Protectionnisme : de quoi parle-t-on ?

Usbek & Rica
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5 min readJan 31, 2017
Dessin de Nicolas Vadot

Le protectionnisme fait son grand retour. Le « hard Brexit » adopté par Theresa May et les annonces du président Trump décomplexent les politiques français, qui font du protectionnisme l’une de leurs recommandations phares, à l’approche de la présidentielle.

« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes ». La formule, issue de L’Esprit des lois, de Montesquieu, en 1748, pourrait se traduire aujourd’hui par un simple : « Make trade, not war ». Las ! Le vœu humaniste du philosophe se retrouve piétiné. Le Royaume-Uni claque la porte de l’Union européenne. Le président américain Donald Trump annonce une vague de mesures protectionnistes. Aux entreprises américaines qui fabriquent à l’étranger — General Motors au Mexique, par exemple, il brandit la menace d’importantes taxes frontalières. Dans le journal le plus lu d’Allemagne, BILD, il invite les Allemands à fabriquer leurs voitures directement aux Etats-Unis, sous peine de taxes frontalières de 35 %. Dans la foulée, Ford annonce renoncer à installer une usine d’assemblage de voitures au Mexique.

De concert, des candidats à la présidentielle, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, en passant par le candidat malheureux aux primaires de gauche Arnaud Montebourg, s’engouffrent dans la tentation protectionniste. L’un parle de « patriotisme économique », l’autre assume un protectionnisme « intelligent », le dernier essaie de se distinguer — son protectionnisme est « solidaire ».

Patriotisme économique versus protectionnisme

Derrière toutes ces formules, qu’y a-t-il ?

D’après la définition du Trésor de la langue française, le protectionnisme est une « doctrine préconisant, ou système mettant en pratique un ensemble de mesures restrictives ou prohibitives pénalisant l’introduction dans un pays de produits étrangers, afin de favoriser les activités nationales et de les préserver de la concurrence étrangère ».

Vu dans Le Parisien

Sans surprise, Marine Le Pen est celle qui se rapproche le plus de la définition. En 2012 déjà, lors d’un congrès du FN à Saint-Denis, en amont de la présidentielle, elle propose, afin de lutter contre les délocalisations, d’instaurer une taxe de 35% pour les entreprises automobiles qui ne réalisent pas au moins la moitié de leur production sur le sol français. Même tarif pour celles qui délocaliseraient une partie de leur services à l’étranger : 35%.

Jean-Luc Mélenchon affine le concept, avec son « protectionnisme solidaire » qui doit soigner les « dégâts sociaux et environnementaux » causés par le libre-échange. Comment ? En « relocalisant les activités » en France, étaye-t-il dans un entretien accordé au JDD en octobre 2016. En produisant local, on préserve l’environnement et endigue le dumping social. Le tout à coups de taxes douanières sur les produits délocalisés, bien entendu.

Arnaud Montebourg se réclame (réclamait…), lui, d’un patriotisme économique pour « protéger notre industrie ». Depuis ce jour de 2012 où il pose en marinière avec un blender Moulinex au bras, en Une du Parisien Magazine, l’homme recommande que 80% de la commande et des marchés publics soient réservés aux PME françaises et que les entreprises « stratégiques », par exemple Alstom, soient nationalisées.

En revanche, contrairement à Le Pen et Mélenchon, son protectionnisme à lui se veut d’abord européen. Nul projet de sortie des traités européens pour Montebourg.

Le protectionnisme, une recette souvent au menu

C’est cocasse, mais il ne faut pas remonter bien loin pour s’apercevoir que la question du protectionnisme a déjà agité la politique française — et aussi allemande et américaine. La fin du XIXème siècle est marquée par une période de dépression économique et de concurrence mondiale féroce. En France, avec la loi Méline en 1892, en Allemagne en 1879, aux Etats-Unis avec le tarif McKinley en 1880, sont adoptés des tarifs douaniers. La conséquence ? Un coût de la vie qui augmente.

C’est ce que pointe le socialiste Jean Jaurès dans un article publié en février 1889 sous le titre « La Viticulture française et la législation » dans Les Annales économiques, alors que la France met en place la loi Méline pour protéger la production agricole française. Dans cet article, Jaurès craint que les barrières douanières ne représentent qu’« un abri provisoire » et n’« isolent plus qu’elles ne protègent ». Pire, il pressent des conséquences sociales : « Pendant que par des tarifs de douane vous favorisez les producteurs, c’est-à-dire (…) les possédants, vous n’avez pas la force (…) de demander aux classes possédantes (…) les sacrifices d’impôts (…) nécessaires, précisément pour accroître la consommation populaire dans la mesure où se développe la production nationale. » Comprendre : les tarifs douaniers, c’est bien, mais s’ils ne s’accompagnent pas de réforme fiscale pour redistribuer aux moins fortunés qui pourront alors consommer du local, c’est bof.

© OCDE, novembre 2016

Une institution pas vraiment héritière de Jaurès, telle que l’OCDE, abonde dans ce sens dans un rapport publié en novembre 2016. Davantage de protectionnisme provoquerait moins de croissance. Une étude de la banque HSBC déclare que si le Royaume-Uni appliquait un « hard Brexit » — à savoir, quitter l’Union européenne et le marché unique, et si Trump mettait vraiment en place son programme protectionniste — ce cocktail pourrait coûter au commerce mondial 1,2 trillion de dollars.

En attendant, le Made in France n’a pas besoin de pub et d’intervention de l’Etat pour se développer. En 2014, le CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) révélait dans une étude que 61 % des Français étaient prêts à payer plus cher un produit fabriqué en France contre 39 % en 1997. Et toc !

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