De l’intelligence collective des gilets jaunes à la république des communs

Olivier Piazza
découvrir l’intelligence collective
17 min readDec 5, 2018
Qu’est ce qui est jaune et qui monte au nez ?

Au micro d’Aude Lancelin, une femme déclare : “Ce n’est pas une manifestation, c’est un soulèvement“. Pas de déclaration préalable ni d’autorisation préfectorale, tous deux actes de soumission, mais bien une désobéissance civile, fruit de la liberté de se révolter contre l’injustice criante et douloureuse.

La vague des gilets jaunes surprend par son ampleur, déstabilise et submerge les gouvernants par son mode d’action.

Comment mieux saisir la nature de ce qui est en train de se jouer ?

«Tout groupe humain observe instantanément une explosion d’intelligence collective quand les mécanismes qui le maintiennent effrayé et stupide sont soudainement effacés.» — David Graeber

Puissance et fragilité du superorganisme #giletsjaunes

Au lieu de se former dans le sillon d’un leader charismatique comme l’étaient les mouvements du passé, le superorganisme #giletsjaunes est l’émanation de la voix multiple et plurielle d’un collectif riche à la fois de sa diversité, de sa multitude et de son union pour un but commun qui encapacite chacun.e à crier sa rage devant l’injustice sociale sciemment et froidement mise en oeuvre par les gouvernants.

L’intelligence collective est le fruit de l’émergence d’un système complexe adaptatif, c’est à dire un assemblage d’éléments qui, agissant localement par ajustements réciproques, interdépendants, autonomes et autogouvernés, créent une intelligence du superorganisme qu’ils forment ensemble.

Une colonie de fourmis est capable d’une intelligence remarquable et de se faire, par exemple, éleveuse de champignons ou de pucerons. Un essaim d’abeilles est capable de localiser le meilleur emplacement à des kilomètres à la ronde pour y établir son nouveau nid. Un banc de poissons déjoue les stratégies de prédateurs redoutables. Des développeurs open source créent Linux en pair à pair et détrônent le géant Microsoft. Le superorganisme #metoo destitue l’un des maitres pervers de la galaxie hollywoodienne, Harvey Weinstein. En ce moment aux Etats-Unis, le Sunrise Movement, en appui de la nouvelle élue Alexandria Occasio-Cortez, réussit à faire progressivement basculer des élus démocrates dans un engagement vers un #GreenNewDeal. Le combat contre le réchauffement climatique entre enfin en politique américaine.

Dans chaque cas, aucun chef, aucune centralisation.

Sans leader — ou plus justement tous leaders — ni porte parole, ni instance de décision, le superorganisme #giletsjaunes avance par son action spontanée faite d’initiatives et de résonances, accueillant et incluant la diversité des participants qui se présentent. C’est toute sa puissance. C’est aussi sa fragilité. N’ayant pas de structure capable de régulation de ses membres et de gestion de ses frontières, le superorganisme laisse entrer en son sein des intrus qui ne semblent pas incarner les mêmes valeurs et intentions que l’essentiel du mouvement. La structuration horizontale du mouvement, sans hiérarchie mais en hétérarchie, est donc l’une des clés de sa pérennité et de sa transformation en un mouvement citoyen résolument constructif, habité par un projet qu’il souhaite porter, en organisant la conversation par assemblées citoyennes imbriquées. A défaut, les gilets jaunes seront menacés d’une dislocation provoquée par ses membres violents, dont la présence est permise et renforcée par la brutalité guerrière des forces du désordre.

« Nous n’avons pas encore vu ce qui est possible quand la multitude s’assemble.» J. Hardt & A. Negri

Le sens de l’oppression des #giletsjaunes

Une deuxième condition susceptible de mener le superorganisme #giletsjaunes vers l’intelligence collective est le respect des principes de l’autodétermination mis en évidence par E. Deci et R. Ryan, en premier lieu des besoins psychologiques fondamentaux de toute personne : autonomie, affiliation, compétence. Sur ce plan se joue un terrible écartèlement.

