La Grande Odalisque, trois voleuses aussi sexys que détonnantes

Critique des tomes 1 et 2 — B. Vives, F. Ruppert & J. Mulot

Romain
Cultiz
4 min readJun 27, 2017

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Filles d’aujourd’hui, Enfants de la forme, Nous aimons rire et danser, Vienne minuit, Quand d’autres s’endorment, Nous devenons pour la nuit […]

Si vous avez disons entre 30 et 40 ans, ces paroles vous disent forcément quelque chose. Allez, vous y êtes presque. Souvenez-vous du dimanche soir lorsque, en vous installant devant FR3, vous ressentiez un mélange subtil de joie de retrouver ces filles en justaucorps et de tristesse de retourner à l’école dès le lendemain matin. Ça y est, vous avez trouvé ?

Cat’s Eyes, signe Cat’s eyes, Cat’s Eyes, signé signé Cat’s eyes

Les trois sœurs virevoltaient avec grâce sur nos écrans cathodiques pour dérober des œuvres d’art au nez et à la barbe de la police et du naïf Quentin.

Je parierais que Bastien Vivès a à peu près vécu les mêmes émois. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il puise son inspiration dans la culture populaire propre à sa génération. Il a consacré un volume à un phénomène qui a émergé pendant ces années Le jeu vidéo et a repris les codes de Dragon Ball et de Street Fighter — entre autres — pour créer l’excellente série Lastman.

Comme dans Lastman, il n’a pas travaillé seul, mais avec deux complices inséparables. Tellement inséparables que leur nom est toujours associé Ruppert et Mulot. Et ce n’est pas un hasard puisque Florent Ruppert et Jérôme Mulot sont deux auteurs de bande dessinée de la même génération que Bastien Vivès qui ont la particularité de travailler scénarios et dessins à quatre mains. Ces deux autres talents sont des habitués des productions plus pointues que l’on pourrait qualifier d’avant-garde comme La technique du périnée par exemple — rien que le titre est génial. Leur univers s’exprime ici à la fois au travers des personnages et des oeuvres d’art.

C’est quoi déjà, La Grande Odalisque ? C’est la peinture de la nana qui a trois vertèbres en plus que tout le monde. Connue justement pour ce truc de vraisemblance sacrifié au profit de la beauté.

La Grande Odalisque de Jean-Auguste-Dominique Ingres

En lisant ces lignes vous commencez à comprendre que la série des années 80 a pris un bon coup de pied aux fesses. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté je précise bien que ce n’est en aucun cas une adaptation de Cat’s Eyes qui n’est qu’une source d’inspiration. Les filles, pour dire un gros euphémisme sont un peu moins sages. Elles s’attaquent à de très grosses prises La Grande Odalisque (Jean-Auguste-Dominique Ingres) et Olympia (Édouard Manet) et font beaucoup de dégâts.

T’as vu ? Il y a des étoiles de Ninja en forme de carte de visite.

Si les dialogues dignes d’un Michel Audiard des années 2010 — c’est un concept comme un autre — détonnent, ce n’est rien à côté des dessins modernes et raffinés et du dynamisme du découpage. Les albums alternent entre des planches détaillées agrémentées de dialogues et des pleines pages aux grandes cases d’où ils sont complètement absents. Cette alternance accroit le plaisir de lecture en permettant des respirations pendant lesquelles on en apprend plus sur les personnages avant de reprendre les scènes d’action où l’on se surprend à tourner frénétiquement les pages pour connaître la suite. On se croirait devant un film d’action ou un dessin animé, le raffinement des dessins et l’humour en plus.

Le seul inconvénient est que, pris par l’action et le scénario, il est difficile de prendre le temps d’observer les dessins et, dans son ensemble, le travail des auteurs. Ce qui est vraiment dommage car c’est du très beau boulot. Quand le talent de trois brillants auteurs font entrer avec fracas la culture populaire au musée du Louvre ça fait des étincelles et on en redemande.

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