Enjeux de l’artificialisation des sols pour les investisseurs immobiliers

Une étude du Groupe ESPI pour Curiosity is Keys

Curiosity is Key(s)
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7 min readSep 28, 2021

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Carmen CANTUARIAS-VILLESSUZANNE, Docteure en Sciences économiques, enseignante-chercheuse au sein du Groupe ESPI, et son équipe des chercheuses ont piloté pour Curiosity is Keys le rapport “Investissement immobilier et objectif Zéro Artificialisation Nette”. Cette étude et les travaux associés présentent les enjeux de l’artificialisation des sols en France (coûts et bénéfices socio-économiques et environnementaux), les outils juridiques favorisant la densification urbaine et la manière dont la réglementation du secteur immobilier lutte contre cette artificialisation (Fonds Friche, Loi Climat, refonte du Pinel). Ces travaux ont pour objectif d’aider l’investisseur immobilier à mieux comprendre pourquoi et comment il doit prendre en compte cette question dans ses projets d’investissement à impact et de l’initier à la conception d’une stratégie d’investissement responsable.

L’artificialisation des sols en France : une urgence écologique et économique

▶️ Qu’est-ce que l’artificialisation des sols ?

On peut définir l’artificialisation des sols comme la disparition des sols naturels, forestiers ou agricoles au profit d’installations humaines qui les rendent imperméables (routes, bâtiments, etc.). Plus exactement, selon le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), c’est “la transformation des espaces naturels, agricoles ou forestiers par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale des sols afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport (habitat, activités, commerces, infrastructures, équipements publics…)”.

▶️ Pourquoi l’artificialisation des sols pose problème ?

Les conséquences de la raréfaction des sols naturels sont autant écologiques qu’économiques :

Destruction de la biodiversité et réduction des services rendus par la faune et la flore, comme par exemple les principes actifs médicamenteux issus de plantes sauvages, la pollinisation (et donc la reproduction) des cultures par les insectes ou la régulation des populations de ravageurs des cultures et d’animaux vecteurs de maladies.

Perte de capacité agricole. Selon la FAO (organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), 53,5 % de l’emprise foncière dans l’Union européenne entre 2000 et 2006 a recouvert des terres agricoles, soit l’équivalent d’une perte de plus de 6 millions de tonnes de blé sur la période complète.

Accélération du réchauffement climatique par la perte de la capacité des sols à stocker le carbone — et le processus d’artificialisation lui-même libère de fortes quantités de carbone lors du décapage superficiel des sols riches en matière organique.

Amplification des risques d’inondations : par définition un sol imperméabilisé n’absorbe pas l’eau de pluie, amplifiant les phénomènes de ruissellement et d’inondation lors d‘intempéries.

Pollution des sols, des eaux et de l’air : absorption quasi nulle des particules polluantes.

Microclimats et notamment risque d’îlots de chaleur en ville.

Impact paysager, qui dégrade à la fois la valeur économique du foncier concerné et la valeur sociale du paysage comme “bien public”.

▶️ Qu’en est-il en France ?

La France apparaît comme le pays le plus artificialisé en Europe, avec des constructions neuves peu denses, en particulier dans le logement individuel (Caumont et al., 2014). Il faut dire que le contexte socio-économique est favorable à l’extension des zones bâties :

  • La rentabilité du foncier bâti est supérieure à celle du non-bâti : 3 à 4 % par an contre moins de 1,5 % (Sainteny, 2018) ;
  • L’étalement urbain apparaît comme le meilleur moyen de permettre aux ménages d’accéder à la propriété (prix inférieurs à la zone dense) et de réaliser un projet de vie qui reste celui de la majorité des français : le “pavillon avec jardin”.
Répartition des surfaces artificialisées en France en 2014 (illustration Groupe ESPI)

La lutte contre l’artificialisation des sols guide désormais les politiques publiques immobilières

Les pouvoirs publics s’intéressent de plus en plus à la lutte contre l’artificialisation, et ce d’autant plus que l’opinion publique s’est emparée du sujet : les développements immobiliers sur les terres agricoles suscitent des mobilisations qui les rendent de plus en plus difficiles à poursuivre (cf. abandon du projet EuropaCity dans le Triangle de Gonesse en 2019 ou mobilisation contre le redéveloppement de l’ancien site d’AgroParisTech à Grignon en 2021).

À l’échelle nationale, on peut noter comme politiques récentes :

▶️ Les nombreuses réformes du “Pinel”

Le “Pinel” est une réduction d’impôt pour les particuliers qui investissent dans un logement neuf en zone tendue et le louent en dessous des prix du marché à des locataires de la classe moyenne (plafond de revenus).

