Les EnR coûtent-elles vraiment un pognon de dingue aux gestionnaires de réseaux ?

Damien SALEL
Décrypter l’énergie & le climat
8 min readMar 3, 2023

Suite à mes précédents articles sur le coût du soutien public aux EnR, beaucoup m’ont rétorqué que mes chiffres étaient largement sous-estimés car n’incluant pas les coûts de raccordement. Qu’en est-il dans les faits ?

Contrairement à une idée reçue, l’essentiel des coûts réseaux des EnR terrestres est bien payé par les producteurs

L’éolien terrestre et le photovoltaïque paient l’essentiel de leur coût de raccordement. Ils financent également en grande partie les adaptations du réseau électrique nécessaires à leur accueil, via la quote-part S3REnR.

Sur ce graphique de RTE [1], la partie en vert représente le coût porté par le producteur (installation EnR + raccordement +quote-part S3REnR). La partie bleu correspond au coût réseau non pris en charge par le producteur, et donc couvert par le consommateur via le TURPE.

Extrait du rapport RTE [1].

La part pris en charge par le TURPE, de quelques pourcents du coût total de l’installation EnR, est donc très faible au regard des coûts portés par le producteur et donc par les dispositifs de soutien (tarif d’achat ou complément de rémunération).

Pour l’éolien en mer et pour le nucléaire, les coûts réseaux sont entièrement payé par le TURPE

La situation est différente pour l’éolien en mer. Pour ces installations, les coûts de raccordement et d’adaptation sont entièrement pris en charge par le consommateur via le TURPE. Cela représente un surcoût de 15 à 20 €/MWh non couvert par les dispositifs de soutien, à comparer aux 44 €/MWh de l’AO3 de Dunkerque [2].

Extrait du rapport RTE [2].

A ce titre, le financement du raccordement de l’éolien en mer est similaire à celui du raccordement du nucléaire, pour lequel c’est également le TURPE qui prend en charge les besoins d’adaptation du réseau.

Quote-part S3REnR, TURPE, quésako ?

Avant d’expliquer ces différents termes, il faut déjà donner quelques bases sur l’architecture des réseaux électriques, et sur les coûts réseaux que peuvent générer les EnR.

Le réseau de transport, géré par RTE, peut être assimilé à nos autoroutes. Des puissances très importantes peuvent transiter sur ses lignes, et l’électricité peut y être transporté sur de longues distances.

Architecture des réseaux électriques

A proximité des lieux de consommations ou de production d’énergies renouvelables, le niveau de tension de l’électricité est abaissé pour que celle-ci puisse transiter sur les réseaux de distributions. Ces sortes d’échangeurs autoroutiers qui réalisent cette transformation sont appelés postes sources. A leur sortie, l’électricité transite d’abord sur le réseau moyenne tension (HTA — 20 000 V), l’équivalent des routes départementales.

Si les très gros consommateurs, dits électro-intensifs sont raccordés sur le réseau de transport, l’essentiel des consommations transitent par le réseau public de distribution. Les gros consommateurs se raccordent ainsi en moyenne tension, les autres, et notamment les particuliers, se raccordent en basse tension. Les énergies renouvelables terrestres sont elles aussi principalement raccordées au réseau public de distribution, en basse (BT), ou en moyenne tension (HTA).

Architectures des réseaux électriques et raccordement des moyens de production.

Le raccordement direct au réseau de transport ne concerne que les installations supérieures à 12 MW (ou 17 MW sur dérogation) qui restent minoritaire en termes de production.

Qu’est-ce que le raccordement ? Pourquoi faut-il parfois adapter le réseau pour les EnR ?

Pour qu’une installation EnR puisse évacuer sa production, il faut tout d’abord qu’elle soit reliée au réseau. Le raccordement consiste en la création de cette liaison.

Pour autant, il n’est pas à lui seul toujours suffisant pour permettre la bonne évacuation de la production. En effet, comme il peut y avoir des bouchons sur les réseaux routiers, des consommations, ou des productions trop importantes peuvent provoquer des congestions.