Les témoignages des ces gilets jaunes dévoilent clairement l’une des stratégies de guerre adoptée par les forces du désordre ou compagnie républicaine de l’insécurité en ce 1er décembre 2018 : laisser des gilets jaunes atteindre l’Arc de Triomphe, puis les y enfermer dans une nasse. Là, les piéger en fermant toutes les issues de la place, les agresser par jets continus de canons à eau, les blesser voire les mutiler par tirs de Flash ball, de grenades de désencerclement ou de GLI-F4 et les asphyxier par une pluie de grenades explosives à gaz toxiques, puis charger pour les matraquer, les violenter et leur faire connaitre, un instant, le sentiment d’effroi que ressent la proie piégée. Ni plus ni moins qu’une réelle stratégie de guerre civile, comme on la mènerait contre un ennemi extérieur. Il y a matière à profonde interrogation.

En quoi ce peuple français, composé de femmes et d’hommes de toutes origines et de tous âges, est-il ennemi de sa propre Nation ?

Qui l’a décidé ou plutôt jugé ?

Devant quelle instance “démocratique“ ?

J’oubliais… Evidemment, organiser la couverture de l’agressivité des gilets jaunes par les médias de propagande gouvernementale, à savoir les grandes chaînes qui défendent les mêmes intérêts des élites menacées, et diffuser ces images en boucle pour tenter de retourner l’opinion publique contre ce mouvement. Une évidente réplique de la stratégie adoptée par les élites “versaillaises“ manipulant la paysannerie contre les communards de 1871 et provoquant l’une des plus grandes boucheries sciemment organisée par l’état français contre “son“ peuple.

Note à moi-même : j’espère que des avocats et parties civiles sont en train de documenter ces faits pour porter plainte pour crime contre l’humanité devant la Cour pénale internationale (Cf Annexe : Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Article 7). A moins d’une semaine des 70 ans de la signature de la déclaration des droits de l’homme dans cette même ville de Paris, l’invitation de Stéphane Hessel à l’indignation résonne plus que jamais.

Cette attitude d’ultra-domination incarnée par l’autorité, est donc supposée provoquer obéissance et soumission dans le camp adverse. Il est prouvé scientifiquement par les chercheurs de la théorie de l’autodétermination— est-ce une surprise ? — que cette stratégie autoritaire et tyrannique conduit les personnes visées au mal-être, à la souffrance et, de manière collective, à des comportements antisociaux vis-à-vis de la force oppressive. Autrement dit, le contexte imposé crée la révolte et la casse. Il n’y a personne qui soit intrinsèquement casseur. Que fait l’animal piégé tant qu’il a encore quelque vigueur ? Se laisse-t-il patiemment déchiqueter par son prédateur ? Non, il se défend de toutes ses forces de vie.

Tous les hommes admettent le droit à la révolution ; c’est-à-dire le droit de refuser l’allégeance au gouvernement, et celui de lui résister, quand sa tyrannie ou son inefficacité sont grandes et insupportables“ — Henry David Thoreau

Conditions d’autodétermination des #giletsjaunes

Aux antipodes de cette première polarité guerrière, un espace de liberté et de générativité est offert par le chaos et le collectif. Il est apporté non pas par une figure d’autorité individuelle, rejetée massivement et à juste titre par le mouvement, mais par le superorganisme #giletsjaunes, seule autorité légitime. Le collectif apporte à ses membres une attitude de soutien aux trois besoins psychologiques de chaque être humain — autonomie, affiliation et compétence — menant à l’épanouissement, à l’émancipation, au sentiment de bien-être (relatif dans ce contexte de guerre civile) et à des comportements prosociaux envers les membres du superorganisme : entraide, solidarité, coopération, empathie, générosité, don.

Chaque cellule du superorganisme, chaque personne, est libre d’agir, en pleine autonomie, sans aucune contrainte extérieure autre que sa volonté de se rallier à un mouvement avec lequel elle se sent en affinité intime. Chacun.e décide de la nature de son implication, de son mode d’intervention, de ses déplacements, de ses actes, connecté à ses propres convictions, à son identité propre, sans aliénation, ni soumission, ni asservissement.

Chaque cellule nourrit aussi son affiliation, le sentiment de fraternité — voir les scènes de joie et de musique — et d’entraide — écouter les témoignages de solidarité entre pairs. Ce lien entre semblables est ce qui donne sa force à ce superorganisme. Tous se sentent unis contre un gouvernement et un président qui les humilie, les pousse à de misérables conditions de vie, sans aucun signe d’empathie, de considération et de respect pour cette souffrance populaire. Comme nous l’avons vu, cette affiliation est menacée par les assauts guerriers des CRS créant un contexte propice à la révolte et à la casse.

