L’Homme et l’intelligence artificielle

Steven Bias
Stéphane Grumbach
Published in
6 min readApr 15, 2019

L’idée de créer des machines dotées d’une intelligence semblable à l’intelligence humaine existe depuis des siècles dans l’imaginaire des Hommes. En 1952 a lieu une conférence sur le campus de Dartmouth College aux États-Unis, organisée par Marvin Minsky et John McCarthy. Cette conférence est connue pour être l’événement fondateur de l’intelligence artificielle en tant que discipline de recherche. C’est également à ce moment que l’intelligence artificielle a été définie comme nous la connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire la capacité d’une machine à simuler l’intelligence.

Après deux périodes de déception, une première entre 1974 et 1980, puis une seconde entre 1987 et 1993, ces « hibernations » de l’IA se sont traduites par un désintérêt des investisseurs, puis des chercheurs, depuis 2012, l’IA revient au goût du jour et suscite de nombreux débats grâce au deep learning. Reconnaissance d’images, reconnaissance vocale, jeu de Go, jeux vidéos, l’intelligence artificielle ne cesse de faire des progrès ces dernières années provoquant quelques craintes. Quelle est la place de l’Homme dans un monde envahi par de l’intelligence artificielle ? Quel monde envisager en cohabitation avec l’IA ?

Avant d’étudier la question d’un avenir entre l’Homme et la machine intelligente, faisons le points sur l’état actuel.

L’IA au service de l’Homme

L’IA accompagne de plus en plus notre quotidien. Certains usages sont devenus tellement banals que nous les utilisons sans prendre conscience de l’avancement que ces applications numériques ont représenté à la recherche en IA à leur arrivée. Le GPS, la traduction automatique, le jeu d’échec sont quelques usages numériques qui sont devenus courants. Désormais ce sont les enceintes connectées qui éveillent une nouvelle fois la curiosité du grand public envers l’intelligence artificielle. Outre cet usage plutôt ludique, l’IA est en train de s’imposer dans diverses disciplines telles que l’automobile, avec la voiture autonome, la médecine, avec une capacité de détection de cancers et maladies oculaires qui dépasse de loin celle des médecins. Les machines tendent à devenir intelligentes afin d’assister les Hommes sur des tâches pour lesquelles elles excellent.

L’IA est donc particulièrement intéressante pour effectuer des tâches fastidieuses. Ce qui a remis l’intelligence artificielle sur le devant de la scène c’est le deep learning. Le deep learning, ou apprentissage profond, a permis d’atteindre des performances inégalées en matière d’IA. Les deux facteurs qui ont permis cet avancement ce sont les capacités des GPU, processeurs graphiques, et les grandes bases de données. En effet, la phase d’apprentissage des machines nécessitent un grand nombre de calcul sur un grand nombre de données avant d’obtenir une efficacité satisfaisante. En 2017, la filiale de Google, DeepMind, parvient à créer une intelligence artificielle, nommée AlphaGo, qui bat le champion du monde de Go, Ke Jie. Pour battre le champion du monde, il a fallu une base de plusieurs millions de parties.

L’Homme au service de l’IA

Les bases de données labellisées ont donc permis aux machines d’apprendre par elles-mêmes. Cependant, pour labelliser les données, un travail humain est nécessaire. Labelliser un texte manuscrit, une image, traduire un mot, transcrire un fichier audio sont autant de tâches qui peuvent être fragmentées comme micro-tâches rémunérées sur des plateforme comme Amazon Mechanical Turk. Jeff Bezos qualifiait d’ailleurs sa plateforme comme « artificial artificial intelligence ». Nous pouvons également faire ces tâches gratuitement en faisant des reCaptcha ou en postant des photos sur les réseaux sociaux. Ces tâches, le sociologue Antonio Casilli les définit de « digital labor ». En somme, pour avoir de l’intelligence artificielle, il faut avant tout du travail humain, travail qui est régulièrement controversé. Une fois que l’IA est mise en place, l’humain doit souvent être présent pour l’assister en cas de situations nouvelles ou complexes, comme pour le pilotage automatique d’avion.

