« Raphaël, tu cherches à avoir raison ou tu veux que les choses changent vraiment ? »

Raphaël Thobie
CreateRocks
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8 min readSep 13, 2017

Il y a maintenant 3 ans que nous avons lancé des Talks dans notre première entreprise, Gautier, Yannis, Jule et moi.
L’occasion pour n’importe quel employé de raconter une expérience en 5/10 min devant d’autres collaborateurs, grâce à une formation structurée et accélérée de story telling.
Aujourd'hui, Devant le résultat pour les 5 entreprises chez qui nous l’avons déjà fait et les 80 speakers formés (fierté pour les speakers, envie de se dépasser pour l’audience et vivier de talents pour les RH), j’aime à me rappeler les débuts, ou comment tout ça a failli ne jamais commencer.

Tous les quatre, nous étions et sommes toujours animés d’une foi que les collaborateurs sont les vrais forgerons de l’entreprise. Et tous sont capables de construire, transformer, redéfinir l’environnement voir la mission de leur société, par eux-mêmes et par leurs propres initiatives.

Seulement, dans une vision « classique » de l’entreprise d’aujourd’hui, c’est difficile à entendre à certains étages …

Alors souvent, emprunts de passions, nos messages avaient du mal à passer.
Je me revois encore dire à un directeur, intermédiaire, mais directeur quand même :
« Mais vous ne comprenez rien ! Le but c’est que tout le monde participe ! Inviter, pendant vos grands meetings de trois heures pleins de hauts managers, un collaborateur qui pourra parler en une minute chrono d’un sujet imposé avant d’être poussé de scène, avec le sourire, n’aura aucun impact ! Il faut un espace pour tous et SURTOUT PAS contrôlé par vous. C’est fini la façon dont vous managez, c’est dommage, il sera trop tard quand vous vous en rendrez compte… »

Humble le mec hein ?

Vous imaginez la réponse du directeur ?
Et bien c’était pire, j’ai passé un sale quart d’heure et surtout je n’ai rien obtenu.
Avant même d’exister, les Talks étaient morts.

Heureusement j’échangeais beaucoup avec Régis, dont je parle déjà ici.
Il m’aidait à rencontrer les bonnes personnes et avait un rôle de « coach psy et spirituel » pour moi.
Je vous vois venir : non, on ne parlait pas astrologie… Enfin juste un peu …

Quand je lui ai parlé, à la limite de la rupture nerveuse, de mon entretien, il m’a dit cette phrase :

« Raphaël, tu cherches à avoir raison ou tu veux que les choses changent vraiment ? »

Depuis, cette phrase raisonne dans ma tête sans cesse pour chaque action que j’estime être importante et que je veux entreprendre.

Et je crois même que c’est la question centrale à laquelle chacun doit répondre dans ce genre de situation.
On a trop tendance à vouloir forcer les choses, convaincre par l’absolu souvent en négligeant le point de vue des autres.
Obsédé par notre propre cause, nous cherchons à considérer les autres comme hérétiques.

Et lorsque que je dis ça, je ne prône pas l’ouverture et la compréhension totale pour conserver au maximum le statu quo, bien au contraire !
J’ai appris avec le temps qu’il était bien plus profitable pour faire évoluer sa cause de d’abord écouter les autres, se plonger dans leur milieu et trouver le bon discours pour convertir ensuite.

J’ai lu cet article récemment, je trouve qu’il illustre tout à fait le concept :
Comment un homme noir, en parlant d’une musique noire, a pu convaincre 200 membres du KKK d’en sortir ?

«Il est important de toujours garder la communication ouverte avec ses adversaires. Quand on discute, même si le ton monte, on n’est pas en train de se battre. Donner son avis à des gens qui sont d’accord avec nous ne sert à rien. Je cherche à comprendre pour trouver une solution et effacer leurs peurs.”

#LeçonDeVie.

« Je vais combattre le système en m’en servant. »

Un ouvrage que l’on m’a offert explique précisément cette thèse, et m’a fait comprendre beaucoup de choses bien plus tard.
Il s’agit du livre « Rules for Radicals », dont de très bons extraits se trouvent ici en français.
Une partie de ce livre parle de l’importance de “la réforme” avant “la révolution” et d’attaquer un environnement avec les règles en place pour mieux les changer ensuite.

« Si un véritable radical découvre que ses cheveux longs constituent un handicap, une barrière psychologique pour communiquer avec les gens et les organiser, il les fait couper.
Si je devais organiser une communauté juive orthodoxe, je n’arriverais pas en mangeant un sandwich au jambon, à moins que je ne cherche à être rejeté et à avoir une bonne excuse pour me défiler. »

Ce livre apprend énormément sur comment amorcer un changement.
Alors, on ne sera pas forcément d’accord avec tout.
Forcément, c’est estampillé radical, donc c’est le but d’être clivant sur chaque point du livre.
Mais l’ensemble est assez efficace.

La plupart des gens mangent de la viande PARCE QUE la plupart des gens mangent de la viande.

J’ai vécu cette expérience dans ma vie personnelle également.
Je suis devenu végétarien depuis plus de deux ans.
Essentiellement pour des causes éthiques, mais aussi parce que je suis un connard de bobo parisien.
Évidement, au fond de moi, je souhaiterais que tout le monde le devienne ou que chacun essaie au moins de diviser par 3 ou 4 sa consommation de viande ou de poisson.