Le dispositif Pinel en bref (illustration Groupe ESPI)

Accusé de pousser à l’artificialisation en encourageant la construction de logements en périphéries des villes, le Pinel a déjà fait l’objet de réformes pour limiter ce travers. Depuis 2018, il a été recentré sur les zones les plus tendues (A, A bis et B1) pour freiner les constructions là où il n’y a pas de demande forte. Et depuis janvier 2021, il est réservé aux constructions en logements collectifs, pour encourager la densification.

À partir de 2023, le Pinel sera remodelé pour prendre en compte des critères de qualité du logement concerné. Le think-tank gouvernemental France Stratégie recommande d’exclure du Pinel les constructions sur des terres non encore artificialisées, mais la Ministre n’a pas encore précisé les contours de la réforme. Des annonces sont attendues mi-octobre 2021.

▶️ L’interdiction de construire de nouveaux centres commerciaux sur les sols naturels

Promulguée en août 2021, la Loi Climat et Résilience fixe l’objectif national de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 et interdit l’implantation de nouveaux centres commerciaux sur des sols naturels ou agricoles. “Aucune exception ne pourra être faite pour les surfaces de vente de plus de 10 000 m² et les demandes de dérogation pour tous les projets d’une surface de vente supérieure à 3 000 m² seront examinées par le préfet”, précise le Gouvernement.

Principaux articles de la Loi Climat pour la lutte contre l’artificialisation des sols

Article 183. Division par deux du rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030
Article 204. Interdiction de création de nouvelles surfaces commerciales sur les sols naturels
Article 208. Définition à venir de secteurs d’implantation privilégiés des entrepôts
Article 208. Possibilité pour l’administration de refuser les projets d’entrepôts manifestement incompatibles avec l’objectif de division par deux de l’artificialisation

▶️ Des incitations au redéveloppement des friches

En finançant la dépollution des friches polluées (comme les friches industrielles) et/ou les projets immobiliers réalisés sur l’ensemble des friches urbaines, périurbaines ou rurales, les pouvoirs publics souhaitent flécher le développement immobilier vers des zones déjà artificialisées. En septembre 2020, via le Plan de Relance, le Gouvernement a créé un “Fonds friche”. Doté de 650 millions d’euros pour la période 2021–2022, ce fonds est ouvert aux porteurs de projets immobiliers sur les friches. Le Président de la République a annoncé que ce fonds serait refinancé jusqu’en 2026, au moins (montant non précisé après 2022).

Pistes de solutions pour l’investisseur immobilier qui souhaite contribuer à la lutte contre l’artificialisation

▶️ Quels critères pour une stratégie d’investissement à impact qui lutte contre l’artificialisation ?

Les acteurs privés qui souhaitent contribuer à l’objectif Zéro Artificialisation Nette à l’échelle de leurs projets peuvent s’inspirer des préconisations des experts du développement urbain pour, dans le cadre de stratégies d’investissement à impact, clarifier des ambitions et des moyens de les atteindre.

En particulier, l’Agence d’urbanisme de la Région nantaise a dressé un panorama des différents leviers activables par les collectivités pour tendre vers une réduction de l’artificialisation :

Leviers activables par les collectivités pour tendre vers une réduction de l’artificialisation (source: Agence d’urbanisme de la Région nantaise)

Pour un investisseur privé, ces préconisations pourraient devenir les critères d’investissement à impact suivants :

Critère 1 : Zéro artificialisation de sol naturel, agricole ou forestier en milieu non urbanisé et/ou hors de l’enveloppe urbaine existante. Ce critère serait applicable à l’ensemble du bâtiment à l’exception des espaces de stationnement. Pour considérer un sol comme artificialisé, l’on peut se référer à l’étape 3 des étapes d’artificialisation du CEREMA (voir ci-dessous).

Les étapes de l’artificialisation selon le CEREMA :

1. Le terrain n’est plus exploité par l’agriculture ou utilisé comme espace naturel

2. Le terrain va être urbanisé/aménagé et le terrassement est réalisé

3. La voirie et les aménagements publics sont réaliséd

4. Le premier bâtiment est construit

5. Le dernier bâtiment du projet d’aménagement est construit

Critère 2 : Zéro imperméabilisation totale de fonciers naturels, agricoles ou forestiers. Un engagement potentiellement plus contraignant puisqu’il interdit tout altération de sol non urbanisé en milieu rural, périurbain ou en ville.

▶️ Quelques projets-types pour un impact positif ou négatif sur l’artificialisation des sols sur la base d’une stratégie de densification urbaine douce

Découvrez l’étude complète sur le site de Curiosity is Keys.

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