Commerces et lieux de vie hybrides

Curiosity identifie trois caractéristiques communes à la nouvelle génération de ces lieux de proximité.

Curiosity is Key(s)
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9 min readOct 10, 2020

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Le « localisme » caractérise aujourd’hui une tendance forte chez des citoyens en quête de traçabilité, de durabilité, d’équité mais aussi de valeurs, d’émotions et d’interactions sociales plus authentiques, directes et conviviales. Résultat les centres et les quartiers un temps délaissés au profit de grandes zones pratiques mais inanimées, retrouvent de leur attrait. Et des commerces et des lieux de vie de proximité plus mixtes et largement ouverts au partage s’y multiplient. Alors, localisme : clé pour réinventer la ville et ses liens ? Décryptage.

Toutelafranchise.com

Hypermarchés, zones périurbaines dédiées à la consommation ou magasins discount, malgré leur contribution à l’étalement urbain et à l’accroissement de notre dette écologique continuent d’attirer une large part des consommateurs, c’est vrai. Hors des grands centres-villes de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux ou Nantes au moins.

Parallèlement, le e-commerce et le recours au drive poursuivent leur progression dans la part des achats réalisés par les ménages. Mais depuis 5 ans au moins, des observatoires experts comme le Credoc ou l’ObSoCo mettent en évidence une nouvelle tendance de fond en France : la fréquentation des commerces de proximité et magasins bio augmente en même temps que le désir de consommation plus responsable et plus sobre s’accroît chez les Français. Et la période de confinement national semble avoir renforcé cette « relocalisation » de la consommation : 40% des Français disent avoir découvert de nouveaux magasins proches de leur domicile et vouloir continuer à les fréquenter. Post-confinement, c’est même plus la moitié d’entre eux qui cherchent activement à consommer plus local, selon une étude menée par Fly Research pour Mastercard.

“40% des Français disent avoir découvert de nouveaux magasins proches de leur domicile et cherchent activement à consommer plus local”

— Fly research pour Mastercard

Loin d’être cantonnée à notre territoire, cette tendance s’affirme aussi ailleurs en Europe et en Amérique du Nord. C’est vrai pour les produits et biens de consommation courants, mais aussi pour les lieux de vie et de distraction. « A l’heure de la société collaborative, l’urbanisme se fait maintenant en mode peer-to-peer, de citoyen à citoyen, estime Céline Beaufils, co-fondatrice de We-Lab, le magazine numérique consacré aux innovations sociétales, urbaines et environnementales. Peut-être est-ce en réaction à la ville intelligente, pragmatique et productive que l’on nous promet d’ici quelques années… Toujours est-il que, de plus en plus, les citadins expriment un profond besoin de recréer des liens et de ré-humaniser les villes. Pour cela ils doivent se réapproprier l’espace urbain et construire la ville ensemble, à la manière d’une « colocation urbaine » », poursuit-elle.

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A l’heure de la société collaborative, l’urbanisme se fait maintenant en mode peer-to-peer, de citoyen à citoyen”

We-Lab

Nous identifions ici trois grands traits communs à ces tiers lieux, commerces hybrides, lieux de vie nouvelles génération.

Point Commun #1 : Hybridation & multi-activités

Quand l’offre se mêle aux services…

Résultat des lieux nouveaux s’implantent au cœur des quartiers. Des commerces de vrac, des bars et boutiques éphémères, des espaces mêlant café et coworking, etc. Leur première caractéristique en commun est sans doute d’êtres des lieux hybrides.

lesgrandsvoisins.org

“Ces lieux d’un nouveau genre constituent ainsi une réponse à notre nouvelle façon de vivre, à la fois très mobile et en quête de plus de douceur dans nos rapports aux autres. Ils viennent ramener une certaine forme de poésie et de simplicité heureuse dans nos villes devenues des temples de la consommation et de la productivité.”