Chaque cellule enfin se sent compétente dans sa révolte. Les interviews d’Aude Lancelin et de son équipe aident à pénétrer au coeur du mouvement et à voir et entendre comme chacun.e a la capacité d’exprimer son opinion, construite de son expérience, pour formuler un discours authentique et cohérent avec le mouvement. Chacun.e se sent “encapacité“ de porter le collectif #giletsjaunes.

Voir l’émission de Le Media TV, en particulier de 14.35 à 22.50 :

Ce message multi-voix, par la réflexivité qu’il manifeste, exprime la sagesse des foules. Seules les élites sont en incapacité d’entendre la justesse de cette analyse sociologique tant elle est contraire aux intérêts des oligarchies qu’elles sont et représentent.

« Résister, c’est créer » — Gilles Deleuze

Une finalité visant l’intérêt collectif

Vu sous l’angle de l’autodétermination, le second talon d’Achille potentiel du mouvement est sa finalité commune. C’est une première chose de faire converger toutes les victimes de la politique néolibérale macronienne. Le Contre. C’en est une autre de basculer dans une logique d’élaboration et de proposition. Le Pour. Sans co-création par assemblées locales fédérées et sans le soutien de plateformes digitales d’intelligence collective de délibération massive (Loomio, Assembl, CapCollectif…), le mouvement ne saura pas générer un projet co-construit, à finalité autotélique, c’est-à-dire porteur en lui-même d’épanouissement . La plainte seule est le reflet d’une dépendance à l’oppresseur. L’intelligence collective du mouvement sera fonction de sa capacité à subvenir lui-même à ses propres besoins en portant avec force une alternative crédible, co-élaborée par ses participants. Cette bascule du Contre au Pour, les mouvements altermondialistes l’ont réussi depuis maintenant 20 ans et cette culture est en train de gagner les gilets jaunes. Des assemblées populaires s’organisent en local, comme c’est par exemple le cas avec une cabane à Commercy ou une maison du peuple à Saint-Nazaire, lieux de délibération, de rencontre fraternelle et d’organisation. L”intelligence collective d’un superorganisme émerge de l’autoorganisation locale hétérarchique de ses parties.

Cette vidéo montre 4 femmes et 4 hommes, de tranches d’âge très diverses, tous porte parole de leur assemblée populaire :

« Le pouvoir de l’organisation informelle est un secret bien gardé, en partie car les gardiens du système formel, connus sous le nom de managers, se dédient à l’abolition du système informel. » — Harrison Owen

Le dialogue explosif des #giletsjaunes devient réflexif et génératif

La parole est libre, spontanée, par proximité de relations ou de déambulation. Aucune censure, ni consigne, ou encore moins éléments de langage dociles. Ce qui tue la qualité du dialogue c’est avant tout la domination. Les travaux de A. Woolley ont montré que l’intelligence d’un collectif dépend avant tout de la répartition équilibrée de la parole, et donc de la capacité de chacun à s’exprimer, à se faire entendre et à contribuer à la conversation. C’est aux antipodes du fonctionnement classique qu’entretiennent les médias et les puissants, alliés dans un modèle délétère. En créant une asymétrie de pouvoir qui amplifie les messages d’une classe dominante, les médias — à l’exception des médias indépendants comme Le Media TV, Bastamag, Mediapart… — tordent la notion même de démocratie et privent la société des conditions de l’intelligence collective. Les mouvements citoyens se multiplient depuis la naissance du courant altermondialiste. Ce sont des espaces de parole, de dialogue où les citoyens retrouvent la capacité à délibérer et co-construire leur monde, entre pairs. Lors de Nuit Debout, tout comme lors des autres mouvements Occupy, une facilitation était assurée pour éviter qu’un modèle classique de domination des débats se réplique. Le langage gestuel permettait d’établir un feedback capable de réguler la parole. Les assemblées populaires des gilets jaunes sont en train de se bâtir sur ces pratiques.

L’autre grand critère indispensable à l’intelligence collective est la sensibilité sociale, l’empathie pour ses partenaires de conversation. Les études de Woolley ont montré que les femmes étaient mieux équipées que les hommes dans ce domaine. Contrairement aux instances de pouvoir où l’on sait le déséquilibre de parole en faveur des hommes et le manque cruel d’empathie, le mouvement gilets jaunes montre un équilibre naturel, à l’image de la société, avec une sensibilité pour l’autre qui est intrinsèque au sujet même de la révolte. Par nature, les membres de ce mouvement sont en empathie pour leur semblables qui vivent les mêmes douleurs que les leurs.

