Végétal en ville : qu’attendent vraiment les citadins ?

Plus de nature en ville et à proximité ce serait pour la santé mentale et physique. Et c’est aussi bon pour la planète.

Claire Flurin
Curiosity is Key(s)
10 min readMay 25, 2020

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Aujourd’hui, grandes métropoles et villes moyennes parent d’ailleurs de vert leurs écoquartiers, anciennes friches industrielles, berges, murs ou toitures d’immeubles. Mais comment les habitants s’emparent-ils des parcs et autres potagers ? Pourquoi les fréquentent-ils ? Et qu’attendent-ils réellement pour l’avenir ?

Credits: Little Island; Time Out

A Manhattan, sur les bord de l’Hudson, les travaux avancent à grand pas. Là-bas, pour un coût estimé à 250 millions de dollars, Little Island, un parc public de 2,4 acres, ouvrira au printemps 2021, pour offrir une oasis urbaine facile d’accès aux New Yorkais et autres visiteurs de la mégalopole, en complément des célèbres Central Park et Prospect Park de Brooklyn.

Très ambitieux et design, ce projet de verdissement urbain est loin d’être unique. Bien sûr, toutes les communes ne disposent pas des mêmes ressources mais, partout dans le monde, les décideurs publics, architectes, promoteurs et fabricants de la ville misent sur le végétal pour rendre les espaces urbains, toujours plus denses, plus désirables et respirables.

La lutte contre le réchauffement climatique et la transition écologique associée l’expliquent en partie. Mais pas seulement. De nombreuses études scientifiques, reprises et vérifiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont ainsi démontré les bienfaits sur la santé et le bien-être des espaces verts en ville. Et en 2016, l’ONU a inscrit l’accès aux espaces verts dans les villes au rang de ses objectifs pour un développement durable (objectif 11.7) : “D’ici 2030, fournir un accès universel à des espaces verts et publics sûrs, inclusifs et accessibles, en particulier pour les femmes et les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. “

La part verte d’une ville serait même déterminante dans le choix de résidence des habitants, comme pour celui de leurs bulletins de vote à l’heure des élections municipales. En 2008, l’enquête menée en collaboration entre l’Union Nationale des Entrepreneurs du Paysage (UNEP) et Ipsos révélait notamment que « 7 Français sur 10 choisissent leur lieu de vie en fonction de la présence d’espaces verts à proximité de leur habitation ». Plus récemment, en mars 2020, une enquête Ifop pour l’aménageur ECT dévoilait, elle, que « 72% des Français interrogés estiment que la question du vert en ville jouera un rôle important ou déterminant dans l’isoloir ».

Certes, « le désir de nature des urbains n’est pas nouveau », estiment Lise Bourdeau-Lepage et Roland Vidal, mais « aujourd’hui, le désir de nature au quotidien comme élément du bonheur individuel est omniprésent dans nos sociétés devenues urbaines », et cela provoque une dynamique de « verdissement de la société ».

Mais de quelle présence d’espaces vert parle-t-on ? Quelle relation les citadins veulent-ils nouer avec la nature dans les jardins, potagers et autres parcs urbains ouverts au public ? Qu’y recherchent-ils? Quels “sentiments” leur procurent-ils? La seule présence d’un espace vert suffit-il à satisfaire les habitants et à motiver leur fréquentation ?

Se ressourcer, se dépenser et partager : 3 moteurs de fréquentation

Disparates et souvent très locales, les études (1) sur les usages des parcs et jardins et attentes des citadins s’accordent néanmoins sur trois points : le besoin de se ressourcer, le besoin de se dépenser et le maintien du lien social.

La fréquentation de ces espaces est d’abord déterminée par un besoin de s’aérer ou de se détendre en « s’isolant » des pollutions sonores, visuelles et aériennes des coeurs urbains. Pour plus de 9 Français citadins sur 10, les espaces verts contribuent ainsi à améliorer leur moral, selon l’Ifop pour ECT. « Considérer la végétation urbaine comme un moyen de fuir, cacher et faire oublier la ville est la première de ces tendances. Se retrouver au milieu de la végétation permet de retrouver le contact de la nature et d’effacer de son esprit les aspects jugés les plus négatifs de la ville (stress, bruit, agitation). L’espace vert se définit alors en termes de calme, de lutte contre le bruit, de relaxation, de détente, etc. Fréquenter un parc ou un jardin permet de se ressourcer, de s’aérer », écrivent Nathalie Long et Brice Tonini dans leur étude publiée dans la revue Vertigo.

Deuxième motivation largement partagée par les utilisateurs des espaces verts, l’activité physique. « Si l’on exclut le million de visites annuelles du parc liées à des événements majeurs autorisés, environ 90% des visites générales du parc comprennent une ou plusieurs formes de loisirs passifs et 22% incluent une ou plus de formes de loisirs actifs. Le total est supérieur à 100% des visites, car certaines visites impliquent à la fois des loisirs actifs et passifs », notent les auteurs d’un rapport sur les usagers et usages de Central Park.

