Développer l’éolien et le photovoltaïque en France diminue-t-il les émissions de CO2 ?

Damien SALEL
Décrypter l’énergie & le climat
7 min readDec 23, 2020

La politique de développement de l’éolien et du photovoltaïque est régulièrement pointée du doigt par ses détracteurs. Celle-ci serait inefficace en France du point de vue climatique. En effet, les énergies renouvelables se substitueraient à une énergie décarbonée — le nucléaire et l’hydroélectrique — et présenteraient de nombreuses externalités négatives : coûts réseaux non pris en compte, gestion de l’intermittence, subventions… Vaste sujet, dont le traitement dans le présent article se limitera à la question du CO2, et à la manière de calculer les émissions évitées.

Pour les connaisseurs de la première méthode, passer directement à Limites de la méthode 1 et Méthode 2 : simuler le fonctionnement de ce qu’aurait été le mix électrique français sans éolien ni PV.

Méthode 1 : calculer les émissions évitées à partir de l’empreinte carbone moyenne de l’électricité française

Une première approche consiste à comparer l’empreinte carbone de l’éolien et du photovoltaïque à celle du mix électrique Français, la soustraction des deux permettant de fournir une première estimation.

L’empreinte carbone de l’éolien est de 14 gCO2/kWhe , celle du photovoltaïque de 32 gCO2/kWhe

La référence sur les facteurs d’émission en France est la base carbone de l’ADEME, d’après celle-ci l’empreinte carbone de l’éolien terrestre est évaluée à 14 gCO2/kWhe, celle du photovoltaïque à 44 gCO2/kWhe [1]. Si l’ordre de grandeur a peu évolué pour l’éolien, les chiffres pour le photovoltaïque commencent déjà à dater . Les dernières études annoncent plutôt une empreinte aux alentours de 30 gCO2/kWh [2].

Electricity Map, un outil permettant de visualiser en temps réel l’intensité carbone de l’électricité d’un pays

Electricity Map permet de visualiser en temps réel une série d’indicateurs sur le mix électrique d’un pays. La France exporte-t-elle son électricité ? Vers qui ? Quelles sont les capacités installées, quel est le taux d’utilisation de ces capacités à l’instant t ? Quelle est l’empreinte carbone de l’électricité ?

Le 23 décembre à 16h, l’empreinte carbone de l’électricité française était de 37 gCO2/kWhe

Régulièrement utilisé pour montrer les faibles émissions associées au mix électrique français, cet outil est rarement utilisé pour apprécier l’empreinte carbone moyenne de l’électricité, même si la fonctionnalité le permettant a été mise en ligne en août dernier. Or, en fonction de l’heure et du moment de l’année, l’empreinte instantanée peut varier de manière significative, notamment lorsque les centrales gaz et charbon sont appelées pour répondre aux pointes de consommation. Sur certaines périodes, celle-ci peut ainsi dépasser les 100 gCO2/kWhe en France.

Calculer l’intensité carbone sur une année à partir du bilan électrique de RTE

La moyenne annuelle peut être obtenue à partir du bilan électrique de RTE [3]. D’après celui-ci, les émissions du système électrique ont été de 19,23 MT CO2 en 2019, pour une production de 537,7 TWh. L’intensité carbone moyenne de l’électricité en 2019 est le ratio de ces valeurs, soit 36 gCO2/kWhe. Les émissions de l’année 2019 sont toutefois relativement faibles par rapport aux années précédentes, entre 2008 et 2013, elles étaient en moyenne aux alentours de 30 MT CO2.

Les émissions de CO2 du mix électrique français sont globalement sur une tendance baissière, 2019 a été à la 3e année pour laquelle les émissions ont été les plus faibles. Source : Bilan électrique 2019, RTE.

Résultats

Selon cette première méthode, 1 kWh éolien permet d’éviter l’émission de 36–14 = 22 gCO2, 1 kWh de PV de 36–32 = 4 gCO2. Pour le PV, le bilan est même négatif si l’on se base sur le facteur d’émission ADEME à 44 gCO2/kWhe. Dans les deux cas, le gain est très faible et l’assertion selon laquelle les EnR en France ne contribuent pas à la lutte contre le réchauffement climatique semble avérée. Cette même méthode conduit à obtenir des temps de retour carbone supérieur ou égal à la durée de vie des installations photovoltaïque (30 ans). Ces résultats sont-ils pour autant fiables ?

