Ces nouvelles façons de devenir propriétaires

En France, on dénombre 57,4% de propriétaires occupants. Un taux en baisse depuis 2015 et inférieur à 40% dans les dix plus grandes villes de France.

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10 min readAug 4, 2023

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Pourtant, l’accès à la propriété reste un souhait chez nombre de locataires. C’est l’ambition de 67% des 25–34 ans notamment. Mais la hausse des prix de l’immobilier et l’augmentation des taux d’intérêt rendent de plus en plus difficile l’achat. Raison pour laquelle de nouvelles solutions, souvent basées sur la mise à disposition de capital d’un côté et la dissociation du foncier bâti de l’autre, se déploient en France comme à l’étranger. Zoom sur leurs spécificités et atouts.

Devenir propriétaire aujourd’hui, surtout lorsqu’on est primo-accédant, est souvent compliqué. Ainsi, l’indice des prix des logements a connu une hausse moyenne de près de 30 % en dix ans, et plus de 70% depuis 2003, tous types d’habitats confondus, selon l’Insee. Et cette progression cache de grandes disparités territoriales. Car dans les grandes villes et moyennes villes attractives, les prix ont bondi de plus de 150% ces vingt dernières années : c’est notamment vrai à Bordeaux, à Paris, ou à Lyon. Mais dans le même temps, le salaire net moyen n’a progressé que de 13%.

Résultat selon un baromètre publié par Virgil, il faut désormais gagner un salaire brut annuel moyen de 97 490 euros pour acheter un appartement de 40m2 à Paris contre 42.047 euros brut annuel il y a 20 ans. Et Virgil constate « qu’à effort financier égal, il n’est pas possible pour les jeunes primo-accédants de devenir propriétaire dans les plus grandes villes de France sans sacrifier des mètres carrés conséquents par rapport à la location », puisque leur indice dévoile une perte moyenne de 13m2 sur le territoire, l’équivalent d’une pièce en moins.

Proptechs et apport en capital

Dans ce contexte, de nouvelles solutions voient le jour pour favoriser l’acquisition. Fondée en 2019, la proptech Virgil propose par exemple d’aider les jeunes actifs à devenir propriétaire en investissant à leurs côtés, « pour éviter que, dans 20 ans, une génération entière ne soit encore locataire, sans épargne et sans patrimoine ». En échange, elle détient une quote-part de l’appartement, mais aucun droit de regard. Concrètement, si Virgil finance 10%, Virgil détient 15%, et ce ratio est fixe. Puis, lors de la revente, l’entreprise touche sa quote-part. La startup peut ainsi financer jusqu’à 100.000 euros d’apport, lequel vient compléter l’emprunt bancaire des 25–40 ans. « Il ne s’agit pas d’un prêt mais d’un capital. Le jeune n’a plus à renoncer à une localisation ou à une superficie plus grande », souligne l’une de ses cofondatrices, Saskia Fiszel. Depuis sa création, Virgil a ainsi conseillé 10000 aspirants à la propriété, financé plus de 50 millions d’euros d’immobilier parisien, et compte aujourd’hui développer son offre ailleurs en France et en Europe.

Mais les propriétaires eux-mêmes peuvent avoir besoin de liquidités pour effectuer des travaux, aider leurs enfants à acheter ou encore acquérir une résidence secondaire. « Le patrimoine des ménages français s’élève à 12 500 milliards d’euros. L’immobilier représente plus de 7 700 milliards d’euros, soit plus de 60% du patrimoine total des ménages bloqués dans la pierre ! C’est 3 fois plus que le PIB de la France ! », rappelle ainsi la proptech Les Nouveaux Propriétaires sur son compte Facebook. Fondée en 2022, elle offre donc aux propriétaires de lui vendre jusqu’à 30% de part de leur bien, lesquels restent seuls à disposer du bien, sont libres de l’occuper ou de le mettre en location, et peuvent faire ce qu’ils souhaitent des fonds récupérés. Et dans les dix ans, ils peuvent racheter leur part ou déclencher la vente totale de leur bien. « Nous partageons les risques :
si le bien perd en valeur, la part que nous avons achetée également
», ajoute la proptech sur son site. C’est la mise en œuvre du principe de la propriété fractionnée, lequel inspire d’autres jeunes sociétés dans le monde, comme Splitero à San Diego aux Etats-Unis.

La propriété à vie

Par ailleurs, l’évolution de la législation en France permet l’émergence d’autres voies entre la location et la propriété totale et éternelle. Parmi ces voies, citons la « propriété à vie », héritée du long lease en place en Angleterre. Lorsqu’on devient propriétaire d’un bien immobilier au Royaume-Uni, c’est en effet, le plus souvent, pour une durée limitée dans le temps. Acheter revient alors à contracter un bail emphytéotique (un « leasehold ») qui donne un droit de pleine propriété reconnu comme absolu sur le bâti, mais seulement pour une période de 21 à 99 ans, voire plus mais jamais pour l’éternité.

