La transformation des modèles d’assurance automobiles

Antoine DENIS
Stéphane Grumbach
Published in
4 min readApr 23, 2019
Photo by Tobias Tullius on Unsplash

Avec plus de 1 milliard de voitures dans le monde, le marché de l’assurance automobile est en plein essor. En échange d’un paiement régulier chaque mois, les assureurs s’obligent à vous rembourser les dégâts causés à votre véhicule au cours d’un sinistre ou d’un accident. Comme de nombreux secteurs industriels, le marché de l’assurance est en pleine transformation numérique, notamment avec l’utilisation de nouvelles données. Comment la donnée transforme t-elle l’assurance auto ?

Traditionnellement, les assureurs tentent de différencier et de récompenser les conducteurs “sûrs” en leurs donnant des primes moins élevées et/ou un bonus. Aujourd’hui, des actuaires calculent cette prime en fonction de l’usage que les utilisateurs font de leurs véhicules. En effet, avec les récents progrès de l’informatique et de la télécommunication, les modèles classiques d’assurances sont remis en question. On parle de “Pay How You Drive”, “Pay As You Drive” ou de “Miles based”. Ces nouveaux modèles calculent les primes d’assurance auto en fonction du comportement des utilisateurs, du type de véhicule ou des distances parcourues. Cet article s’attarde particulièrement sur le modèle “Pay How You Drive” (PHYD) qui prédit le risque lié au comportement des utilisateurs au volant de leurs voitures.

De nos jours, les compagnies d’assurance sont capables d’installer des capteurs directement dans les voitures et de récupérer en temps réel des données qu’elles ne possédaient pas avant. Ce sont les données télématiques.

Une donnée télématique est composée d’une latitude, d’une longitude, d’une altitude, et d’un horodatage. La collecte de ces données en temps réel permet d’une part de suivre le déplacement de tous les utilisateurs au volant de leurs véhicules, depuis l’allumage du moteur jusqu’à son extinction, et d’autre part de caractériser le comportement de ces utilisateurs.

En effet, à partir des données télématiques brutes et après une étape de nettoyage, on est capable de créer des indicateurs pertinents qui précisent la manière de conduire des assurés. Certains indicateurs sont basiques comme par exemple la vitesse ou l’accélération, d’autres sont un peu plus complexes comme par exemple la vitesse d’accélération dans un virage comparée à l’accélération de tous les autres utilisateurs qui sont passés par ce virage. Enfin, en comparant ces indicateurs avec la base de données des sinistres des assurés, on est capable à l’aide de techniques modernes de data science (clustering, classification, régression, …) de classer les utilisateurs du “meilleur” conducteur au plus “mauvais”. C’est la base du modèle “Pay How You Drive”.

Ce nouveau modèle d’assurance présente plusieurs avantages :

  • L’assurance est capable de mieux prédire le risque des assurés.
  • Favorise les comportements responsables en incitant les assurés à conduire prudemment.
  • La technologie utilisée pour collecter les données (tracking GPS en temps réel) et son traitement (data science) offrent la possibilité de créer de nouveaux services pour les utilisateurs : Assistance automatique en cas d’accident, Prédiction des pannes moteurs, Tracking GPS de la voiture …
  • L’accès à ses données de conduite permet d’améliorer sa manière de conduire.

Toutefois, ce modèle possède aussi ses limites :

  • Les modèles de data science utilisés pour prédire le comportement des utilisateurs au volant de leurs véhicules n’est pas fiable à 100%. Il existe une marge d’erreur inhérente aux méthodes de prédictions utilisées et qui peut être améliorée mais qui ne peut pas disparaître complètement. “J’ai conduit parfaitement, mais comme le capteur m’a mal détecté, je suis classifié comme un mauvais conducteur”
  • Certains indicateurs utilisés pour prédire le comportement des utilisateurs sont très complexes. La communication de ces indicateurs aux assurés s’en trouve alors réduite. Cela se traduit concrètement par une perte de transparence du modèle pour les utilisateurs. “Je ne comprends pas pourquoi je suis un mauvais conducteur”
  • La qualité des données collectées n’est pas optimale et nécessite d’être nettoyée. Par exemple, on va détecter des utilisateurs qui roulent sur l’eau à Istanbul alors qu’ils empruntent des ferrys avec leurs voitures. “J’utilise mon téléphone pour récupérer mes données. La précision laisse à désirer”
  • L’algorithme utilise les données personnelles des utilisateurs. Il permet notamment de traquer tous leurs déplacements. Cela pose de grandes problématiques de vie privée. En Europe, tous les modèles d’assurance Pay How You Drive doivent répondre au règlement RGPD afin d’anonymiser les données personnelles des utilisateurs. “Je n’accepte pas que mon assureur sache ou je suis en permanence”
Photo by Markus Spiske on Unsplash

Le futur du modèle Pay How You Drive pour l’assurance auto est donc incertain. Le succès ou non de ce genre de modèle repose sur deux points essentiels.

D’abord, il s’agit d’être l’interface de confiance des utilisateurs. Aujourd’hui, la plupart des individus tolèrent que Google utilise leurs données personnelles. Comment rendre acceptable que les utilisateurs partagent avec une compagnie privée leurs données personnelles ?

Le deuxième élément essentiel est d’être l’entité qui collecte les données le plus en amont. En effet, aujourd’hui, les assurances ne collectent pas elles mêmes les données. Elles sont obligées de les racheter à des entreprises tierces à prix d’or. Elles commencent donc à instrumentaliser elles mêmes leurs propres flottes de véhicules connectés. Mais la menace vient alors directement des constructeurs automobiles qui pourraient (et commencent) instrumentaliser eux-mêmes les véhicules lors de la fabrication. Ainsi, être l’entité qui collecte les données le premier est très important afin d’avoir un avantage stratégique.

En prenant tout en compte, j’imagine trois futurs possibles pour l’assurance auto :

  1. Les données télématiques ne sont pas partagés par les utilisateurs comme c’est le cas en France actuellement. On garde les modèles traditionnels d’assurance auto
  2. Les utilisateurs acceptent de donner leurs données aux assurances qui implémentent les nouveaux modèles. C’est la cas en Italie par exemple
  3. Les constructeurs implantent directement dans les voitures des capteurs. Un nouveau marché de la donnée télématique se crée et les assureurs doivent acheter ces données auprès des constructeurs.

--

--