Sauf que je ne l’ai jamais formulé comme cela.
Dans tous les repas où je vais, je me débrouille toujours pour ne pas avertir de mon orientation alimentaire et pour arriver à manger correctement en fonction de ce qu’il y a sur la table et de mon régime.
Je ne sors aucun grand discours sur la cause animale au moment de manger (même si à chaque coup de fourchette dans un saumon, je prie très fort Saint Paul Watson) et me mêle aux sujets déjà en cours.
Je fais profil bas, je m’adapte à mon environnement.
Très vite, une ou deux personnes le remarquent.
Alors toujours discrètement, j’explique pourquoi j’en suis arrivé là, en précisant bien que je ne suis pas un ayatollah et que chacun est libre de faire ce qu’il veut, du moment qu’il en est conscient.
J’insiste sur chaque point qui m’a perturbé avant de prendre cette décision, en expliquant mes émotions ressenties et les impacts sur notre société, tout en précisant à chaque fin de phrase qu’il ne faut surtout pas que j’influence leurs comportements, je donne juste mon point de vue.

Sur ces 2 ans, je pense bien avoir converti 6 ou 7 personnes, ce n’est pas beaucoup, mais je suis quand même fier d’avoir fait ma part du job.
J’ai assisté à d’autres diners où « le vegan puriste, évêque de la cause animale » prenait la parole pendant tout le repas en culpabilisant tout le monde, je vous laisse imaginer le taux de conversion ? Pas vraiment du growth hacking niveau résultat …

Hard Choices, easy Life.

Le monde met du temps à changer, quelle que soit la justesse ou le bien fondé d’une cause (attention hein, j’ai pas dit que manger de la viande c’était mal, vous faites comme vous voulez :-) ).
Le réchauffement climatique, la pollution, les inégalités sociales (même après MLK) le montrent.

A votre échelle, sur votre projet ou votre cause, ce sera tout aussi difficile.
Le changement est ce qu’il y a de pire pour l’être humain (avec parler en public certainement).
Si votre objectif est clair, soyez patients mais acharnés.
Trouvez tous les moyens à votre portée pour accéder au cœur du pouvoir de décision et seulement une fois dedans, faites levier pour changer le cours de votre histoire.

Et alors, le lancement de ces Talks finalement ?

Après cette phrase de Régis, nous avons reparlé tous les quatre et réfléchi à la meilleure façon d’arriver à lancer cet évènement. Voilà ce que nous nous sommes dits et ce que nous avons fait :

Où se prennent les décisions de transformations ?
Dans des ateliers dédiés aux managers.
Bien, trouvons le moyen de nous y faire inviter, mais attention hein, « low profile », on ne dit rien.
Une fois dedans, qui propose des changements ?
Et bien les managers pardi (oui, on dit encore « pardi »… ou pas …) ! Et si on parlait à un manager, seul, de nos valeurs, sans aborder les Talks encore ? Et si ce manager, dans l’atelier suivant, proposait nos idées en finissant par nous faire intervenir ?
Et une fois l’idée en place, qui décide de lancer quelque chose ?
Et bien le directeur, sponsor de l’atelier !
Bon, et si nous construisions l’atelier suivant, maintenant que nous avons le droit de parole et d’animation, qui guiderait implicitement vers le lancement des Talks ?
Et si finalement, c’était le sponsor lui-même qui prononçait le mot « Talks » pour la première fois ?

Voilà le parcours des Talks : de l’idée initiale au jour J des premiers speakers sur scène, il s’est écoulé 6 mois.

Une goutte d’eau dans une grande organisation.
Une éternité pour nous.

Mais au final, les Talks vivent, vivent comme nous le pensions au départ et remportent un vif succès dans toutes les organisations où nous les faisons.
Certains managers ou directeurs que nous avons rencontrés les ont même transformés pour aller encore plus loin dans la transparence et la bienveillance (à commencer par plus de non managers dans les ateliers…).

Patience. Résilience. Adaptabilité.
Réforme avant révolution.

Alors si je peux me permettre de donner quelques conseils sur votre cause ou votre projet :
* A qui devez-vous vous adresser ? et pourquoi pensent-ils comme ils pensent aujourd’hui ?
* Quelle langue parlent-ils ? Comment pouvez-vous l’apprendre ?
* Où pouvez-vous laisser passer un petit « oui je suis d’accord » pour faciliter votre gros « non, faisons plutôt comme ça » ensuite ?
* Quels sont le contexte et l’environnement actuels que vous pouvez « hacker » juste en vous y plaçant et en utilisant les armes déjà sur place ?
* Est-ce que vous croyez vraiment à ce que vous défendez ? Bien. Ne le dites pas tout de suite alors, mais criez-le très fort quand votre patience aura fini par l’emporter.

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Et, au fait, le changement peut aussi commencer en cliquant sur les mains qui applaudissent, là, juste en dessous :-)

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Raphaël Thobie
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#PapaPoule, #Entrepreneur NFT/web3, #NatureConcerned and @oregenearth co-founder.