Lorsque l’IA dérive de son application initiale ou fait preuve de discrimination, l’intervention de l’Homme est nécessaire. En 2016, Microsoft met en place un chatbot sur Twitter, Tay. Après une journée sur le réseau social, l’IA devient raciste et misogyne, Microsoft n’a d’autre choix que de retirer le chatbot. Amazon a aussi connu un échec avec une IA programmée pour sélectionner les meilleurs profils. Le problème ? L’IA ne sélectionnait que les Hommes. Des chercheurs de Télécom ParisTech ont étudié la question des biais de l’IA. Pour eux, les biais peuvent être de trois natures : cognitive, statistique ou économique. Les biais cognitifs sont liés au biais que peuvent avoir les programmeurs lorsqu’ils programment les IA, par exemple en prenant en compte un critère qu’ils considèrent, à tort, comme important. Les biais statistiques correspondent aux biais liés aux données utilisées lors de la phase d’apprentissage. Les IA peuvent également avoir des biais économiques lorsqu’ils ont pour objectif d’optimiser le ratio coût-efficacité. Pour limiter ces biais, l’intervention humaine est essentielle, que ce soit en amont, en vérifiant les données et les critères, ou en aval de la conception en auditant l’IA pour qu’elle respecte les valeurs éthiques.

L’interaction Homme-machine intelligente

Si pour l’instant l’intelligence artificielle est défaillante dans plusieurs domaines et nécessite toujours une assistance humaine, nous arriverons prochainement à un moment où elle deviendra parfaitement autonome et ne nécessitera presque plus d’intervention humaine. Effectivement, si on reprend l’exemple du Go, AlphaGo s’est très rapidement fait battre par AlphaGo Zero. Cette intelligence artificielle a battu sa grande sœur en jouant contre elle-même, aucune donnée de partie n’a donc été nécessaire au préalable. Il est alors important de redéfinir la place de l’Homme avec les machines intelligentes si elle peuvent se passer de nous. Pour cela, l’éducation sera un chantier important pour construire une nouvelle relation entre l’IA et l’Homme. Les générations à venir devront être capables de mieux saisir les enjeux éthiques et sociétaux qu’implique l’IA. Notamment en accompagnant les entreprises dans son usage et en étant mieux sensibles aux valeurs des données d’entraînement. En plus des formations techniques, les domaines des sciences humaines, comme le droit, devront être prêtes à traiter des cas inédits. D’après une étude de l’IFTF, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore et pourraient tourner autour de l’IA.

Le marché de l’emploi risque d’être profondément chamboulé par les machines intelligentes. Si des emplois seront créés, d’autres seront supprimés. Si les véhicules autonomes se mettent en place, que vont devenir les chauffeurs routiers ? Comment les accompagner dans une reconversion ? C’est un enjeu lié à la progression de l’IA dans tous les secteurs. Les métiers devront être plus transverses pour accompagner des IA spécialisées dans un domaine. Comprendre le contexte et l’environnement d’évolutions des machines intelligentes sera également une compétence nécessaire. Plus les métiers seront spécialisés et moins les travailleurs seront diplômés, plus la reconversion sera difficile pour ces personnes. Les personnes moins éduquées auront donc des difficultés face aux intelligences artificielles. Les inégalités sociales seraient creusées par l’intelligence artificielle, c’est ce qu’affirme Laurent Alexandre, chirurgien et entrepreneur français.

Je nuancerais ces affirmations en précisant que l’IA s’est particulièrement bien installée dans des professions nécessitant des études longues. Les pilotes d’avion, avec le pilotage automatique, les médecins, que ce soit en radiologie ou chirurgie, et les juges ont déjà tous vu arriver l’intelligence artificielle pour exécuter leur travail mieux qu’eux. Ce qu’il ne faut pas oublier de l’IA, c’est qu’elle est artificielle. Où en est-elle en ce qui concerne la relation humaine ? Peut-elle remplacer des aides soignants ? Des auxiliaires de puériculture ? Des éducateurs spécialisés ? Notre avenir avec l’intelligence artificielle nécessite de remettre au centre nos rapports humains.

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