La France devrait-elle s’arroger 1/4 des réserves de lithium pour atteindre un mix 100 % EnR ?

Damien SALEL
Décrypter l’énergie & le climat
5 min readJan 15, 2022

Dans une analyse d’un article du Parisien, Jean-Marc Jancovici répond à l’optimisme de l’auteur sur les enjeux du stockage de l’électricité. La critique est légitime, car le défi reste de taille. Le cadrage choisi peut toutefois porter à confusion sur le besoin réel en batteries associé au 100 % EnR, celui-ci sera probablement 200 à 500 fois inférieur à celui annoncé dans l’analyse de M. Jancovici.

Un besoin de 50 TWh de stockage batterie ?

Sur la base des données de RTE, Jean-Marc Jancovici part d’un besoin de stockage de 50 TWh dans un mix français 100 % EnR, et d’un besoin en lithium de 100 g/kWh de batteries, ce qui lui permet d’arriver à la conclusion qui suit :

La France devrait donc “s’arroger” un quart du lithium des réserves mondiales pour avoir un système 100% ENR “backé” par du stockage sur batteries.

Les ordres de grandeurs et les conclusions de M. Jancovici sont globalement justes, mais uniquement dans le cadre qu’il définit, c’est à dire celui d’un système où le stockage serait assuré uniquement à partir de batteries au lithium. Or, aucune étude récente et sérieuse sur le 100 % EnR n’envisage un tel scénario.

Les batteries sont pertinentes pour stocker de l’électricité à l’échelle d’une journée, mais pas sur une plus longue temporalité

Les gestionnaires de réseau disposent d’un ensemble de moyens pour gérer les besoins en flexibilité du système électrique. Mais tous ne répondent pas à la même temporalité, là où les batteries sont adaptées pour répondre à des flexibilités à l’échelle d’une journée — par exemple stocker la production photovoltaïque de la journée pour ensuite la déstocker la nuit — , elles sont technico-économiquement médiocres à l’échelle d’une semaine, et complètement inadaptées à celle d’une saison ou de plusieurs années (voir figure ci-dessous). Seuls l’hydrogène et les interconnexions peuvent répondre efficacement aux besoins inter-saisonniers et inter-annuels, or il s’agit de cette dernière temporalité qui est mentionnée par M. Jancovici avec le chiffre de 50 TWh.

Ci-dessus, horizon temporel par levier de flexibilité : les batteries répondent en premier lieu à des besoins à l’échelle d’une journée, au maximum à celle d’une semaine, mais ne sont pas adéquates à celle de plusieurs années. Les flexibilités liées à l’hydrogène se retrouvent dans la figure sur les lignes “électrolyseurs” et “capacités thermiques décarbonnées”. Source : RTE, https://www.concerte.fr/system/files/u12200/GT3-7-8_09.07.2021_analyse%20technique%20des%20sc%C3%A9narios_Vdiff-min_0.pdf, p20.

Un rôle des batteries limité à moins de 250 GWh dans le cadre d’un scénario 100 % EnR

Ainsi, dans son scénario M23–87 % EnR à 2050, 100 % à 2060 — , RTE estime qu’un développement économiquement rationnel des batteries limiterait leur place entre 0 et 80 GWh à 2050. Cette valeur pourrait toutefois doubler voire tripler à 2060 du fait des besoins supplémentaires associés au passage de 87 à 100 % EnR. Elle resterait toutefois relativement faibles par rapport aux valeurs de M. Jancovici — moins de 250 GWh contre 50 TWh — , cet écart s’explique d’une part par le rôle des batteries, qui sont uniquement associées à des besoins de court-terme, et d’autre part par la concurrence avec d’autres leviers de flexibilités.

Même dans un système 100 % EnR, les batteries devraient avoir un rôle relativement limité par rapport aux ordres de grandeur donnés par M. Jancovici. Source de la figure : RTE, https://www.concerte.fr/system/files/u12200/GT3-7-8_09.07.2021_analyse%20technique%20des%20sc%C3%A9narios_Vdiff-min_0.pdf, p34.

L’hydrogène et les interconnexions : briques technologiques essentielles au 100 % EnR

Le développement des EnR va engendrer une forte augmentation des besoins en flexibilités. En termes de quantité d’énergie à déplacer, les efforts les plus importants concerneront les modulations à l’échelle d’une année : de l’ordre de 55 TWh en 2022, elles pourraient atteindre 90 TWh dans un système 100 % EnR (voir figure ci-dessous).

Ces nouveaux besoins devraient être essentiellement couverts par les interconnexions et l’hydrogène (voir figures ci-dessus). C’est donc bien dans l’industrialisation de la filière hydrogène que réside un des enjeux majeurs du 100 % EnR.

Source : RTE, https://www.concerte.fr/system/files/u12200/GT3-7-8_09.07.2021_analyse%20technique%20des%20sc%C3%A9narios_Vdiff-min_0.pdf, p18.

Conclusion

M. Jancovici conclut son article sur l’importance des règles de trois dans la décision politique, ce qui sous-entend qu’un décideur avisé ne s’orienterait jamais vers le 100 % ENR du fait de la disponibilité en lithium.

Avec ces ordres de grandeur, je ne suis pas complètement sur qu’un titre laissant penser que nous allons y arriver facilement était tout à fait justifié. C’est ennuyeux, parce que 99% des décideurs politiques ne font pas de règles de trois et, quoi qu’ils en disent, se reposent avant tout sur ce qu’ils lisent dans le journal… et parfois même sur le seul titre !

C’est ennuyeux, car les règles de trois de M. Jancovici montrent seulement qu’assurer 100 % des besoins de stockage par des batteries est aberrant, ce sur quoi tout le monde est d’accord. Ainsi, aucun scénario 100 % EnR ne repose sur du stockage 100 % batterie, l’effort est porté par une palette de leviers de flexibilités dans lesquels la filière hydrogène et les interconnexions tirent la part du lion. Il aurait donc été plus pertinent d’évoquer ces deux autres leviers ainsi que leurs limites, plutôt que d’induire le lecteur en erreur sur une fausse contrainte en associant EnR et lithium. De ce fait, ces mêmes règles de trois présentent un danger pour le décideur ou le lecteur non avisé, qui n’est pas forcément en capacité de critiquer le cadrage choisi par M. Jancovici.

Nota : La disponibilité de la ressource en lithium présente un réel enjeu, mais celui-ci concerne davantage le développement massif de la voiture électrique que les EnR.

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