Limites de la méthode 1

Dans les faits, les énergies renouvelables ne se substituent pas à un mix électrique moyen, mais plutôt aux dernières énergies appelées selon le merit order. En effet, toutes les énergies n’ont pas la même priorité d’injection, les énergies renouvelables sont appelées en priorité, suivie du nucléaire, puis du gaz et du charbon. Ce merit order peut être visualisé sur electricity map via le diagramme en bas à gauche de la fenêtre “Origine de l’électricité des 24 dernières heures”. Le 23 décembre 2020, la consommation électrique était suffisante pour que les centrales à gaz soient appelées, mais pas assez pour que ce soit le cas des centrales à charbon.

Inversement, si la production en bas de la pile est plus importante, les centrales à gaz ou à charbon seront appelées pour des puissances appelées plus importantes, et donc plus rares. Elles seront donc appelées moins souvent, dit autrement, les EnR se substituent prioritairement aux moyens de production fossiles gaz et charbon qui ont respectivement des facteurs d’émission de 400 et 986 gCO2/kWhe.

Cette première méthode ne prend pas non plus en compte la question des exports. Dans quelles mesures l’électricité éolienne et photovoltaïque est-elle exportée ? Cette production se substitue-t-elle à des centrales à charbon ou à gaz ?

Méthode 2 : simuler le fonctionnement de ce qu’aurait été le mix électrique français sans éolien ni photovoltaïque

La méthode 1 présente donc de nombreuses limites qui ne permettent pas de conclure de manière fiable sur l’impact réel de l’éolien et du photovoltaïque sur les émissions de CO2. Cette limitation peut être contournée par une autre méthode qui consiste à simuler heure par heure ce qu’aurait été le mix électrique français sans éolien ni photovoltaïque. Or, une telle simulation a été réalisée pour l’année 2019 par RTE dans le cadre de son bilan prévisionnel [4].

Résultats

Photovoltaïque et éolien ont contribué à diminuer les émissions de CO2 de 22 MT en 2019 (5 MT en France, 17 MT à l’étranger du fait des exports). Cela signifie qu’un kilowattheure éolien ou PV permet d’éviter en moyenne l’émission de 488 gCO2/kWhe. Ce chiffre ne prenant pas en compte les empreintes carbone de l’éolien et du photovoltaïque, celles-ci doivent être soustraites pour obtenir une estimation rigoureuse du bilan CO2. Il s’agit par ailleurs d’une moyenne sur les deux énergies, les courbes production de l’éolien et du photovoltaïque étant différentes, les émissions évitées peuvent l’être également. Le temps de retour carbone calculé à partir de ces chiffres est compris entre 1 et 4 ans pour le photovoltaïque, et non plus 30.

Pour obtenir une évaluation des émissions évitées grâce à la production éolienne et solaire, RTE a simulé ce que serait le fonctionnement du système électrique actuel sans ces installations. Cette étude, restituée dans le rapport technique du Bilan prévisionnel 2019, chiffre les émissions évitées à environ 22 millions de tonnes de CO2 par an (5 millions de tonnes en France et 17 millions de tonnes dans les pays voisins). Source : RTE, 2019

Ces chiffres confirment également qu’en 2019, les EnR ne se sont que très peu substituées au nucléaire et n’ont donc que très faiblement participé à la baisse du facteur de charge de celui-ci.

Ces résultats battent en brèche une vision réductrice du système électrique où chaque incrément de production éolienne et solaire se ferait au détriment du nucléaire et n’aurait pas d’influence sur les émissions de gaz à effet de serre. Source : RTE, 2019

Si la trajectoire définie par la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie est maintenue, les EnR installées en France devraient encore participer significativement à la décarbonation de l’électricité. Une étude commanditée par France territoire solaire estime ainsi que les émissions évitées par un incrément de production photovoltaïque en 2030 serait de 238 gCO2 [2].

Conclusion

Si les calculs à partir de moyenne ou de règles de trois permettent d’obtenir des résultats corrects dans une majorité de cas, ceux-si sont inadaptés aux analyses réalisées sur des systèmes complexes par nature non linéaires. Contrairement à une idée reçue, la politique de développement des énergies renouvelables en France a contribué de manière significative à la diminution des émissions de CO2, et cette tendance devrait se maintenir sur la décennie en cours.

Sources

[1] Base carbone ADEME, 2022, https://web.archive.org/web/20220309003144/https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?renouvelable.htm

[2] Analyse de l’impact climat de capacités additionnelles solaires photovoltaïques en France à horizon 2030, France territoire solaire, 2020, https://www.enerplan.asso.fr/analyse-de-l-impact-climat-de-capacites-additionnelles-solaires-photovoltaiques-en-france-a-horizon-2030-avril-2020

[3] Bilan électrique 2019, RTE, https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/emissions-de-co2/#

[4] Note : précisions sur les bilans CO2, RTE, 2019, https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-06/note%20bilans%20co2.pdf

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