Et en France, le droit en vigueur permet aussi à un ménage d’acheter un droit d’usage du logement auprès d’une foncière pour une longue durée prédéfinie. Fondée en 2022 par Xavier Lépine et Olivier Ramé, la Société des Nouveaux Propriétaires a par exemple lancé le dispositif NEOPROPRIO qui ambitionne de libérer l’accès la propriété immobilière. Comment fonctionne-t-il ? « Un contrat emphytéotique, c’est la propriété d’un bien pour une durée déterminée. Avec Neoproprio, l’acquéreur achète les droits de propriété d’un bien pour une durée de 25 ans maximum. Afin de faciliter la mobilité des néopropriétaires, le contrat Neoproprio garantit le rachat du bien à un prix convenu d’avance ; un prix qui sera bonifié en cas de hausse de la valeur du bien, mais qui reste garanti en cas de baisse. Ainsi, l’acquéreur peut sortir du dispositif et revendre son bien à tout moment, tout comme il peut — à sa main et quand il le souhaite — s’acquitter de la quote-part de pleine propriété qui lui manque », explique ses créateurs sur leur site. Concernant les droits à l’usage de ces nouveaux propriétaires, ils sont identiques aux acquéreurs classiques. Ils peuvent donc réaliser les aménagements qu’ils souhaitent ou mettre en location leur bien.

Résultat la charge financière est moindre pour les acheteurs, en moyenne de 25% à 35%, à la fois pour ce qui est de l’apport initial et pour les mensualités à rembourser à la banque. « Exemple : un couple avec un enfant rêve d’acquérir un appartement de 3 pièces de 58 m2 à 300 000 euros. Ils n’ont que 10 000 euros d’apport, et, avec la hausse des taux, ils n’arrivent à obtenir un financement que de 195 000 euros. Neoproprio leur permet de faire l’acquisition du 3 pièces. Ils n’empruntent que 145 000 euros à la banque pour financer la valeur initiale du contrat et s’engagent auprès de la foncière à verser une redevance annuelle de 2900 euros. Au total, leurs échéances mensuelles (remboursement du crédit + redevance) s’élèvent à 1150 euros alors qu’il aurait fallu payer 1750 euros par mois s’ils avaient pu emprunter les 290 000 euros nécessaires à l’achat en pleine propriété. C’est une économie mensuelle de 35% », illustre la société dans un communiqué de presse.

Dissociation foncière pour un accès à tous

Autre voie d’accès à la propriété, le bail réel solidaire (BRS) permet de dissocier le foncier du bâti pour la vente. Concrètement, grâce à ce dispositif il est possible aux ménages modestes en France d’acheter une maison ou un appartement mais sans posséder le terrain. Il s’inspire du modèle des Community Land Trusts (CLT) déployé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. « Les land trusts achètent des terrains essentiellement par le biais d’aides publiques et parfois grâce à des dons ou des fondations. Une fois les terrains achetés ils vont rester dans le « portefeuille » du trust « à perpétuité » et, quel que soit leur usage, ne pourront plus faire l’objet de revente avec spéculation. C’est pourquoi, le Conseil d’administration de la structure associe des intérêts divers et rend ainsi très difficile, voire impossible, la revente des terrains », explique l’urbaniste français Samuel Jablon. Puis, « dans les programmes d’accession à la propriété du CLT, le ménage achète le logement de son choix sur le marché privé (dans une limite de prix) et reçoit une subvention équivalente à la valeur du terrain, dont le CLT devient propriétaire. L’acheteur devient propriétaire du logement et locataire (via un bail emphytéotique) du foncier », ajoute-t-il.

credits: Land in Common, NYC Community Land Initiative

Créé par la loi ALUR, le BRS est, lui, signé avec un organisme foncier solidaire, établissement à but non lucratif agréé par l’État, qui aura au préalable fait l’acquisition d’un terrain et de son bâti neuf ou rénové avant de revendre le bien bâti moyennant une redevance pendant la durée du bail (maximum 99 ans). Une fois cette durée atteinte, les propriétaires ou ses ayants-droits peuvent soit revendre avec une plus-value encadrée, soit, si les conditions de ressources sont respectées, conserver le logement en signant un nouveau BRS.

“On n’est pas du tout habitués à ce modèle en France mais la propriété n’est pas fragile du tout, simplement on ne peut pas faire de spéculation », souligne Cécile Hagmann, directrice générale de la Coop’ Foncière. Le BRS a ainsi un intérêt pour les populations exclues de l’accès à la propriété par le marché mais aussi pour limiter les risques de tensions sur les logements dus à la multiplication des résidences secondaires et des locations saisonnières.

