Covid19 : l’immobilier à l’épreuve ?

Le confinement massif engendré par la lutte contre la pandémie de Covid19 a des effets néfastes de court terme sur les actifs commerciaux, hôteliers, et de bureaux. Les immobiliers logistiques et résidentiels sont en revanche moins à la peine, même si les opérations de construction ou d’achat sont retardées. Mais pour le secteur, l’essentiel est plus éloigné et étendu dans le temps.

Curiosity is Key(s)
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8 min readApr 22, 2020

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Pour Pierre Mattei, Président de Keys AM et Claire Flurin, Directrice R&D de Keys AM, Curiosity is Key(s), le développement des tendances people-centric, à l’oeuvre avant la crise, devraient se poursuivre. Entrevue.

Le télétravail est aujourd’hui une réalité pour des dizaines de millions de citoyens actifs dans le monde. Quel sera son impact à court et moyen terme sur les marchés des bureaux et des logements ?

En réalité, sur le marché bureaux, on anticipait déjà, en 2019, une perte de vitesse relativement marquée pour la décennie 2020. La pandémie et le confinement à l’oeuvre devraient le confirmer : il est désormais très raisonnable de penser qu’à court terme plus de Français auront recours au télétravail, en particulier ceux qui travaillent loin de leur domicile. Mais aujourd’hui tous ne télétravaillent pas et ce sera pareil demain.

Si on reprend les chiffres d’avant confinement, la France comptait en moyenne 5 à 6 % de travailleurs à distance en 2017 quand le Luxembourg en totalisait 10 %. Des chiffres qui semblent croître de 20 % tous les cinq ans selon Eurostat. En revanche, les salariés sont plus nombreux à télétravailler occasionnellement : 25 % en 2017 et 29 % en 2019 selon une enquête Ifop pour Malakoff Médéric Humanis.

Menée il y a un peu plus d’un an, cette enquête montrait que la réduction des temps de trajet et la souplesse des horaires étaient les bénéfices qui séduisaient le plus de télétravailleurs.

Pour l’après-confinement, cette donne, associée à plus de rigueur sanitaire et aux gestes barrières, incitera sans doute les employeurs à ajuster leurs besoins en surface locative. A court terme au moins, on peut s’attendre à ce que de plus en plus de bureaux d’entreprises se composent de moins d’un poste par salarié. Côté marché du logement, on s’attend à une diversification de l’offre. Les pourvoyeurs actuels comme les promoteurs ou architectes devraient inclure plus « automatiquement » des zones de travail dans leurs immeuble. Sans doute sur le modèle du coworking, dans un espace aménagé, connecté et partagé donc.

De manière générale, on peut s’attendre à un renforcement des typologies d’aménagement de type coworking ou flex-working. Mais ces évolutions ne sonneront pas non plus la fin du bureau.

Pour un investisseur comme nous, cela renforce donc nos exigences en matière de localisation, de capacités, d’adaptabilité à des besoins différents, et donc de réversibilité des actifs. De la même manière, cela nous invite à être très alerte et ouvert pour investir dans des lieux de destination.

Les déplacement professionnels pourraient-ils être impactés par le déploiement rapide et généralisé des technologies de visioconférence, et engendré une baisse des réservations hôtelières ?

La fréquence et le nombre de voyages professionnels courts pourraient diminuer en effet. Cela semble moins probable pour les voyages les plus longs. Aujourd’hui, les milieux d’affaires s’organisent certes. Mais en 2018 et 2019, le marché des business travelers était en plein boom alors que les solutions de visioconférence existaient déjà. Selon l’édition 2019 du Baromètre + Européen du Voyage d’Affaires réalisé par American Express Global Business Travel, les dépenses liées au voyage d’affaires ont crû de 3,4% en 2018, après avoir augmenté de 3,1% en 2017.

A ce jour encore, la rencontre humaine reste un accélérateur de business, en particulier entre entreprises de cultures différentes. Et le contact direct reste essentiel pour finaliser un projet ou un contrat. Dans les prochaines années, la demande en hôtellerie pour le voyage d’affaires connaîtra donc quelques évolutions, mais nous restons confiants sur le maintien d’une bonne dynamique.