— Céline Beaufils, We-Lab

Exemples.

A Paris, Alexandre de Toulmon, 32 ans, a ouvert Bidoche, une boucherie haut de gamme dont il transforme, le soir venu, l’arrière-boutique en salle de restaurant, rapporte Capital. “Ayant vécu deux ans à New York, je me suis inspiré des speakeasy, les bars clandestins du temps de la prohibition”, raconte-t-il.

Dans le centre-ville de Niort, dans les Deux-Sèvres, l’Ombre du Vent donne une nouvelle image de la librairie. Ici on peut acheter romans, essais et autres BD, mais on peut aussi les feuilleter sur place en buvant un thé, en grignotant une part de gâteau, échanger avec d’autres, travailler dans les canapés confortables de l’étage, rencontrer un auteur ou encore assister à un concert intimiste.

BoucherieBidoche (crédits: profil Facebook) et L’Ombre du Vent (crédits: Vivant le Media)

A Bordeaux ou à Marseille, d’anciennes friches ont laissé place à des lieux éclectiques aujourd’hui très populaires. Sur la rive droite de la Garonne, le Darwin Ecosystème offre ainsi près de 20.000 m2 mêlant bureaux partagés, espaces de coworking, une pépinière de start-up engagées, des commerces responsables dont le plus grand restaurant bio de France, un skatepark, des surfaces dédiées au street art, une ferme urbaine, une recyclerie, et même un lycée d’enseignement alternatif. Le tout au sein des bâtiments éco-rénovés de l’ancienne caserne militaire Niel.

L’Ombre du Vent (crédits: Vivant le Media) et Darwin (crédits: Office du Tourisme de Bordeaux)

Au sud-est de l’Hexagone, sur 45 000 m2 de l’ancienne manufacture de tabac de Marseille, la friche La belle de Mai propose également « un espace public multiple où se côtoient un skate park, un restaurant, un marché paysan, des lieux d’exposition, un théâtre jeune public, une salle de concert, des espaces jardinés… et même une crèche ».

« L’objectif est d’imbriquer ces activités afin qu’elles se nourrissent les unes des autres et s’enrichissent mutuellement », confie Elsa Monségur à Capital. Avec la Textilerie, à Paris, elle a ainsi inauguré une boutique de tissus bio et vêtements de créateurs écoresponsables où elle organise également des ateliers permettant de créer ses propres modèles à partir de produits de seconde main.

Point Commun #2 : Des lieux où faire

L’illustration d’une consommation « active ».

C’est bien l’autre trait commun à nombre de nouveaux commerces et lieux de vie : faciliter « le faire ». « Après avoir saturé la promesse du bonheur par l’« avoir », alors que les marques et les enseignes s’intéressent de plus en plus à l’« être » (l’expérience client), un nouveau terrain de jeu est en train de se révéler. Il pourrait bien changer le visage de la consommation », notaient ainsi les rédacteurs de la première édition de l’Observatoire du « Faire » , l’ObSoCo de la MAIF en 2018. « … Et si les consommateurs étaient en train de rechercher confusément les voies d’une « vie bonne » dans l’acte de « faire », dans la réalisation personnelle au travers d’activités permettant d’exercer ou de révéler ses talents, d’exprimer sa personnalité ? », s’interrogeaient-ils encore.

Un peu de culture urbanistique.

La multiplication de ce qu’il est désormais commun d’appeler les « Tiers-lieux » en atteste. Le concept s’appuie sur un espace hybride qui facilite la rencontre entre des publics très divers, mais aussi sur de nouvelles manières de travailler, d’entreprendre et de partager les savoir-faire.

Deux activités longtemps distinctes — le travail et la distraction (manger, boire, pratiquer une activité artistique ou sportive, écouter de la musique…) — se réunissent en un seul lieu.