C’est d’ailleurs dans cette optique que la coopérative basque Etxalde a mis en place en avril 2023 un «livret logement», réservé aux habitants et aux entreprises locales. Son ambition est ainsi d’acquérir des logements en commun afin de garantir que les résidences principales demeurent et ne se transforment pas en résidence secondaires ou Airbnb. La coopérative veut donc acheter des biens, procéder à leur démembrement et en vendre l’usufruit à des ménages locaux. «Celui qui achète l’usufruit, donc la capacité à utiliser l’espace, assure tous les frais, les charges, comme s’il était un propriétaire classique. Il est libre de faire des travaux dans son logement, de faire une véranda s’il veut. À son décès, l’usufruit disparaît mais la coopérative qui détient la nue-propriété donne la priorité de revente au descendant de l’usufruitier, frère, sœur, enfant, neveu ou nièce», explique Beñat Etchebest, président-directeur général de la coopérative Etxalde. Pour acquérir un appartement de 2 pièces près de Bayonne, à Boucau, les usufruitiers ne devront ainsi débourser que 80 000 euros et payer une contribution mensuelle de 200 euros pour participer à l’achat d’autres bien par Etxalde. «Le coût du logement n’est dès lors plus un problème. Les usufruitiers n’ont plus cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes», affirme le président-directeur général de la coopérative Etxalde.

Propriété et gestion communautaires

L’intervention de coopératives dans l’accès à la propriété et la gestion raisonnée des logements n’est pas nouvelle. En Suisse par exemple, les coopératives d’habitation se sont développées dès le début du 20e siècle. Leur principe est simple : les futurs habitants se regroupent en société à but non lucratif pour acheter un terrain, ou un bâtiment. Puis chaque membre, également actionnaire, verse une part sociale et paye un loyer destiné à rembourser l’emprunt et à couvrir les charges de l’immeuble. En fait, ils sont propriétaires et locataires : ils possèdent une part du bâtiment et louent leur logement pour des montants qui reflètent le coût réel d’exploitation de l’immeuble et sont totalement déconnectés du marché.

Leur intérêt est donc largement collectif puisqu’il permet de créer un parc social sans recours à des subventions publiques. Et il est aussi urbain et environnemental selon Martin Lepoutre, architecte français formé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et installé à Zurich : “les immeubles construits par les coopératives n’abritent pas seulement des logements 20 à 25 % moins chers que le marché. Ils sont aussi plus ambitieux sur le plan architectural et écologique. Ils répondent à la nécessité de densifier notre territoire en prenant soin de s’intégrer au reste de la ville. Lorsqu’on comprend qu’en plus, ce n’est pas subventionné, c’est très inspirant.”

Hunziker-Areal, Zurich, In buona compagnia: housing community of elderly people in the canton of Graubunden (credits: Cooperative Housing International)

En France, la loi ALUR du 24 mars 2014, parallèlement à la création du BRS, a d’ailleurs créé un statut juridique pour l’habitat participatif, lequel peut prendre la forme d’une coopérative d’habitants ou d’une société d’attribution et d’autopromotion.

Les coopératives d’habitants « ont pour objet de fournir à leurs associés la jouissance de logements et d’espaces partagés, souligne le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur son site. Pour cela elles peuvent construire ou acquérir un immeuble ; elles assurent ensuite la gestion et l’entretien de l’immeuble. Un dispositif anti-spéculatif est prévu (prix de cession des parts sociales limité à leur montant nominal majoré sur l’IRL) et les sorties de la société sont encadrées afin de sécuriser l’équilibre financier de la société. Ces sociétés sont autorisées à proposer des services aux tiers, le volume de ces activités étant toutefois encadré. Les associés coopérateurs doivent s’acquitter d’une redevance, afin notamment de rembourser l’emprunt contracté par la société pour la construction de l’immeuble ».

Quant aux sociétés d’attribution et d’autopromotion, « elles ont pour objet d’attribuer à leurs associés la jouissance ou la propriété de logements. Elles peuvent pour cela construire un immeuble. Contrairement aux coopératives d’habitants, ces sociétés peuvent donc donner lieu à des copropriétés lorsque les statuts prévoient une attribution en propriété, dès lors que l’un des associés se retire ou bien que la société est dissoute. Si les statuts prévoient une attribution en jouissance, la société aura vocation à perdurer dans le temps. Les sorties de la société sont également encadrées afin de sécuriser l’équilibre financier de la société. »

Entre la location et la propriété individuelle transmissible, il existe donc des moyens d’accès très variés à d’autres formes de propriétés, souvent plus égalitaires, moins dépendantes des marchés et plus coopératives.

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