Un autre paramètre sert le développement de l’intelligence collective, c’est la diversité. La multiplicité des angles de vue enrichit la conversation et évite des phénomènes classiques de pensée groupale, véritables oeillères d’un groupe s’installant lorsque la pensée des puissants s’impose aux subalternes dociles. En exemple, les ministres ou élus LREM qui se bornent à répéter — faisant fi de leur propre intelligence — la narration officiellement validée par les instances du parti, tel que cette insultante parabole des premiers de cordée :

La parole des gilets jaunes, elle, est bouillonnante, diverse, créative et générative, composant une mosaïque bigarrée et des variantes sur un même thème commun.

La parole est aussi amplifiée et co-construite par les réseaux sociaux. De pétition en déclarations Youtube des uns et des autres, la stigmergie opère, les traces des uns guident les autres, les groupes se forment, les actions se mettent en place et, tels des prototypes de révolte, montrent la voie aux autres, par l’action cette fois-ci.

Quand l’heure vient de se rassembler pour décider, pour co-construire, la qualité du dialogue dépend de l’art de faire vivre un mouvement autoorganisé en s’appuyant sur les leçons de l’intelligence collective et de la gouvernance partagée, en construisant les conditions de la réflexivité. L’émotion seule conduit à la bêtise des foules. La sagesse a besoin d’organiser réflexivité sur la pratique et donc sur la dynamique du mouvement lui-même. C’est une des vigilances pour les gilets jaunes.

« Nous ne pouvons générer entre nous des niveaux d’intelligence plus élevés que si nous pratiquons les uns avec les autres des conversations de haute qualité.» — Tom Atlee

L’impasse de cette république sans démocratie

Il est difficile d’imaginer que l’option démission, appelée de ses voeux par les gilets jaunes, soit même considérée à l’Elysée.

Dans “Le Directoire, la république sans la démocratie“, M. Belissa et Y. Bosc revisitent les fondations de la IIIème République, née de la répression du peuple et de l’annihilation des succès démocratiques de la révolution telles que les assemblées citoyennes. C’est ainsi que naquit cette république sans démocratie. Maquiller le coupable du nom de Terreur s’est avéré une propagande manipulatoire efficace, jusqu’à peu. Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas d’Histoire. Il n’y a que des histoires, dont certaines ont le portevoix du pouvoir en place et narrent la version servant les puissants. N’avez-vous pas appris à l’école “la découverte des Amériques“ ? Si notre intention était réellement d’éveiller la conscience et le sens critique des jeunes écoliers, pourquoi ne la nommerait-t-on pas “L’invasion barbare — ou le génocide — de l’Île de la Grande Tortue“ ? Et les colonisations. Ne devraient-elles pas plus justement être nommées “Les grandes spoliations“ ?

Les autres histoires, celles qui racontent les succès démocratiques du peuple capable de se passer de maitres, deviennent tabous. Elles tombent dans l’oubli et l’inconnaissable. A nous de redécouvrir la richesse de ces histoires alternatives et de nos succès démocratiques passés. La Commune de Paris en fut une autre. Réprimée dans une violence inouïe — 17.000 enterrements déclarés, sans compter les cadavres de toutes les fosses communes découvertes. Les gouvernants ont éradiqué la menace qui pesait sur leurs richesses et possessions en manipulant la paysannerie, en lui faisant croire en un risque de dépossession, fabriquant ainsi un “monstre“ qu’il devenait légitime d’éliminer sans pitié ni tribunal. Et pourtant, que d’apprentissages de cette période les E. Reclus, P. Kropotkine et W. Morris ont su tirer, dont la transmission aux générations futures est si précieuse.

Face au chaos, Macron choisit donc la répression. Ce n’est guère surprenant. Dans “A paradise built in hell“, Rebecca Solnit étudie avec soin de multiples catastrophes (11/9, ouragan Katrina, crise argentine en 2001, tremblement de terre à San Francisco en 1906…). Elle y montre d’une manière remarquable comment le même pattern se reproduit à chaque fois. Une crise majeure produit toujours une énorme vague de solidarité dans le peuple. Les uns hébergent les autres, les cantines de rue s’installent et offrent le couvert, les énergies se mobilisent pour sauver les vies en danger et retrouver les survivants, sans relâche. Et toujours, face à cette grande désorganisation chaotique, les gouvernants répondent par la même répression violente de la population. Pour quel motif ? Pour “la protéger d’elle-même“. En partisan des théories de T. Hobbes ou de G. Le Bon, les puissants présentent le peuple comme la pire menace pour lui-même.

