés dans des grands hangars très sécurisés. Ce sont eux qui stockent le contenu d’un site Internet, nos mails ainsi que nos fichiers stockés dans le « cloud ». Ils reçoivent, traitent et répondent aux messages envoyés par les terminaux.
· L’aiguillage d’Internet : Routeurs IP, modem Wifi ou ADSL, répéteurs, etc. Il s’agit de machines aiguillant le réseau Internet pour permettre la transmission rapide et sans perte de l’ensemble des messages. Ces machines se situent aux intersections des ‘routes’ d’Internet.
· Les routes physiques d’internet : Il s’agit de canaux de transmission de l’information. Cela peut être l’air ambiant comme dans le cas des communications Wi-Fi ou 4G, cela peut-être aussi des câbles cuivrés comme pour les communications Ethernet ou des fibres optiques, notamment pour les connections longue distance.
Le fonctionnement technique d’Internet, c’est-à-dire les méthodes et techniques utilisées pour permettre la transmission correcte des message est assez complexe et cet article ne suffira pas à l’expliquer, même grossièrement. Pour comprendre la géopolitique de la connectivité, il suffit de comprendre qu’Internet est un réseau de machines toutes interconnectés, mais pas forcément directement. Si il n’existe pas de chemin pour qu’un message se transmette d’un ordinateur donné à l’un des serveurs de Facebook, alors cet ordinateur ne pourra pas se connecter à Facebook. En revanche, ces machines ne sont pas toutes connectées directement, il y a généralement de nombreux intermédiaires entre un ordinateur quelconque et un des servers de Facebook.
Un réseau d’échange d’informations entre différentes machines s’appelle un intranet, si de plus l’une des machine dudit réseau est connectée à Internet, alors ce réseau devient une partie d’Internet : Internet est l’ensemble des machines connectées à Internet. Et chacune des machines connectées à Internet peut envoyer un message à toutes les autres machines d’Internet, à condition d’en connaître l’adresse.
Comment les messages circulent-ils sur le réseau Internet ? Les machines d’Internet sont reliés à des routeurs et les routeurs sont reliés entre eux par les ‘routes’ d’Internet. Il existe une grande variété de routes d’Internet, de la même manière que le réseau routier est structuré du chemin de campagne jusqu’à l’autoroute, en passant par les routes départementales et les rues urbaines. Pour les liaisons terminales du réseau, l’information est généralement transmise par des ondes (Wifi ou Bluetooth) ou par câbles cuivrés (Ethernet). Les liaisons entre les immeubles et les premiers routeurs sont de plus en plus effectués par des fibres optiques enterrées. Les liaisons entre les routeurs sont l’équivalent des autoroutes terrestres : Un volume conséquent d’informations circule et la vitesse doit être élevée. La technique actuelle est de rassembler des centaines de fibres optiques à l’intérieur d’une gaine de protection. Ce câble, pouvant atteindre 50 cm de diamètre est alors enterré sous terre pour les liaisons terrestres ou posé au fond des océans pour les liaisons entre les continents.
Il y a actuellement des centaines de fibres optiques posées au fond des mers et des océans. De la même manière que les portes-conteneurs sont les artères de la mondialisation, ces câbles sont le système nerveux de la mondialisation. Ils permettent à l’information de circuler entre les grands pôles économiques. Il n’est donc pas surprenant de retrouver beaucoup de similarité entre cette carte et les principaux corridors maritimes : Les liaisons États-Unis — Europe de l’Ouest, France — Maghreb, États-Unis — Japon sont très développées, en revanche toute la moitié Sud de l’Afrique est moins bien desservie.
