[fr] Du co-living, mais pourquoi ?

Claire Flurin
Curiosity is Key(s)
6 min readFeb 20, 2019

Avant de rejoindre l’équipe de Keys AM, j’ai co-fondé et géré le do-tank Co-Liv, réseau mondial des professionnels du co-living. Cet article fait le bilan sur mon expérience dans ce secteur.

La plupart des gens à qui je parle trouvent le co-living soit vraiment bizarre soit bien trop innovant. De mon point de vue, le co-living est avant tout habitude sociale, que notre société moderne a délaissée depuis quelques générations. Ce qui me passionne à son sujet c’est son pouvoir disruptif sur l’immobilier traditionnel.

Selon Co-Liv, le co-living est un mode d’habitat géré polymorphe dans lequel les gens partagent espaces et ressources afin d’accéder à une meilleure qualité de vie. Le terme co-living englobe donc un grand nombre de lieux de vie, mais tous visent à proposer une meilleure qualité de vie à leurs occupants, et s’articulent autour de trois éléments clefs : (i) espaces partagés, (ii) communauté d’utilisateurs identifée, et (iii) gestion professionnelle, ou semi-professionnelle.

Vous me demanderez alors : mais pourquoi certains d’entre nous ont fait le choix du vivre-ensemble ? Et quelles opportunités le co-living est susceptible d’ouvrir ?

La crise de la métropolisation et du pouvoir d’achat

Le monde s’urbanise à grande vitesse. Selon les Nations Unies, 68% de la population mondiale vivra dans des villes à l’horizon 2050. Pour faire face à l’explosion démographique et loger ses habitants, une mégapole comme Lagos empiète sur la mer ; l’aire métropolitaine de Tokyo vient d’atteindre le chiffre considérable de 38 millions d’habitants … De même Paris, New York, Los Angeles, Rio sont toutes confrontées à une croissance exponentielle de leurs populations respectives.

Le problème, c’est que ces flux de population et la masse colossale d’individus qui rejoignent les villes, se déplacent de l’une à l’autre et participent à l’activité de l’économie mondiale ont contribué à rendre les villes inaccessibles en termes de prix. Partout, en effet, les grandes métropoles doivent faire face à une crise majeure d’abordabilité du logement.

Une étude de l’université de Harvard a récemment démontré que plus de 50% des locataires américains sont écrasés par le coût du logement, celui-ci absorbant plus de 30% de leurs revenus. Co-Liv, a ainsi découvert que les classes moyennes se retrouvent très souvent exclues : ce phénomène concerne environ 30% des Parisiens, et l’on observe encore que si 35% des habitants de la zone nord de Brooklyn ne gagnent pas suffisamment pour bénéficier d’un appartement au taux du marché, ils gagnent cependant trop pour prétendre accéder à des logements sociaux attribués sous conditions de ressources. Quelles solutions s’offrent alors à ces personnes ? Soit ils s’éloignent des grands centres et contribuent ainsi à l’expansion tentaculaire des villes, soit ils font preuve d’inventivité : ils compriment leurs activités domestiques dans des espaces réduits et/ou ils se résolvent à partager leur logement avec autant de personnes qu’il sera nécessaire pour rendre le loyer enfin abordable. Le partage apparaît comme la tactique la plus répandue pour alléger le poids d’un loyer. Et c’est ainsi que plus de 40% des locataires bulgares partagent leur logement ou que, selon un chiffre de 2012, 42% des New-Yorkais vivraient en colocation.

Malheureusement, lorsqu’elle se conjugue à un déséquilibre des plans d’aménagement, cette inadéquation de l’offre et de la demande favorise le développement d’un marché parallèle avec des appartements subdivisés de manière illégale, des « maisons-cages » mal entretenues où s’entassent les locataires.

Les acteurs du co-living regardent ce déséquilibre sous un angle positif et y voient une réelle opportunité , pour les gestionnaires de maisons partagées, de répondre aux besoins d’une population en difficulté.

Nous avons besoin de mobilité !

Le besoin accru de mobilité constitue une deuxième justification au mouvement du co-living. Nos styles de vie évoluent et réclament une plus grande flexibilité.

Nous nous marions plus tard, nous nous séparons plus facilement, nous vivons plus longtemps que nos conjoints… ce qui engendre un nombre grandissant de micro-ménages, c’est-à-dire de personnes vivant seules ou à deux. L’institut Gallup a indiqué qu’en 2015, 64% des « millennials » vivaient seuls. Le Furman Center affirme de son côté que 71% des foyers new-yorkais sont uniquement composés d’adultes.