Pour les acteurs de l’immobilier comme Keys AM, la dématérialisation des outils de gestion des projets, de maintenance des actifs ou d’animation des équipes sera-t-elle un impératif à l’avenir ?

Bien sûr. Nous avions d’ailleurs anticipé cette évolution chez Keys AM. Ce qui nous a permis et nous permet de continuer à travailler à distance et sans aucune paralysie pendant la période de confinement.

En nous appuyant sur Myre, la plateforme de gestion des données de l’immobilier, les outils de suivi de Dalkia ou les logiciels de Yardi, nous pouvons nous recentrer sur notre métier d’Asset Managers sur l’humain et la relation avec les locataires. C’est vrai en temps de crise comme en temps « normal ».

Une fois la phase de déconfinement entamée, les gens pourraient-ils, selon vous, exiger des ajustements en termes de “qualité de vie” ?

Une chose est sûre : la crise sanitaire souligne l’importance d’un habitat de qualité, dans sa forme spatiale mais aussi sociale. On peut donc penser que les changements pressentis depuis longtemps s’accéléreront. A ce titre, parce que les usages évoluent, une diversification de l’offre « habitat » se faisait déjà ressentir. On constatait aussi une réelle problématique entre prix en hausse et crise de l’accessibilité, ainsi qu’une grande rigidité de l’offre disponible face aux exigences de mobilité de notre époque.

Ces marqueurs et la crise sanitaire en cours créent donc une réelle opportunité pour développer de nouveaux produits. Chez Keys AM, nous avions anticipé en 2019 et misé sur quatre grandes tendances de fond. Le renforcement des typologies partagées dans le résidentiel, de type coliving, d’abord. Si ces actifs sont accessibles à tous, ils seront selon nous le meilleur moyen de répondre à trois grands enjeux phares : coût, flexibilité et lien humain. En parallèle, nous pensions aussi que les solutions d’hébergement mixtes où l’on vit, travaille et se divertit vont émerger. Pour répondre à la crise de l’accessibilité et au besoin de flexibilité/mobilité de l’époque, nous plaidons également pour la création de nouveaux statuts entre la location et la pleine propriété tels que dissociation de propriété, le co-investissement, le crédit bail logement, ou le viager collaboratif. Et parce que les gens attendent toujours plus de simplicité, nous croyons au développement de résidences locatives dans lesquelles la technologie permettra de gérer son logement facilement et en temps réel. Tout à nos yeux plaide pour des logements faciles à louer, faciles à vivre et faciles à quitter.

Après, cette crise pourrait conduire certains urbains à quitter les grandes villes et leurs logements parfois étroits pour aller vivre en milieu plus rural. Nous avons échangé avec l’économiste de l’ESPI Carmen Cantuarias à ce sujet, et elle nous a apporté un éclairage intéressant. A ses yeux, la demande sociale de « néo-ruraux » génère aujourd’hui (et demain?) des difficultés environnementales, car la population se déplace avec les mêmes habitudes de consommation et crée de pressions dans les milieux ruraux. Ainsi avec la crise, on pourrait imaginer qu’une demande sociale sur le modèle des écoquartiers aménagés en milieu urbain se développe en zone rurale.

Quoiqu’il en soit, les politiques de développement urbain comme les formes d’habitat devront demain prendre en compte les apprentissages ou les failles que nous révèlent aujourd’hui la crise sanitaire.

Plus largement, la prise de conscience généralisée autour des enjeux sanitaires ou climatiques et de leurs impacts sur nos vies quotidiennes changera-t-elle les habitudes de consommation ?