The Great Good Place

Dans son ouvrage « The Great, Good Place » (1989), le sociologue urbain Ray Oldenburg avance ainsi l’idée d’un troisième espace de la société, moins encadré et/ou moins institutionnel, un lieu des possibles.

Vecteur de développement économique.

En 2019, l’Etat français a d’ailleurs lancé le programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens » pour soutenir le développement d’un maillage du territoire par ces tiers lieux.

Il les définit comme « des espaces physiques pour faire ensemble : coworking, micro-folie, campus connecté, atelier partagé, fablab, garage solidaire, social place, makerspace, friche culturelle, maison de services au public… Les tiers-lieux sont les nouveaux lieux du lien social, de l’émancipation et des initiatives collectives. Ils se sont développés grâce au déploiement du numérique partout sur le territoire. Chaque lieu a sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, sa communauté. Mais tous permettent les rencontres informelles, les interactions sociales, favorisent la créativité et les projets collectifs. En résumé, dans les tiers lieux, on crée, on forme, on apprend, on fait ensemble, on fabrique, on participe, on crée du lien social… ».

Mais pour que commerces de proximité et nouveaux lieux hybrides soient durables, en termes financiers comme en termes de d’attractivité, il apparaît plus que jamais nécessaire de les faire correspondre au territoire ou quartier dans lesquels ils s’insèrent.

Point Commun #3 : Expérimenter collectivement

Chez Curiosity on le sait : pas de progrès sans expérimentation.

C’est ainsi qu’une troisième caractéristique réunit ces nouveaux espaces de la ville ou du village : la place laissée à l’expérimentation. Pour refléter l’atmosphère d’un quartier, son histoire, sa culture mais aussi le dynamiser, pour inventer l’endroit rassembleur, de plus en plus de porteurs de projets s’essaient au temporaire, aux défis et tremplins, et invitent les habitants dans leur démarche créatrice.

A Saint-Denis, le 6B est assez emblématique sur ce point. Pensé pour vitaliser de manière éphémère l’ancien siège social d’Alstom, cet espace mixant coworking dédié aux métiers créatifs, expositions et lieu festif, est devenu en quelques années une destination courue par nombre de Franciliens. D’expérimental, il est devenu incontournable.

Beaucoup de ces nouveaux lieux de vie et commerces entendent aussi être accessibles à tous. Il n’est pas rare d’y expérimenter diverses formes de partenariats et d’échanges pour trouver le bon modèle et les bonnes règles de fonctionnement au fur et à mesure. « Juridiquement, ces lieux se créent sous différentes formes. Il peut s’agir d’associations (le 6B) ou de projets entièrement publics (Friche La Belle de Mai). Dans d’autres cas ce sont des initiatives privées, comme pour La Commune. Les grandes entreprises s’engouffrent également dans la brèche, certaines par opportunisme d’autres par conviction. La Maif, qui finance de nombreux projets dans l’économie collaborative a ainsi récemment ouvert le Maif Social Club en plein cœur du Marais à Paris, souligne Céline Beaufils. Pour construire une ville inclusive et sociale, il faut avant tout créer des espaces de rencontres et de vivre-ensemble. C’est ce que ces lieux proposent. Chacun à leur manière, ils construisent la ville de demain pour que les citadins n’aient plus à la subir ».

L’éclosion et le développement de ces nouveaux lieux et commerces dans les villes en particulier invite donc les acteurs de l’immobilier à se réinventer aussi. « Parce que l’immobilier est un bien d’usage et un bien sociétal et parce que l’expression de sa valeur ne peut pas se limiter à une appréciation biaisée de son prix à un instant T, estime avec conviction Claire Flurin, directrice de Curiosity is Key(s). Il convient sans doute, alors, d’imaginer ou de démocratiser des formes de propriétés alternatives qui puissent faciliter l’émergence de lieux désirés et désirables pour les habitants tout en restant profitables. Des modèles qui encouragent le partage de valeur : qu’elle soit économique, sociale, culturelle ou humaine ».

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