Tout le monde en parle, mais il est important de le souligner : la révolution technologique a également permis à nos modes de travail d’évoluer, et les talents sont désormais beaucoup plus mobiles. Selon Deloitte (2013), 90% des millennials réclament plus de mobilité dans leur activité professionnelle. On se prépare d’ailleurs à accueillir dans les entreprises, 40% de travailleurs freelance, nomades ou télé-travailleurs à horizon 2020 (Intuit, 2010)… c’est demain ! Les entreprises doivent s’adapter à ces évolutions sociétales profondes.

Qu’elles soient géographiques ou personnelles, ces multiples transitions sont autant de tendances lourdes qui questionnent les anciens modèles à un rythme de plus en plus soutenu. Or, pour accompagner ces transitions, nous avons besoin de solutions concrètes en matière de logement.

La solitude…

Autre paradoxe de l’époque actuelle : malgré la densification urbaine et le fait que nous soyons de plus en plus « connectés », il semble qu’en réalité nous n’ayons jamais été aussi seuls… La technologie et notre hyper-mobilité nous ont coupés de nos communautés locales, c’est-à-dire de notre ancrage social et humain.

L’UCSF et JC Decaux indiquent que 36% des Français et 40% des Américains éprouvent un sentiment de solitude et d’isolement : c’est deux fois plus qu’il y a 30 ans. Plus triste encore, ces 10% de la population britannique qui confessent n’avoir aucun ami proche. Le phénomène est si préoccupant que le Royaume-Uni a décidé la création d’un « Ministère de la Solitude » !

La solitude constitue un véritable problème de santé publique, comme l’a décrit The Economist. Sur ce terrain, les États-Unis ne sont pas en reste, assimilant le phénomène de la solitude à « une épidémie dont l’impact est comparable à celui de l’obésité ou à la consommation de 15 cigarettes par jour ».

Plus que jamais, les gens ont besoin de gens… Pourtant, connaissez-vous vraiment vos voisins, ou ces personnes que vous croisez régulièrement dans la boutique en bas de la rue ?

Nouvelles générations, nouvelles préférences

À l’heure où les millennials, génération la plus nombreuse en 2018 (Phew Research Center, 2018), s’installent en ville, dans leurs jobs, et constituent la nouvelle classe moyenne, il est particulièrement important de comprendre leurs préférences en tant que « consommateurs » de logement.

Cette nouvelle génération et celles qui lui succèdent semble privilégier l’accès, ou l’usage, à cette (déjà ancienne)notion de propriété. Spotify, Netflix, Zipcar, Classpass vous promettent la musique, les films, les voitures ou la gym que vous aimez, quand vous l’aimez, où vous l’aimez, en échange d’une simple adhésion mensuelle. Même s’il est encore un peu tôt pour dire si cette tendance correspond à une véritable préférence ou si elle est dictée par les revenus relativement bas des millennials par rapport à leurs aînés, on ne peut pas s’empêcher de se demander quand le Spotify de la maison fera son apparition. Le co-living en est probablement la première itération.

Les millennials sont donc plus sensibles aux « expériences utilisateurs » qu‘à la notion d’apartenance : je privilégie la qualité de mon expérience avec le produit A à ma capacité à acheter le produit A. Selon Goldman Sachs, « les millennials se montrent réticents à l’achat d’articles tels que les voitures, la musique ou les produits de luxe. Ils préfèrent se tourner vers un ensemble de nouveaux services susceptibles de les exonérer du fardeau que constitue la propriété. »

Au fond, la technologie a permis de dissocier un certain nombre d’usages de leur terminal d’utilisation : grâce à Uber, par exemple, je n’ai plus besoin d’avoir une voiture pour me déplacer en voiture où je veux, quand je le veux. Pourquoi le logement ne serait-il pas éligible au même traitement ? Cela permettrait-il de mieux coller aux besoins des consommateurs ?

Alors, oui au co-living ?

Abordabilité, mobilité, solitude et préférences évolutives semblent aujourd’hui être les principaux moteurs de ce changement comportemental.

Après tout, vivre les uns aux côtés des autres, en nous appuyant sur nos voisins et nos proches pour nous épanouir, n’a rien de révolutionnaire. Mes grands-parents, leurs parents et les générations qui les ont précédés vivaient ainsi, et quelque chose me dit que les vôtres aussi…

Peut-être devrions-nous tous essayer de redécouvrir les vertus de ce modèle ;-)

[Translated by Michel Ferrer, from an article initially published in English here.]

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Claire Flurin
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I develop creative land use and urban sustainability strategies that enhance livability in global cities, and reconcile traditional real estate with innovation.