Ces dernières peuvent avoir lieu sur le réseau sur lequel l’installation est raccordée, ou sur les réseaux dits amonts, comme celui de transport. Ainsi, le réseau moyenne tension (HTA) peut s’avérer suffisant pour évacuer la production d’un parc éolien, mais pas le poste source, ou le réseau très haute tension (HTB).

Un moyen de traiter une congestion est l’adaptation du réseau, par le renforcement des lignes et des postes existants, ou par la création de nouveaux ouvrages.

Mais qui donc paie ces ouvrages ?

Le financement des réseaux, c’est compliqué… on le voit bien sur ce diagramme pourtant très simplifié [3]. La réponse qui suit ne peut donc pas couvrir l’intégralité des cas, mais vise au moins à expliquer l’essentiel.

Sankey du financement des réseaux. Source [3].

Les réseaux électriques sont essentiellement financés par les Tarifs d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité (TURPE). Cette contribution, payée par les consommateurs d’électricité, représente en moyenne près d’un tiers de la facture d’un particulier [4].

Toutefois le TURPE ne finance pas l’intégralité des investissements, ceux-ci peuvent l’être pour partie voire intégralement par les usagers du réseau ou les collectivités territoriales. Les ouvrages créés pour raccorder de nouvelles installations sont ainsi en grande partie financés par le demandeur du raccordement, ou les collectivités territoriales.

Sur environ 5 Mds€/an d’investissement sur le réseau public de distribution, environ 0,7 Mds€/an sont abondés par les utilisateurs demandant un nouveau raccordement. De même, les collectivités territoriales qui sont propriétaires de ces mêmes réseaux, réalisent également des investissements importants en plus de ceux du gestionnaire de réseau (Enedis sur 95 % du territoire).

Tout d’abord, en France, les coûts de raccordement ne financent pas que la liaison entre l’installation et le réseau. Ils peuvent également financer des adaptations du réseau, parfois sur plusieurs kilomètres. Certaines de ces adaptations, payées par le producteur (et qui sont certes déclenchées par lui) pourront bénéficier à d’autres usagers, notamment consommateurs. En l’état, on les attribue pourtant au producteur seul.

En plus du coût de raccordement, il faut également ajouter la quote-part S3REnR. Ces Schémas Régionaux de Raccordement des EnR (S3REnR) sont un dispositif mutualisant les travaux d’adaptation nécessaire à l’accueil des EnR entre les producteurs. Le périmètre de mutualisation concerne les postes sources (Enedis, Entreprise Locale de Distribution) et le réseau RTE. Les producteurs financent les créations d’ouvrage, les gestionnaires de réseau les renforcements (modification d’ouvrage existant).

Pour financer la création de nouveaux ouvrages, les producteurs verse une quote-part au moment du paiement du coût de raccordement. La mutualisation étant réalisée à l’échelle régionale, il existe une quote-part différente par région administrative [5].

Montant des quotes-parts régionales du S3REnR en €/kW. Source : hespul à partir des données RTE du 7 octobre 2022.

NB : les S3REnR ont été créés avant la fusion des régions, seuls les S3REnR révisés récemment prennent donc en compte les nouveaux périmètres régionaux.

Donc sur les S3REnR, une partie du coût des adaptations est financée par le TURPE, une autre par les producteurs via la quote-part. Combien ? Je n’ai pas réussi à trouver de valeur agrégée à la maille France, toutefois, en reconstituant les différents S3REnR, on retrouve un coût financé par les producteurs supérieur à 70 %, le reste étant payé par le TURPE.

Certains raccordements EnR et la quote-part S3REnR bénéficient d’une « ristourne » financée par le TURPE : la réfaction. Celle-ci ne concerne toutefois que les petites installations et est variable en fonction de la puissance installée, voir tableau ci-dessous [6].

Source : photovoltaique.info

Combien ça coûte ?

En 2019, les producteurs ont représenté 22 % des investissements de raccordement, soit 277 M€ sur un total de 1 254 M€ de raccordements producteurs et consommateurs [7].

Les investissements pour le raccordement des producteurs sont en croissance et devraient s’élever à plus de 420 M€ en 2024. Cela est dû notamment à l’accélération du rythme de déploiement des EnR.