Il s’agit donc de le protéger et de faire son “bien“ malgré lui-même. L’on sait maintenant les atrocités ou erreurs commises par les “forces du désordre“ à la Nouvelle Orléans, à San Francisco, à New York. Et c’est donc l’escalade par la répression, par l’état d’urgence, par les mises en garde à vue, par l’emprisonnement, par l’attaque de boucs-émissaires.

Cette crise actuelle est à la fois un drame et une opportunité. Un chaos selon Macron.

«Pour se maintenir, ce pouvoir n’a de cesse d’empêcher l’émergence d’une intelligence collective qui amènerait la communauté à se passer de lui. » — Pierre Lévy

Et s’il était l’heure d’une grande bifurcation démocratique vers une république des communs ?

Pourtant, en langage des systèmes complexes adaptatifs, le chaos est ce que le physicien et Prix Nobel Ilya Prigogine a nommé “états loin de l’équilibre“. Ils sont porteurs de bifurcation capables de radicalement changer le système et le faire sortir du status quo pour prendre une nouvelle forme.

Et si — en un volte-face peu problable — le gouvernement voyait l’immense chance qui se présente à lui : inventer la nouvelle démocratie française et initier une VIème république désormais indispensable pour faire face aux défis sociaux, technologiques, économiques et écologiques d’une ampleur historique inégalée, et mettre fin au modèle capitalo-étatiste néolibéral qui consomme et consume la planète et ses habitants, humains compris.

Aucune “recette“ des habituels conseillers politiques serviles ne saura répondre à la crise actuelle. Seul un changement de paradigme démocratique le peut.

Et cette voie est maintenant balisée, c’est celle des Communs. Basée sur des principes économiques solides — Elinor Ostrom Prix Nobel d’économie pour ses travaux — et un bouillonnement d’initiatives, d’expérimentations apprenantes et de recherches éclairantes, cette voie montre des pistes extrêmement solides, testées avec succès.

> Taiwan : suite au mouvement des tournesols, de type Occupy, hackers et ministre parviennent à unir leurs forces pour combiner le dialogue collaboratif et délibératif avec les outils de démocratie liquide. vTaiwan invente une démocratie impliquante et les prémisses d’une co-gouvernance.

Pour approfondir : A. Tang, A. Une expérience pionnière de démocratie numérique à Taïwan. Le Monde

> Islande : un forum national rassemble 1.000 citoyens, avec tirage au sort de ses participants, et élabore des propositions. Puis la rédaction est élaborée par une Assemblée constituante, composée de 25 membres y travaillant à temps plein pendant quatre mois, dont les travaux sont partagés sur le net, accessibles à tous, avec enrichissement possible pour tous par crowdsourcing. Ce travail de fond de formalisation d’une nouvelle constitution a été une grande expérimentation démocratique, avec de multiples apprentissages… jusqu’à ce que le Parlement s’oppose à sa mise en oeuvre ! Une aberration résumant à elle seule la dérive oligarchique antidémocratique.

Pour approfondir : Iceland’s financial crisis : the politics of blame, protest and reconstruction — V. Imgimundarson, P. Urfalino, I. Erlingsdottir.

> Italie : la voie de la co-gouvernance. Avec une modification de sa constitution par l’introduction le 18 octobre 2001 du principe de subsidiarité horizontale, l’Italie a ouvert la voie de la co-gouvernance administration -citoyen.ne.s :

« État, Régions, Métropoles, Provinces et Communes favorisent, sur la base du principe de subsidiarité, l’initiative autonome des citoyens, individuellement ou en association, afin de réaliser des activités d’intérêt général » (art. 118, dernier alinéa).

Les villes (Bologne, Naples, Rome, Turin…) ont signé ensuite dans leur commune une charte applicative permettant ensuite l’élaboration de “pactes de collaboration“ entre municipalités et citoyens volontaires.

