Et si on arrêtait de parler d’intrapreneuriat ?

Raphaël Thobie
CreateRocks
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11 min readSep 24, 2019

Et qu’on parlait du vrai problème …

Copyright Disney — Pixar

L’intrapreneuriat est UNE solution, et comme toute solution, il ne faut pas en tomber amoureux.

C’est plutôt le problème sous-jacent ou le besoin latent qu’il faut aimer très fort.

L’intrapreneuriat se développe, c’est indéniable.
L’effet de mode est bien lancé, et cela se voit en France.
Heureusement, l’effet de mode ne vient pas seul et s’appuie sur des vrais succès et un écosystème qui se muscle de plus en plus, et nous l’avons déjà illustré ici.

Tant et si bien qu’à la moindre recherche Google, les questions pleuvent :
« Qu’est-ce que l’intrapreneuriat ? »
« Comment réussir l’intrapreneuriat ? »
« L’intrapreneuriat, c’est quoi et pour qui ? »
« Entrepreneur vs intrapreneur »
« Qu’est-ce qu’un intrapreneur ? »

C’est bien…. Dans un sens…
Oui c’est bien que l’intrapreneuriat ressorte de plus en plus s’il est bien lié aux valeurs qui doivent l’accompagner.
C’est moins bien si le but devient l’intrapreneuriat lui-même…

L’intrapreneuriat est et restera un outil qui doit servir une cause plus grande et une vision plus large.
La finalité ne peut pas se limiter à avoir son programme intrapreneurial, et je vais même plus loin : si le but est la transformation de l’entreprise, l’intrapreneuriat ne peut pas se limiter à la sortie de quelques projets business ou de « rupture » par an, sur-dopés et sur-accompagnés , le tout organisé et mis en œuvre par quelques un/es seulement.

Comprendre la mission ou l’allégorie de Toy Story 4

Attention, « spoiler alert » si vous n’avez pas vu ce dessin animé !
Je suis allé il y a quelques temps voir ce film avec ma fille au cinéma.
2 ou 3 ème fois pour ma fille de 4,5 ans dans une salle obscure : le challenge était à la fois de lui faire découvrir mon enfance , et de la tenir en place.
Le challenge 2 m’a plus occupé que le 1 …

Mais j’ai tout de même pu me plonger profondément dans le film.
Plaisir pour moi de redécouvrir mes héros et de découvrir les nouvelles stars !

Reprenons le film par mon prisme :
Dans Toy Story 1, 2 et 3, Woody s’était donné comme raison d’être de “rendre Andy heureux”, et de tout faire pour y arriver en manageant l’équipe de jouets comme il le pouvait et en gérant la concurrence notamment celle de Buzz, puis Jessie.

Dans Toy Story 4, la raison d’être s’est transformée en “rendre Bonnie heureuse”, sauf que là … Ce n’était plus lui la star, Woody se sentait de plus en plus inutile jusqu’à se créer lui même la concurrence ultime : Fourchette ! Le nouveau jouet préféré de Bonnie !

Seulement la mission était “rendre heureuse Bonnie”, il a donc tout fait pour aider Fourchette a assumer ce nouveau rôle, tout en étant en pleine crise existentielle.
Je vous passe tous les passages du film , mais petit à petit , Woody arrive à découvrir sa VRAIE raison d’être :
“Organiser comme il peut et avec les moyens du bord toute action qui permettrait d’aider quelqu’un qui en a besoin, en sachant s’entourer de la meilleure équipe”.

Le projet n’est plus « comment construire un process pour aider l’enfant X »
Mais la raison d’être devient « comment avoir des méthodes et un état d’esprit qui permet d’aider n’importe qui à n’importe quel moment ».

De cette façon, dans le film, Woody apprend à être un “jouet abandonné” pour rendre heureux les enfants du parc.
Il apprend à aider un autre jouet, Gaby Gaby , qui elle aussi cherche le but ultime de sa vie.
Il ne sert à rien de focaliser sur une idée fixe si on ne comprend pas le problème global que l’on souhaite résoudre.

L’histoire se termine au moment où Woody se rend compte de sa raison d’être qui lui a permis de réussir toutes les épreuves du film. Il est enfin sorti des “programmes” en séquence “rendre Andy heureux” et rendre Bonnie heureuse” pour avoir une portée plus large.