Difficile de l’affirmer. Mais la crise met en valeur l’importance et le pouvoir des marques qui donnent confiance et affichent des valeurs auxquelles les gens se raccrochent. A cet égard les opérateurs Airbnb par exemple souffrent durement de la période de confinement. On observe d’ailleurs le retour d’un certain nombre d’appartements Airbnb sur le marché du logement. Les hôtels reconnus et leur politique sanitaire pourraient rassurer et attirer davantage les clients. A court terme, un rebond pourrait notamment avoir lieu dans les résidences de tourisme et appart-hôtels lesquels permettent de maintenir la distanciation sociale en vacances.

On peut aussi se demander si la prise de conscience environnementale démarrée en 2019 ancrera des habitudes de voyage plus écolo : voyager moins et moins loin, privilégier des hôtels engagés en matière d’ESG, décarboner ses voyages, etc. Mais de ce point de vue, il faudra plus de temps et de données post-confinement pour trancher.

Pensez-vous que la crise sanitaire renforcera les attentes des utilisateurs et des investisseurs en matière d’ESG ?

Cette prise de conscience généralisée va bien entendu renforcer les attentes ESG. Du côté des professionnels de l’immobilier, on anticipe une réflexion plus poussée sur la qualité « sociale » des bâtiments, et donc la manière dont ils sont exploités et comment ils facilitent, ou protègent, des interactions par exemple. On ira vers une intégration systématique des mesures d’empreinte carbone de nos activités. Comme nous l’a confié Carmen Cantuarias, certains travaux montrent le lien entre la crise sanitaire et la perte de la biodiversité. Il sera donc important d’inclure dans les attentes ESG de l’immobilier les enjeux biodiversité et occupation de sols.

Au-delà des critères ESG, c’est l’impact de nos actifs sur la santé, l’environnement, l’économie locale qui va intéresser les gens. Le secteur de l’ « impact investing » pourrait donc en profiter.

Anticipez-vous aussi une modification de la production de notre immobilier ?

Il faut nuancer : les bâtiments ne vont pas tous êtres imprimés en 3D ni construits par des robots demain. Comme le souligne Radmila Pineau, également économiste à l’ESPI, on peut en revanche s’attendre à ce que le bâti réversible ou modulable monte en puissance. La construction hors-site pourrait bien en bénéficier et croître davantage pour contribuer à la résilience des opérations de construction.

Vous avez parlé de qualité sociale, de mixité des usages, d’interactions…La crise met-elle en lumière un besoin de renforcer les liens humains dans et par l’immobilier au sens large ?

Oui ! Le confinement que nous vivons va accentuer ce besoin. Les gens vont vouloir se voir et se parler ! Concrètement, l’intérêt des utilisateurs pour vivre des expériences humaines au travail, au restaurant, dans un bar, sur leur lieu de résidence avec leurs voisins, ou durant leurs voyages, va s’affirmer davantage encore.

De plus, on assistera très certainement à un regain pour le commerce brick & mortar à l’instar du commerce en ligne. Déjà en 2019, nombre de pure players « online », comme Casper, Warby Parker, AMPM ou Made.com, avaient ouvert des magasins physiques. Cette tendance du « retour au street retail » pourrait se confirmer et même s’accélérer.

D’un point de vue plus sociétal, cette crise sanitaire démontre plus que jamais notre intérêt à observer et comprendre les comportements humains, afin de faire évoluer avec justesse notre secteur d’activité. Cela semble évident mais il faut le rappeler : dans l’immobilier le client final c’est bien l’humain. Chez Keys AM, cela conditionne toutes nos décisions et réflexions. Mais ce n’est pas toujours dans l’ADN du monde immobilier.

Au sein de notre pôle R&D Curiosity is Keys notamment, nous travaillons justement à mieux comprendre les utilisateurs et usages et à répondre toujours mieux aux attentes. Nous tentons ainsi d’anticiper aujourd’hui les façons que nous aurons d’habiter, de travailler, d’apprendre, de nous déplacer, pour inventer des formules immobilières qui créent plus de valeurs, plus de performances, pour tous. Des missions qui nous apparaissent particulièrement essentielles aujourd’hui.

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Who said real estate wasn’t sexy?! Curiosity is key at Keys AM. This is our exploration journey.