Et le troisième moteur de fréquentation des parcs et jardins est social. Aux beaux jours notamment, ils sont les lieux idéaux pour pique-niquer en famille ou entre amis. Mais pas seulement. « Alors que nous avons pu constater par l’observation l’importance des usages individuels dans les espaces verts, il est intéressant de souligner que l’espace vert est très fréquemment perçu comme un lieu de rencontre, soulignent Nathalie Long et Brice Tonini. Plus que le contact direct et l’échange, il semble que le simple fait de se trouver dans un espace vert collectif suffise à éprouver un sentiment de partage et de rencontre, à construire un lien social ».

Du vert en quantité ou du vert de qualité ?

Ces trois facteurs adossés au verdissement de la société en cours ne doivent cependant pas masquer les déterminants d’un « bon » espace vert pour les habitants. Ici la subjectivité est forte, puisqu’elle a trait au ressenti et aux envies des individus, et rend l’exercice d’analyse un peu plus complexe.

Il apparaît cependant que quatre attentes se dégagent : les citadins veulent plus d’espaces verts, qu’ils soient accessibles à pied de chez eux ou de leur travail, qu’ils offrent plusieurs aires pour manger, faire du sport, se reposer, etc, et qu’ils soient entretenus. Les gens sont demandeurs de plus de verdure d’abord. Ainsi 66% des citadins se rendraient plus dans les espaces verts de leur commune s’il y en avait plus, selon l’enquête Ifop pour ECT.

L’accessibilité et/ou la proximité des parcs et jardins est un autre facteur de satisfaction. Dans l’International journal of Environmental Research and Public Health, quatre chercheurs ont utilisé les données d’une enquête dans deux quartiers de Groningen, une ville de taille moyenne aux Pays-Bas. Deux zones similaires en termes de quantité d’espaces verts, mais qui différaient par l’accessibilité et la facilité d’utilisation des espaces verts. « Conformément à nos prévisions, les résidents de Corpus-Noord, avec une grande disponibilité d’espaces verts accessibles et utilisables, étaient nettement plus satisfaits de leur quartier que les résidents de De Hoogte, avec une faible disponibilité d’espaces verts accessibles et utilisables », soulignent-ils. Ils ont ainsi estimé que les incivilités (graffiti, crottes de chien, consommation d’alcool et de drogue…) étaient plus courantes dans leurs espaces. Et ont été moins nombreux à trouver suffisants les points d’accès et les sentiers pédestres, les équipements pour s’asseoir, les poubelles, les panneaux ou l’éclairage de nuit.

De plus, notent encore Nathalie Long et Brice Tonini, « nombre d’usagers voient également les espaces verts comme un enrichissement de la ville. L’accessibilité à pied témoigne de l’inscription de l’espace vert dans le territoire quotidien ». Pour eux, ces espaces doivent donc « être totalement intégrés tout en préservant cette capacité à être un ailleurs épisodique, ce qui suppose un accès facile et une superficie suffisante pour réaliser cette coupure avec la ville ».

Au-delà de la quantité, c’est bien la qualité qui prévaut. La diversité est ainsi un autre critère plébiscité par les populations urbaines. Par diversité, on entend biodiversité mais surtout variété des équipements, surfaces et activités proposées. Dans l’enquête Ifop pour ECT, 59% des Français interrogés estiment qu’ils se rendraient plus souvent dans les espaces verts de leur commune s’ils proposaient plus d’activités (jardinage, cours de sport, ateliers…). Dans le détail, 31% des citadins jugent prioritaire la création de plus d’espaces d’aires de jeux et de sport en plein air, ouverts au public, et 25% œuvreraient en priorité à la mise en place de jardins partagés et potagers urbains. D’ailleurs, 46% des citadins interrogés pratiqueraient plus de jardinage si les infrastructures le permettaient.

La quatrième grande prérogative des utilisateurs à l’égard des parcs et jardins est plus étonnante. Car si les citadins sont en demande de nature, les observateurs notent qu’ils n’attendent pas de végétation trop abondante et spontanée. « Nous avons mené des observations et entretiens dans six villes moyennes de la région Centre-Val de Loire (ndrl : Blois, Bourges, Chartres, Châteauroux, Orléans et Tours). De ce travail, il ressort que la nature urbaine doit être maîtrisée », écrivent Amélie Robert et Jean-Louis Yengué dans un article publié dans le numéro 22 de la revue Métropoles. Les bois et espaces semi-naturels sont moins fréquentés que les parcs d’agrément. Le citadin déclare apprécier la nature. Il réclame sa présence en ville. Mais il se plaint aussi des désagréments engendrés auprès des gestionnaires : il veut une nature qui ne salit pas et voit dans le développement spontané de la végétation un manque d’entretien ».

