SFEC : nos objectifs EnR sont-ils suffisants ? Sur quel scénario de RTE nous orientons nous ?

Damien SALEL
Décrypter l’énergie & le climat
11 min readSep 15, 2023

Les travaux de préparation de la stratégie française énergie-climat (SFEC) ont récemment été publiés… et avec eux, une première version des objectifs EnR électriques pour 2030–2035.

Figure 1

Source figure 1 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

Avant de parler production… quelle consommation devrons nous couvrir d’ici 2030–2035 ?

L’étude “Futurs énergétiques 2050” fournit quelques chiffres :

  • aujourd’hui : environ 470 TWh,
  • 2030 : ≃500 TWh
  • 2035 : ≃ 550 TWh

Figure 2 : Évolution de la consommation à horizon 2050, étude “Futurs énergétiques 2050”, RTE.

Source figure 2 : https://assets.rte-france.com/prod/public/2022-06/FE2050%20_Rapport%20complet_3.pdf

Cette augmentation est sujette à incertitude mais est présente dans la totalité des scénarios de RTE. On ne peut donc pas se contenter de notre parc de production actuel, il faudra produire plus ET produire bas carbone. Avec quels moyens ?

Dans son rapport sur la préparation de la stratégie française énergie-climat, une cible de 640 TWh d’électricité bas carbone est visée à 2035, soit légèrement au dessus de la fourchette haute du rapport RTE. On parle donc à minima du scénario “réindustrialisation” de l’étude.

Figure 3

Source figure 3 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

Comment seront produits ces 640 TWh d’électricité bas carbone ?

Comment seront produits ces 640 TWh d’électricité bas carbone ? En 1er lieu par le nucléaire historique (Flamanville 3 inclus) : une cible à 400 TWh et une hypothèse médiane (plus réaliste) à 360 TWh.

Figure 4

Source figure 4 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

Pourquoi une cible de 400 TWh semble peu réaliste à cet horizon ? Après tout, c’est une production déjà atteinte par le passé (voir graphique ci-dessous) ?

Figure 5

Source figure 5 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

Même avec l’arrivée de Flamanville 3 qui remplacera à lui seul la perte de Fessenheim, les maintenances vont s’accroître et certains réacteurs pourront être déclassés. Dans son scénario de référence, RTE prévoit une capacité passant à environ 45 GW en 2035.

Figure 6

Source figure 6 : https://assets.rte-france.com/prod/public/2022-06/FE2050%20_Rapport%20complet_4.pdf

Le document du Ministère prévoit de viser 400 TWh avec une médiane à 360 TWh, ce qui semble nous placer plutôt sur la trajectoire de “Fermeture ralentie” du scénario N03. Il y a un risque industriel derrière ce choix, la production réelle pourrait s’avérer plus basse.

Dans le même temps, même en allant à vitesse maximale, pas de nouveaux EPR2 avant 2035, voire 2036–2037. Pour atteindre 650 TWh en 2035, il n’y aura donc que deux leviers :

  • limiter la perte de production nucléaire au maximum,
  • faire des EnR.

Quelle augmentation de la production EnR électrique ?

Nous produisons actuellement environ 100 TWh d’électricité renouvelable :

  • près de la moitié provient de l’hydroélectrique qui évoluera peu voire diminuera légèrement avec le réchauffement climatique,
  • le reste de l’éolien, du PV et de bioénergie.
Figure 7

Source figure 7 : https://assets.rte-france.com/prod/public/2022-06/FE2050%20_Rapport%20complet_4.pdf

Le développement des EnR dans les 12 prochaines années se fera principalement à partir de trois technologies :

  1. L’éolien terrestre,
  2. L’éolien en mer,
  3. Le photovoltaïque.

Eolien terrestre

Le rythme proposé est de 1,5 GW/an. La cible de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) en cours pour 2028 est reportée à 2030. Cela correspond en fait au maintien de la trajectoire actuelle (flèche).

Honnêtement, cet objectif me semble bas, notamment au regard de celui proposé pour l’éolien en mer.

Figure 8

Source figure 8 : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publicationweb/573

Éolien en mer

Pour 2030, on reste sur une cible à 3,6 GW, en retrait par rapport à la cible 2028 de la dernière PPE. Toutefois, pour 2035, les ambitions montent à 18 GW !

Tout reposera sur les 8 à 10 GW d’appels d’offres (AO) qui seront lancés d’ici 2025.

Figure 9

Source figure 9 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

En cas d’échec sur ces AO, ou de retard sur les projets lauréats, comme pour le nucléaire, nous risquons de nous retrouver avec un déficit de production par rapport à la trajectoire prévue.

Un moyen de compenser cela serait d’augmenter la cible éolien terrestre en cas de retard, ces cibles ne doivent donc pas rester figées. En cas d’imprévu, positif ou négatif sur une filière, il faudra savoir s’adapter en modifiant les objectifs sur une autre plus adaptable.

Solaire photovoltaïque

C’est la filière qui pourrait connaître le plus fort développement. Le rythme de déploiement devrait doubler voire tripler !

