Les objets intelligents vont-ils nous sauver ?

Juliette DIXMIER
Stéphane Grumbach
Published in
4 min readApr 24, 2019
Photo by Franki Chamaki on Unsplash

Il y a tout juste un mois, nous publiions avec mes camarades Gauthier et Clément un article intitulé Nous ne sauverons pas la planète, c’est elle qui nous sauvera. Nous y défendions les vertus de la résilience des écosystèmes naturels comme source d’inspiration pour une transition écologique réussie. A l’heure où la théorie de l’effondrement génère de plus en plus d’inquiétudes quant à la capacité de nos sociétés à survivre aux dégâts qu’elles-mêmes infligent à notre environnement, la question semble légitime. Qui de mieux placée que la Nature avec un grand N pour nous aider à nous reconnecter à notre environnement ?

Il règne dans les écosystèmes un phénomène bien connu des scientifiques. L’homoéostasie, ou la capacité des organismes vivants à s’autoréguler pour vivre en harmonie avec leur environnement, est très bien définie par W. B. Cannon, dans The Wisdom of the Body (1932) :

« Les êtres vivants constituent un système ouvert présentant de nombreuses relations avec l’environnement. Les modifications de l’environnement déclenchent des réactions dans le système ou l’affectent directement, aboutissant à des perturbations internes du système. (…) Les réactions physiologiques coordonnées qui maintiennent la plupart des équilibres dynamiques du corps sont si complexes et si particulières aux organismes vivants qu’il a été suggéré qu’une désignation particulière soit employée pour ces réactions : celle d’homéostasie. »

Si l’on parle souvent de l’homéostasie à l’échelle des êtres vivants, il n’est cependant pas absurde d’élargir le concept en l’appliquant aux écosystèmes naturels. Le propre de la Nature n’est-il pas sa capacité à s’autoréguler pour assurer sa pérennité ?

Allons-nous nous autoréguler, ou nous laisser emporter ?

L’activité humaine génère des externalités qui dérèglent le fonctionnement des phénomènes naturels : le changement climatique en est sans doute la manifestation la plus massive. L’homéostasie planétaire serait-elle menacée ? Je prendrai le parti de dire qu’il est bien prétentieux de la part des humains de penser qu’ils pourraient venir à bout d’une planète qui subsiste depuis 4,5 milliards d’années. Les grands perdants dans cette histoire, ce sont nous, les humains, et la part de la biodiversité que nous emportons avec nous. Comme l’annonçait déjà ce bon vieux Darwin, « ce n’est pas le plus fort de l’espèce qui survit, ni le plus intelligent. C’est celui qui sait le mieux s’adapter au changement. »

A en croire la théorie de l’effondrement, deux possibilités existeraient donc pour l’humanité : ou bien nous réussissons à nous réadapter, ou bien le cours de la Nature s’en chargera pour nous. Mais comment nous réadapter ? Il s’agirait de transformer nos sociétés et modes de vie vers des modèles plus résilients afin de les réintégrer dans nos écosystèmes. Autrement dit, il faudrait reconstituer dans nos sociétés l’homéostasie qui règne dans les systèmes vivants.

La technologie à la rescousse ?

Notre quotidien est déjà marqué par des technologies qui nous aident à nous autoréguler. C’est notamment l’utilité des thermostats connectés qui équipent de nombreux logements. Comme tout objet connecté, le thermostat fonctionne selon une boucle de rétroaction : un capteur récolte des données (la température), l’objet “intelligent” analyse l’information, et impulse une réaction (variation de la puissance du chauffage). Et si on pouvait extrapoler cette idée à l’échelle des écosystèmes ? Notre monde regorge de moyens de récolter, traiter et exploiter toutes sortes de données. Pourquoi ne pas utiliser cette puissance d’analyse pour nous aider à réguler l’activité humaine ? L’état d’un milieu naturel peut parfaitement être suivi en temps réel : c’est déjà le cas sur de nombreuses variables telles que la qualité de l’air par exemple. Des startups comme BlueAir commercialisent même des capteurs domestiques permettant de réguler l’air de votre logement. S’il n’est probablement pas envisageable ni souhaitable de filtrer l’air de l’ensemble de l’atmosphère terrestre, il serait en revanche imaginable de monitorer avec précision l’impact de l’activité humaine sur chaque écosystème, et peut-être d’impulser des réactions automatiques en temps réel. De la même façon que votre débit internet mobile ralentit automatiquement quand vous avez épuisé votre forfait, votre voiture pourrait-elle vous brider lorsque votre atmosphère approche de son niveau de saturation en microparticules ?

High Tech versus Low Tech

Bien que la technologie soit omniprésente dans la résolution des problèmes contemporains, il peut néanmoins être contestable de prôner des solutions tech lorsque l’on parle de transition écologique. Quid de la pollution numérique ? Et des minerais rares qui composent les circuits électroniques ? Promouvoir plus de tech pour résoudre des problèmes d’ordre écologique, est-ce se tirer une balle dans le pied ? Le débat est plus que légitime lorsque que l’on sait que le numérique produit actuellement plus de CO2 que le transport aérien. C’est à ce grand dilemme que tente de s’attaquer la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing). Après trois ans d’investigation, la fondation a effectivement publié en mars dernier son Agenda pour un futur numérique et écologique :

« La transition écologique est l’horizon indispensable de nos sociétés, la transition numérique la grande force transformatrice de notre époque. La première connaît sa destination mais peine à dessiner son chemin ; la seconde est notre quotidien, une force permanente de changement mais qui ne poursuit pas d’objectif collectif particulier. L’une a le but, l’autre le chemin : chacune a besoin de l’autre. »

Transitions numérique et écologique, même combat ou doux rêves inconciliables ? Comme c’est souvent le cas, il n’y a peut-être pas de fatalité : tout dépend de l’intention que l’on y met.

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