Voilà le sujet de l’intrapreneuriat aujourd’hui.
Avec toutes les bonnes volontés du monde, c’est ce que l’on découvre chez CreateRocks, en écoutant nos communautés et l’écosystème en général :
L’intrapreneuriat devient la cause et le but.
On focalise sur des projets en particulier, on met en œuvre tout un programme qui ressemble parfois à un nouveau process de l’entreprise.

Source SeeMy.com : l’image veut tout dire, les fusées, apparemment, ce n’est ni pour ni DANS l’entreprise…

Comme cela devient le sujet et non plus le moyen, on ne sait plus quoi faire quand il ne fonctionne pas à court terme. On s’obstine à y mettre des thématiques pour se rassurer , on ne parle que business parce que l‘idéal intrapreneurial est la “ rupture rapide”.
On cherche à ce que l’intrapreneuriat soit un succès, la solution miracle, en oubliant ce qu’il sous entend.

Car l’intrapreneuriat n’est pas magique, on s’en rend bien compte aujourd’hui et on prend les mauvaises décisions pour sauver les meubles :
Il est réservé à une toute petite partie de l’entreprise, largement filtrée à l’entrée, cette petite partie devant arriver avec un projet comme preuve d’être innovant (sous entendu, si on a pas d’idée de projet, on ne l’est pas) et l’équipe n’est pas une des valeurs fondamentales. Et puis à la sortie, si le projet est un échec, rien pour transformer au moins l’expérience vécue en succès. Et quand le projet fonctionne, bonjour la tentative d’intégration au reste de l’entreprise.

Le but est devenu “comment lancer un programme d’intrapreneuriat qui fabrique des projets innovants”.
Alors oui, certains y arrivent,
Mais au détriment de qui au début ? Et pour quel passage à l’échelle ensuite ?

Et attention, c’est un ancien intrapreneur, qui croit dur comme fer à ce moyen, qui vous parle !!!
Et avec mon équipe j’en ai accompagné pleins d’autres ensuite.

Seulement j’ai trop vu des porteurs de projets ayant passé les filtres, seul.es, sans équipe, complètement focalisés sur les fameuses méthodes startups distillées sans aucune adaptation aux grands grands groupes, et oubliant totalement que sans réseau et alliés internes, leur projet tomberait à l’eau… Ce qui a fini par arriver. J’ai trop vu de projets partir en spin-off ou des porteur.ses de projets à qui on a proposé un “essaimage” sans avoir fait aucun effort pour les intégrer à l’entreprise alors que plus tard, j’ai entendu “ah oui… C’est dommage que l’on ne l’ait pas gardé finalement….” et surtout j’ai vu beaucoup trop de gens déçus et frustrés de ne pas passer les fameux filtres basés sur des déclarations papier ou “digital-papier” sans aucune chance de prouver quoi que ce soit concrètement avant le “non”.

Mon ambition n’est pas de faire de “l’intrapreneurship bashing”, mais plutôt d’essayer de monter d’un niveau pour comprendre quel problème cherche à résoudre cette solution.

Le problème des entreprises est depuis toujours : comment sortir des meilleurs produits/services, plus vite, avec plus d’impact et sur n’importe quel marché surtout ceux où elles ne sont pas attendues au départ, avec une satisfaction “client” excellente.
La particularité d’aujourd’hui est qu’il y a de plus en plus d’opportunités, de plus en plus de gens qui les saisissent et qu’une bonne partie des barrières à l’entrée que ces grandes entreprises avaient réussi à fixer sont devenues des commodités.
Ainsi le besoin devient : comment rendre mon entreprise et ceux qui la composent plus entreprenants.
Parce que les qualités des entrepreneurs et des innovateurs permettent de régler tous les problèmes de la première définition mais dans le contexte actuel de la seconde, et ce n’est pas réservé aux startups.