Pour approfondir :

  • l’article “Un nouveau principe pour l’administration partagée des biens communs“, G. Arena dans Vers une république des biens communs, de Benjamin Coriat et al.
  • l’article de C. Iaione et S. Foster, The City as a Commons, publié dans Yale Law and Policy Review.

> Espagne : Barcelone, depuis l’élection de la liste citoyenne issue du mouvement du 15 mai 2011 et porteuse du projet Barcelone en Commun, est en train de rebatir le contrat administration — citoyens pour sortir de la logique de passivité de l’administré consommateur et faire advenir un citoyen co-producteur de sa société. Depuis, la Catalogne construit maintenant son projet de Catalogne en Commun. De même Madrid, avec la nomination de Pablo Soto — également ancien du mouvement du 15M et hacker — à la démocratie participative et au gouvernement ouvert, a mis en place “Decide Madrid“. Cette plateforme participative crée l’interaction pour des budgets participatifs et plus encore pour la propositon de projets citoyens. Ce sont autant de premiers pas vers un possible Etat en tant que Commun.

Pour approfondir :

> Chiapas / Mexique et Rojava / Syrie : Dans cette même voie de la gouvernance par les citoyens, les exemples du Rojava ou des Zapatistes sont remarquables, poussant la logique un cran plus loin. Ces peuples inventent une société où il fait “bien vivre“, pleinement communaliste, sans état et sans capitalisme, reposant sur la démocratie directe, où la fédération d’assemblées, puis de quartiers, puis de communes et de région parvient à créer une société solidaire, écologique, citoyenne, et sans gouvernants autre que les citoyens eux-mêmes.

Pour approfondir :

  • Jérôme Baschet. La rébellion zapatiste & Adieux au capitalisme
  • Revolution in Rojava, Democratic Autonomy and Women’s Liberation in Syrian Kurdistan, Michael Knapp, Anja Flach, Ercan Ayboga.

Dans Sauver le monde, Michel Bauwens, fondateur de la P2P Foundation, partage de multiples autres exemples et éclaircissements conceptuels de cette recomposition privé / public / commun.

« Un principe suprême que moi, j’aimerais inscrire sur le fronton des monuments publics de cette société : pas d’exécution de la décision sans participation à la prise de décision.» — Cornelius Castoriadis

Dessine-moi une VIème République, avec le pinceau de l’intelligence collective

Les initiatives de démocratie ouverte sont foisonnantes sur le territoire, de nombreuses associations sont actives, les citoyens sont prêts. La pensée des communs est élaborée. Leurs réussites de terrain sont multiples et avérées.

Ce n’est donc pas de nouveaux entrepreneurs ni de start up dont le pays a besoin. Ils ne feraient que répliquer le code génétique d’un système néolibéral fondé sur l’asymétrie de pouvoir et son corollaire, la domination, entretenant un patriarcat discriminant envers les femmes, et basé sur l’extraction de valeur par les actionnaires, le tout coupable de l’effondrement social et écologique.

Si c’est réellement le bien commun, l’intéret général, le présent et l’avenir de la planète et de notre humanité dont on se soucie collectivement, alors la France a besoin de nouveaux communeurs et coopérateurs. Dans ces formes, statuts et états d’esprit, la finalité commune est au coeur, la lucrativité est limitée, les bénéfices sont majoritairement réinvestis par obligation légale et l’enrichissement personnel est rendu impossible, les parties prenantes sont invitées dans la gouvernance — mettant fin aux externalités négatives, la parité est la norme (1 personne 1 voix) et l’intelligence collective n’est plus une option. Elle devient centrale et assure que les systèmes complexes deviennent réellement adaptatifs, apprenants, et donc soutenables, résilients et génératifs.

Alors, que fera ce Président ? Et ce gouvernement ? Et ces autres assemblées élues, supposées garde-fou du système “démocratique“ ?

Ces instances réussiront-elles à admettre dans une salvatrice épiphanie que l’ennemi n’est pas le peuple mais bien ce modèle capitaliste néolibéral oligarchique qu’elles génèrent et perpétuent activement ?

Et le “peuple“ français ? Nous, toi, moi ?

De quel côté se trouvera la formidable audace, la profonde sagesse et l’immense humilité requises pour écrire enfin une page heureuse et inspirante de nos histoires de France ?

Annexe : Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

http://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf

Extrait : Article 7 : Crimes contre l’humanité

1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;

k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

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