Attention, sur ces montants, la majorité est payée par les producteurs, ils ne représentent donc pas le surcoût que paie le consommateur en plus du coût du soutien public aux EnR.

Côté RTE, une partie des adaptations et des raccordement concernent les EnR, celles-ci étant en grande partie financé via la quote-part S3REnR. Le réseau en mer concerne quant à lui l’éolien en mer et est financé exclusivement par le TURPE [8].

Source : RTE.

Les investissements actuels sont donc d’environ 700 M€/an. Pour comparaison, les dépenses totales dans nos réseaux électriques dépassent les 17 Mds€/an.

Si l’accueil des EnR représente une dépense significative, elle reste encore aujourd’hui minoritaire par rapport au réseau nécessaire à la consommation [9].

Source : reseaux.photovoltaïque.info

Et après ?

Dans son étude « Futurs énergétiques 2050 », RTE propose 6 scénarios compatibles avec l’objectif de neutralité carbone à 2050.

Les scénarios M visent le 100 % EnR à horizon 2050 ou 2060, ceux N proposent un maintien du nucléaire entre 28 % (N1) et 50 % (N03) à 2050, la production électrique restante étant fournie par des EnR.

D’après cette étude, en moyenne 3 à 5 Mds €/an devront être investis sur le réseau de transport géré par RTE sur les 40 années à venir, contre 1,5 à 2 Md€/an actuellement [10].

Source : “Futurs énergétiques 2050”, RTE 2021.

Côté réseau de distribution, ce montant pourrait s’élever entre 5 et 6,5 Mds€/an en moyenne sur les 40 prochaines années, contre environ 4 Mds€/an actuellement. L’augmentation des dépenses d’investissement dans les réseaux électriques pourrait donc être comprise entre 2,5 et 6 Mds€/an.

Ces nouvelles dépenses ne s’expliquent toutefois pas uniquement par l’ajout de productions EnR. En effet, dans le scénario de référence de RTE, la consommation électrique augmente de 35 %, et les nouveaux usages associés augmentent également les besoins en infrastructures réseaux. Ces montants doivent par ailleurs être mis au regard du coût global du système électrique : un peu plus de 40 Mds€/an aujourd’hui, contre 60 à 80 Mds€ à 2050, soit + 20 à +40 Mds€/an [11].

Source : “Futurs énergétiques 2050”, RTE 2021.

Sources :

[1] https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/Sch%C3%A9ma%20d%C3%A9cennal%20de%20d%C3%A9veloppement%20du%20r%C3%A9seau%20-%20Edition%202019.pdf, p51
[2] https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/Sch%C3%A9ma%20d%C3%A9cennal%20de%20d%C3%A9veloppement%20du%20r%C3%A9seau%20-%20Edition%202019.pdf, p51
[3] https://reseaux.photovoltaique.info/fr/decrypter-le-jeu-dacteurs/financement-des-reseaux-publics/financement-des-reseaux/
[4] https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/Sch%C3%A9ma%20d%C3%A9cennal%20de%20d%C3%A9veloppement%20de%20r%C3%A9seau%202019%20-%20Synth%C3%A8se.pdf, p50
[5] https://reseaux.photovoltaique.info/fr/decrypter-le-jeu-dacteurs/planification-des-reseaux-publics/schema-regional-de-raccordement-au-reseau-des-energies-renouvela/
[6] https://photovoltaique.info/fr/tarifs-dachat-et-autoconsommation/couts-reglementaires/couts-de-raccordement-au-reseau/
[7] Source : https://cre.fr/content/download/23176/file/201217_2020-318_Turpe_6_HTA_BT.pdf, p53.
[8] https://rte-france.com/finances/chiffres-cles-et-publications-financieres [9] https://reseaux.photovoltaique.info/fr/decrypter-le-jeu-dacteurs/financement-des-reseaux-publics/financement-des-reseaux/
[10] https://assets.rte-france.com/prod/public/2022-02/BP50_Principaux%20re%CC%81sultats_fev2022_Chap10_reseaux.pdf
[11] https://assets.rte-france.com/prod/public/20

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