Les vulnérabilités d’Internet
Conséquences d’une rupture d’Internet
Que se passe-t-il si un pays se retrouve coupé d’Internet ? Les individus et organisations situés dans ce pays ne pourront plus communiquer via Internet avec le monde extérieur. L’impact sera social, économique, militaire et politique. Le cas des Îles Tonga, privées d’Internet pendant deux semaines en janvier 2019 montre l’ampleur des conséquences. L’impact fût d’abord social, les 100 000 résidents ne pouvaient plus envoyer de mail à leurs contacts étrangers, ils perdirent aussi l’accès aux sites et services Internet hébergés à l’étranger. Concrètement, ils ne pouvaient plus se connecter à Facebook, ni lire leurs mails sur Gmail, ni accéder à leurs fichiers stockés sur Google Drive. L’impact fût aussi économique, par exemple les hôtels ne pouvaient plus accéder à leur compte Booking, et savoir ainsi quelles chambres étaient réservées ainsi que le nom de leurs clients. Les entreprises implantées sur le territoire ne pouvaient plus contacter leurs clients ou leurs fournisseurs, et les transferts monétaires internationaux furent suspendus. L’activité économique fut pratiquement à l’arrêt, entraînant un chômage technique de masse, et les conséquences que nous pouvons imaginer. Cela entraîna un impact politique, l’Etat a du rapidement réagir pour permettre le retour à la normale. Il y a eu à la fois une opération de réparation rapide, ainsi que l’établissement d’une connexion de substitution par satellite via un déploiement d’antennes. Cependant le débit et le temps de trajet d’une connexion par satellite est incomparable par rapport à une connexion par fibre optique. Les Iles Tonga ont alors connu une période de rationnement d’Internet : L’Internet était donné en priorité aux services régaliens, puis aux entreprises et enfin aux particuliers. De plus, certains sites comme Facebook et YouTube étaient automatiquement bloqués afin de réserver la bande passante aux applications plus vitales pour l’économie et la société. De la même manière que l’essence et la nourriture sont rationnées en temps de guerre ; la neutralité d’Internet est violée en démocratie en cas de situation critique. Dans le cas des Iles Tonga, il n’y a pas eu d’impact militaire. Cependant, une rupture d’Internet concernant un pays en forte tension avec ses voisins pourrait avoir des conséquences plus fortes : Perte d’informations sur l’état du monde extérieur, tensions commerciales liées à la suspension des virements électroniques, augmentations des tensions nationales liées à la suppression d’Internet.
Causes d’une rupture d’Internet
Dans le cas des Iles Tonga, l’interruption d’Internet fût lié à la panne d’un élément du câble. Mais d’autres causes peuvent entraîner une rupture d’un câble. Par exemple un requin peut mordre le câble, comme celui-là prit en flagrant délit d’attaque d’une fibre de Google:
Un chalut de fond tracté par un navire de pêche ou une ancre peut aussi sectionner le câble comme en 2008, le cable SEA-ME-WE 3 fut coupé, probablement par l’ancre d’un navire. Les tremblements de Terre peuvent aussi entraîner la rupture de câbles comme ce fut le cas le 21 mai 2003 où un tremblement de Terre sectionna quatre câbles sous-marins entre l’Europe de l’Ouest et le Maghreb. Dans cet exemple, il n’y a pas eu de perte de connexion car un câble entre le Maroc et la côte Atlantique de la France ainsi qu’un câble entre la Tunisie et l’Italie non sanctionnés prirent le relai.
La rupture d’un câble peut être aussi intentionnelle. La connectivité étant une ressource stratégique pour un pays, elle est donc une cible de choix en cas de montée de tensions internationales. Il n’y actuellement aucun exemple de ruptures intentionnelles prouvées d’un câble par un commando de plongeurs. Cependant, ce n’est pas une éventualité à négliger. Les pays les plus menacés sont ceux qui sont reliés par un nombre limité de câbles sous-marins, où ceux qui utilisent des câbles opérés par des opérateurs étrangers.
Il apparaît que le connectivité à Internet est devenu un actif stratégique pour un pays. En cas d’escalade des tensions entre deux Etats, la destruction d’un câble ennemi est un moyen simple et efficace de nuisances. De la même manière que les Etats sécurisent leurs accès en pétrole en diversifiant les fournisseurs et en effectuant des partenariats stratégiques avec des pays exportateurs, les états sécurisent leurs accès à Internet en plaçant des câbles redondants chez différents voisins. D’où l’émergence d’une géopolitique de la connectivité physique.
