« La vraie réussite n’est pas de collecter deux ou trois millions, mais de livrer son produit en temps et en heure »

Usbek & Rica
Crowd
Published in
5 min readFeb 8, 2017

--

“Malheureux qui, comme Icare…”

Les startups du hardware ont tout intérêt à se la jouer comme la tortue dans la fable de La Fontaine, Le Lièvre et la Tortue, sous peine de s’écraser en plein vol. Crowd a interrogé deux spécialistes, Benjamin Joffe, associé du plus gros accélérateur hardware au monde, hax.co et Benjamin Carlu, cofondateur de l’atelier de prototypage parisien, usine.io. Ensemble, ils déclinent un jeu des 7 erreurs à éviter, dans le parcours du combattant de la startup de hardware.

Les startups de hardware grand public (produits électroniques et autres objets connectés) et le crowdfunding mènent une idylle, en continu, depuis près de dix ans, particulièrement dans les pays anglo-saxons et, depuis peu, en Chine où pas moins de 75 plateformes ont été créées, ces dernières années. Certaines collectes peuvent mobiliser jusqu’à plusieurs millions de dollars. On pourrait croire que collecter de telles sommes est plutôt un bon présage de réussite. Pas systématiquement. Nombreuses sont celles à déposer le bilan, quelques mois seulement après la fin d’une campagne réussie.

Des exemples ? Zano est un petit drone compact. Il vole de manière autonome, à 40 km/h. Et il coûte moins de 200 euros. Ce sont les caractéristiques vantées par son inventeur, la société Torquing Group Ltd, lorsqu’elle a monté une campagne de crowdfunding pour le pré-vendre. Dans les faits, la société n’a jamais pu livrer tous les drones pré-commandés par ses soutiens. Du reste, les appareils livrés ont fait l’objet de critiques virulentes regardant la qualité de la vidéo et l’autonomie de l’appareil. En 2013, la montre connectée Kreyos pulvérise ses objectifs : au lieu des 100 000 dollars demandés, elle en récolte 1,5 million. Le produit ne sera jamais livré, la faute, selon le fondateur de Kreyos, à un manque de communication avec son fabricant chinois.

© Hax.co

Dans le hardware, rien ne sert de courir, il faut partir à point

Le point commun entre toutes ces startups tombées en plein vol ? Un temps de prototypage négligé, une technologie pas au point, une mauvaise estimation des coûts. « La vraie réussite, ce n’est pas de collecter deux ou trois millions, mais de livrer son produit en temps et en heure », analyse Benjamin Joffe, associé chez HAX, le plus grand accélérateur international dédié aux startups de hardware, installé en plein « atelier du monde », à Shenzhen. Un diagnostic que partage Benjamin Carlu, cofondateur de l’atelier de prototypage parisien, usine.io. « Tout est fabricable. La question est plus de savoir si l’objet est fabricable facilement, en série et pas trop cher. » Leurs structures respectives accompagnent, dans le cas de HAX, les startups de hardware dans leur accélération et financement (HAX a investi en direct dans environ 200 sociétés) ; dans le cas d’usine.io, leur industrialisation. Ce dernier « accompagne les startups du prototypage à la mise en série ». Nous avons demandé aux deux Benjamin — Joffe et Carlu — quelles sont les étapes à respecter impérativement pour arriver à bout du parcours de combattant qui attend la startup de hardware.

Les 7 travaux du hardware

1 — S’assurer de créer un objet innovant : « Il y a beaucoup de concurrence et tout va très vite ». Et Benjamin Joffe de rappeler la mésaventure récente de l’équipe du drone Lily, « qui a été trop lente dans la fabrication et qui l’a proposé trop cher », par rapport à la concurrence.

2 — Penser son prototypage : « Il existe différents types de prototypages, explique Benjamin Carlu. Il faut commencer par les premières maquettes qui pensent la forme de l’objet ». Vient ensuite le proof of concept, un prototype qui prouve que la technologie marche. Ce qui permet aux startups, selon Benjamin Joffe, « d’avoir suffisamment de crédibilité pour parler à des investisseurs qui comprennent la technologie, comme les angels ».

3 — Si on envisage un premier financement par le crowdfunding, bien préparer l’industrialisation. Et surtout, avoir du temps ! « Tester des prototypes, choisir les bons composants, avoir les bons fournisseurs, trouver la bonne usine pour fabriquer et assembler ; si on envisage l’Asie, bien communiquer avec le fournisseur, puis faire emballer dans des cartons, sur des palettes, dans des containers, compter le temps de dédouane à l’arrivée au Havre. Voilà une somme de tâches dont le temps est incompressible », rappelle Benjamin Carlu.

L’entrepreneur, une souris ? © Hax.co

4 — Utiliser le crowdfunding comme une tactique, et pas comme une plateforme de distribution : Benjamin Joffe insiste sur ce point : « Lancer une campagne de financement participatif doit être un évènement. C’est le moment pour la startup de faire une démonstration aux médias de leur produit. Dans le hardware, les journalistes hésitent à relayer s’ils n’ont pas vu le projet ». Et Benjamin Carlu de renchérir : « Une campagne de crowdfunding est un temps important pour la startup. C’est le moment où elle reçoit des commentaires pour affiner son produit, où elle peut comprendre quel est son cœur de cible — c’est un vrai exercice marketing. Et c’est aussi un outil de compréhension pour les ventes : notamment pour appréhender les coûts d’industrialisation, les marges dégagées ».

5 — La campagne réussie, présenter son projet aux investisseurs. « Une campagne réussie et un produit qui tient la route permettent de discuter avec des investisseurs qui ne comprennent pas forcément la technologie derrière, mais ont une vraie compréhension du marché ». Un effet vertueux que l’associé de HAX a pu constater sur les dernières levées de ses startups.

6 — L’industrialisation est en marche. On peut commencer à livrer les premiers produits.

7 — Vendre la deuxième fournée : « Le crowdfunding, c’est génial. Les gens paient à l’avance, mais ensuite, les distributeurs ne fonctionnent pas comme ça. La startup va devoir comprendre comment travailler avec les distributeurs », prévient Benjamin Joffe.

Ces 7 travaux passés, les entrepreneurs du hardware ont gagné le droit de réfléchir à leur deuxième produit. « Si le premier part souvent d’une intuition, le deuxième part d’une connaissance. Au lieu de mettre un an et demi à créer son produit, on mettra cette fois-là six mois. », s’amuse Benjamin Joffe. Un éternel recommencement ! Après les travaux d’Hercule du hardware, rouler sa bosse comme Sisyphe… mais moins longtemps.

--

--