De Silberzahn à Christensen

Copyright Pearson

Je n’invente rien, je vais me rediriger vers deux ouvrages qui font partie de mes références :
L’effectuation”, de Philippe Silberzahn,
Et “Le gène de l’innovateur”, de Clayton Christensen, Jeff Dyer et Hal Gregersen

Je ne vais pas expliciter énormément car il faut absolument lire ces livres, mais voici en résumé ce que l’on peut y apprendre :

Les principes de l’effectuation :
1. Démarrez avec ce que l’on a : c’est la théorie du diner entre amis , des gens vous préviennent de leur arrivée le matin pour le soir même, vous vous lancez dans une énorme recette avec planning de préparation et achats ? Ou vous faites avec ce que vous avez dans le frigo ? L’entrepreneur a choisi.
2. Agir en perte acceptable : il n’est plus question de gestion de risque et d’en prendre le moins possible, mais d’assumer ce que l’on peut perdre pour ne rien regretter et tenter ainsi de gagner plus.
3. Obtenir des engagements : seul, un entrepreneur n’y arrive pas, il doit se construire son équipe, son réseau d’alliés, ses sponsors, l’entrepreneur est un connecteur avant tout.
4. Tirer parti des surprises : chaque nouvel élément qui se déclenche sur le chemin devient une opportunité de faire mieux autrement, il est alors très important de savoir ce que l’on veut faire (le problème) pour être capable de changer le moyen d’y parvenir (la solution).
5. Créer le contexte : l’entrepreneur créer souvent quelque chose de nouveau : comment créer l’éducation, l’histoire qui va permettre d’ancrer le contexte autour de ce qu’il propose pour le transformer en évidence.

Et les caractéristiques du gène de l’innovateur :
1. Associer et connecter entre eux, les questions, les problèmes et les idées qui viennent de champs différents ;
2. Poser les questions qui remettent en cause les idées reçues ;
3. Observer, voire scruter, les comportements des clients, des fournisseurs, de la concurrence afin d’identifier de nouvelles façons de faire ;
4. Essayer, expérimenter, construire des expériences interactives et proposer des réponses décalées afin de faire émerger des idées ;
5. Réseauter, rencontrer des personnes différentes, qui apportent de nouvelles perspectives.

On voit d’ailleurs que ces deux ouvrages convergent.

Voilà l’objectif d’une entreprise pour régler son problème : développer la culture qui permettra à ses collaborateurs d’acquérir l’état d’esprit et les compétences illustrés dans ces deux livres. Le tout en construisant l’écosystème permanent qui assurera la mise en relation perpétuelle de tous ses membres.

L’intrapreneuriat est un outil à cela , mais il ne doit pas recréer un autre silo là ou il y en a déjà plein, il ne doit pas limiter là ou il faut explorer, il ne doit pas fixer des règles là où il faut les ré-inventer.

Entreprises, pour régler vos problèmes vous rêvez de gens autonomes, créatifs et ouverts, et pour répondre à ça, vous créez un « programme » ? Sérieusement ?
Rien que le nom inscrit la contradiction.

Qu’est-ce que vous voulez vraiment ?

L’intrapreneuriat est à un point culminant, en déséquilibre, qui amènera forcément sa bascule d’un côté ou de l’autre :

- Le côté « hype » : on assume que c’est un nouveau process d’innovation, que sa réussite est tout aussi importante que ce qu’il génère, que c’est quelque chose à piloter en mode projet, pardon, en mode « programme », et qu’il rentre dans la stratégie globale et organisée de l’entreprise. Très bien, c’est un choix. Mais il ne faut pas espérer régler le problème de base : on s’améliore pour vivre plus longtemps , mais si on ne change pas l’état d’esprit, on rate la véritable transformation.

- Le coté « culture » : l’investissement est sur l’ensemble des collaborateurs et pas sur le programme, le but est d’acquérir un état d’esprit global et de fournir un maximum d’outils aux mains du plus grand nombre en ouvrant au maximum à la fois les silos internes, à la fois l’accès aux clients pour tester, échouer, apprendre (x fois) puis réussir. On utilise l’intrapreneuriat comme un moyen et non une finalité, il n’est plus saisonnier dans une ligne de vie contrainte mais ouvert et permanent pour ne pas rater les occasions au moment où elles se présentent. Il y aura moins de résultats courts termes sur-vitaminés mais un vrai changement profond organique dans le temps, incluant direction, managers, collaborateurs, tous services et métiers confondus.

Ce côté culture ne doit absolument pas être naïf et permettre à tout le monde de lancer tout et n’importe quoi avec un budget illimité. Mais plutôt permettre de lancer quelque chose à tout moment en passant les premières étapes de validation avec les moyens du bord : construire une équipe soudée, engager des sponsors motivés, se créer une histoire et FAIRE !!! Exécuter, poser les premières briques d’un projet concret avant de demander un gros budget. Le tout sans attendre un lancement officiel.
Vous remarquerez que dans ces étapes de validation, je ne parle pas de thématiques ou d’idées, je ne parle pas de complémentarité des compétences, je ne parle pas de filtrage amont ….
Et je n’en parle pas tout simplement parce que partout où j’ai vu ces étapes appliquées, cela n’a jamais été gage de succès.