S’ils ne plaident pas forcément pour des parterres fleuris très cadrés, les utilisateurs semblent donc un peu contradictoires dans leur désir de nature, souhaitant qu’on la discipline un peu ou qu’on la contrôle. De ce point de vue, et notamment parce que l’usage de pesticides et herbicides doit se réduire partout, il faudra sans doute encore éduquer et bien communiquer auprès des différents publics urbains.

A tous ces égards, inclure la nature en ville se révèle complexe. Et comme le suggèrent Alessio Russo et Giuseppe T. Cirella dans un article de 2018 intitulé « Modern Compact Cities : How much greenery do we need », « les pratiques de planification doivent permettre l’inclusion des espaces verts urbains par la proximité, la conception cohérente et la taille, la variation, l’entretien et l’engagement de personne à personne suffisants (par exemple, jardinage ou processus participatifs) ».

Millenials : un désir de nature plus exigeant

Enfin, il est très pertinent de s’intéresser aux usages et attentes des plus jeunes, les Millenials. Car ils sont le visage de la modernité et de l’urbanité de demain. Si les études manquent encore, les premières données disponibles devraient affiner les choix d’aménagement vert réalisés par les villes.

On apprend ainsi que les jeunes adultes sont encore plus demandeurs de nature que le reste de la population. « Les 18–35 ans se démarquent, et expriment leur frustration : ils ne sont que 43% à être satisfaits de la quantité de parcs, jardins & espaces verts dans leurs communes, soit 6 points de moins que la moyenne nationale, révèle l’enquête Ifop pour ECT. La « génération jardin » attend également plus d’activités et de services : jardinage, cours de sport, ateliers… 72% des Milléniaux interrogés affirment qu’ils se rendraient plus fréquemment dans des espaces verts si l’offre proposée était renforcée. Un chiffre supérieur de 13 points à la moyenne nationale (59%), et de 33 points face aux 65 ans et + ».

A ces impératifs s’ajoutent une exigence plus marquée pour la facilité d’accès aux espaces et l’organisation d’évènements culturels. Après une recherche menée dans trois parcs de la ville de Palembang en Indonésie, le professeur Zuber Angkasa a ainsi constaté que « les éléments les plus importants liés à l’attractivité des parcs urbains pour la génération Y sont liés à l’accessibilité », qu’il s’agisse de proximité à pied ou d’un moyen de transport en commun. « Les autres facteurs très importants sont les installations (sport, cuisine…) et la culture ». Et si le facteur « beauté naturelle » des lieux apparaît secondaire pour cette génération, l’auteur souligne toutefois qu’elle plaide en majorité pour la présence « d’arbres luxuriants afin d’améliorer l’environnement des parcs ».

Autant d’éléments qui montrent donc que si les citadins sont en demande de plus de nature en ville, il apparaît central de définir sous quelle forme et où elle doit être présente, afin de répondre aux besoins et pratiques de ses habitants d’aujourd’hui et de demain. Ce qui invite les investisseurs real estate à automatiser les enquêtes locales, directement auprès des utilisateurs, pour déterminer des espaces qui fassent réellement sens dans chaque quartier.

Car les espaces verts, surtout dans les zones foncières tendues, sont aussi chers à développer et à entretenir. Et c’est un autre sujet à aborder de front si on veut, demain, fournir aux citadins la quantité de nature suffisante à leur bien-être et à leurs loisirs. En s’alliant aux collectivités et autres acteurs publics de l’urbanisme, le secteur immobilier privé pourrait sans doute y prendre part. Pour le Brooklyn Bridge Park par exemple, la ville a pu financer l’espace (construction et entretien) en vendant des droits à construire en bordure ou via des concessions dans le parc pour des activités de restauration par exemple (voir notre article “Investir dans la qualité de vie en ville : les parcs?”). Des options qui méritent d’être étudiées et, pourquoi pas, reproduites.

Sources :

(1) Les espaces verts urbains : étude exploratoire des pratiques et du ressenti des usagers — Nathalie Long et Brice Tonini -2012 — Revue Vertigo.

REPORT ON THE PUBLIC USE OF CENTRAL PARK New York, April 201, Central Park Conservancy.

Quality over Quantity: Contribution of Urban Green Space to Neighborhood Satisfaction, mai 2017, International Journal of Environmental Research and Public Health.

Les citadins, un désir de nature « sous contrôle », « fleurie et propre »

City dwellers, a desire for a nature “under control”, “full of flowers and clean”

Amélie Robert et Jean Louis Yengué, 2018, Revue Métropoles.

Modern Compact Cities: How Much Greenery Do We Need?, Alessio Russo et Giuseppe T. Cirella, octobre 2018, International Journal of Environmental Research and Public Health.

City Parks for Future Generation: Millennial References for Visiting City Parks, Zuber Angkasa, mai 2019, Journal of Advanced Research in Dynamical & Control Systems.

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Claire Flurin
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