Tout le monde dans l’entreprise devrait pouvoir s’approprier les clés de l’effectuation et du gène de l’innovateur.
D’ailleurs Philippe Silberzhan et sa co-autrice Béatrice Rousset ont très bien adapté les clés de l’effectuation à la stratégie d’entreprise dans l’excellent ouvrage « Stratégie modèles mentaux », Une autre solution à la mission plus large !

Au final, si n’importe qui peut devenir intrapreneur, n’importe quand et que son rôle passe successivement d’intrapreneur contributeur à intrapreneur sponsor/mentor en passant par intrapreneur porteur de projet, alors là, l’intrapreneuriat répond au problème.

Toy Story 4 et la Team Bo

Copyright Disney — Pixar

Revenons-en à Toy Story 4 et à son personnage phare : Bo Peep. Elle symbolise à elle seule l’état d’esprit mis en application.

Pourquoi ?
- Bo suscite l’engagement : des jouets abandonnés comme son bras droit Giggle McDimples, mais aussi Woody puis encore Duke Caboom.
- Elle réussit à animer la communauté des jouets abandonnés avec les moyens du bord en réparant tout ce qu’elle peut pour rendre les enfants du parc heureux.
- Elle arrive à sur motiver son équipe, ce qui permet à :
* Woody de se sacrifier pour sauver Fourchette et accepter la perte de sa boite vocale.
* Duke de retenter le saut de la mort devant l’élément imprévu à la fin du film.
- Et surtout Bo a réussi à révéler la vraie mission de Woody en l’intégrant dans son équipe des jouets abandonnés grâce à sa mise en perspective du contexte.

Tiens …. Susciter l’engagement, faire avec les moyens du bord, accepter la perte, braver les surprises et mise en perspective du contexte ….
Bo ne serait-elle pas effectuale et donc culturellement intrapreneuriale ?

Voilà le futur des équipes en entreprises, voilà ce qui permettra la création d’un écosystème intrapreneurial et non plus un programme, voila ce qui donnera envie et permettra à vos collaborateurs de devenir ou de continuer d’être entreprenants et voilà ce qui réglera votre problème, que vous utilisiez le mot intrapreneuriat ou non.

D’ailleurs, comme pour le mot “innovation” , l’ “intrapreneuriat” aura réellement réussi lorsque l’on ne l’utilisera plus, car il sera profondément ancré dans l’ADN de l’entreprise, et il sera devenu une évidence (Merci Sophie pour cette phrase)

Alors :

  • Vous êtes intrapreneur.e(s), quelque part, dans une boite qui en parle ou non, qui a un programme ou non : parlez-en, rejoignez une communauté d’autres intrapreneur.es, trouvez en interne des moyens de relayer votre aventure, ce que vous y avez appris et pourquoi vous vous êtes lancés, qu’elle soit un échec ou un succès, car dans les deux cas les rôles changent mais votre expérience grandit.
  • Vous êtes managers/directeur.trices, vous voulez pousser un nouvel état d’esprit dans vos équipes afin de développer de nouvelles choses, à bénéfice interne (organisationnel) ou externe (commercial), encouragez vos équipes sans les brider, demandez leur de vous convaincre de devenir sponsor du moment qu’ils savent quelle valeur ils souhaitent apporter à l’entreprise.
  • Enfin, vous êtes responsables de l’innovation, de l’intrapreneuriat ou quelque chose qui s’en approche : favorisez les échanges, développez un écosystème sans focaliser sur les porteurs de projets, accompagnez les managers dans cette transition pour leur faciliter la tâche d’intégration de projets, trouvez le meilleur moyen d’avoir une démarche permanente qui ré-engage les déçus et frustrés (et c’est souvent normal qu’ils le soient) pour leur donner une nouvelle chance ou un nouveau rôle dans cet écosystème.

Si vous avez des questions et/ou si vous n’êtes pas d’accord, alors on en parle avec plaisir sur www.createrocks.com .

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Raphaël Thobie
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