  • Juin 2023 : 18 GW installés.
  • Objectif PPE 2028 : 35 à 44 GW
  • 2030 (SFEC) : 54 à 60 GW
  • 2035 (SFEC) : 75 à 100 GW

Problème : au rythme actuel, nous n’atteignons même pas l’objectif bas de la PPE 2028. Or, pour atteindre les objectifs de la SFEC, il faudrait viser dès maintenant l’objectif haut. L’objectif de la SFEC repose sur un rythme de 5,5 GW à 7 GW/an, contre environ 2,5 GW/an aujourd’hui.

Figure 10

Source figure 10 : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publicationweb/572

Zoom sur la filière photovoltaïque

Un objectif de 7 GW/an est-il irréaliste ?

5,5 GW à 7 GW/an parait être une valeur élevée… ce n’est pourtant pas vraiment le cas :

  • L’Espagne (47M d’habitants) : 8,1 GW en 2022,
  • L’Allemagne (84M d’habitants) : 7,5 GW la même année, et plus de 6 GW au 1er semestre 2023 !
  • La Pologne (40M d’habitants) : 4,9 GW en 2022
  • Les Pays-bas (17,8 M d’habitants) : 3,9 GW en 2022
Figure 11

Source Figure 11 : https://iea-pvps.org/wp-content/uploads/2023/04/IEA_PVPS_Snapshot_2023.pdf

On pourrait également rapporter ces efforts à la population, ou à la densité de chaque pays.

  • Allemagne : densité 2x supérieure à la France,
  • Pays-bas : densité 4x supérieure,
  • Pologne : même densité.
  • Espagne : densité légèrement inférieure.

La progression la plus rapide est celle des Pays-Bas : rapportée à leur population, la capacité installée ces 3 dernières années représenterait 15 GW/an pour le cas français ! Et on parle principalement d’installations en toiture, voir : https://www.linkedin.com/posts/damien-salel-70599b11a_comment-les-hollandais-ont-%C3%A9quip%C3%A9-%C2%BC-de-leurs-activity-7104457065154105344-LaqS

Nos voisins européens, malgré des conditions moins favorables en terme d’ensoleillement et de densité (excepté pour l’Espagne) approchent voire dépassent déjà notre objectif de 7 GW/an. Certains comme l’Allemagne ou les Pays-Bas arrivent même à le doubler. La possibilité ne semble donc pas d’ordre technique, mais bien d’ordre politique.

Pour le PV en France, le document de la SFEC propose la répartition suivante :

  • Sol : 65 %,
  • Grandes toitures : 25 %,
  • Résidentiel : 10 %.
Figure 12

Source figure 12 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

L’objectif semble être de privilégier les projets présentant le coût le plus bas, c’est à dire au sol au détriment de ceux en toitures et notamment sur toitures résidentielles.

Solaire résidentiel

La cible résidentielle de 10 % correspond à un maintien de la trajectoire actuelle (1 % des maisons équipé / an). Dans les faits, il est probable que cette cible soit dépassée. Ces deux dernières années le rythme d’installations a augmenté de plus de 50 %/an.

Au vu de la croissance de la file d’attente, cette augmentation devrait se poursuivre (voir notamment ce post sur le sujet : https://www.linkedin.com/posts/damien-salel-70599b11a_depuis-2020-le-solaire-photovolta%C3%AFque-pour-activity-7105187647181963265-K4n_). La cible de 10 % devrait donc probablement être dépassée d’ici 2035. En effet, nous sommes probablement au début d’une courbe en S spécifique à la diffusion des innovations. Toutefois, comme pour toute courbe en S, le secteur finira par arriver à saturation. On peut donc tabler sur du 15 à 20 % de la puissance totale, mais pas forcément plus à cet horizon.

Figure 13

Source figure 13 : https://en.wikipedia.org/wiki/Diffusion_of_innovations

Sur ce segment, une attention devra être portée aux mesures gouvernementales : la dynamique sociale est présente, l’accélération est déjà en cours sans intervention de l’Etat. Mais dans le même temps, le document de la SFEC privilégie les systèmes les moins coûteux avec une priorité donnée aux systèmes au sol. Que se passera-t-il si l’on commence à installer 20 % de systèmes résidentiels et non pas 10 % ? Le gouvernement cherchera-t-il à freiner les projets ? L’effet STOP & GO du moratoire 2010 se fait encore sentir aujourd’hui, attention à ne pas le reproduire dans la décennie.

Inversement, nos systèmes résidentiels sont particulièrement coûteux, 50 % à 2 fois plus que chez nos voisins belges et hollandais. Une partie de ce surcoût s’explique par une complexité administrative et une incertitude beaucoup plus forte que chez eux. Le gouvernement qui cherche à réduire les coûts pourrait donc faire d’une pierre deux coups :

  • Simplifier les procédures au maximum et limiter les allers-retours des installateurs entre le client et les différentes administrations,
  • Réduire le coût des systèmes et donc des aides associées par ces simplifications.

Grandes toitures

La cible grande toiture correspond à 19 à 25 GW à 2035. Actuellement, 5 GW sont déjà installés sur ce segment et près d’1 GW devrait être installé cette année. Le maintien du rythme actuel correspond à 17 GW d’ici 2035. Pour atteindre les objectifs, il faudrait donc une légère augmentation du rythme, ce qui devrait très probablement arriver vu l’accélération liée à la publication de l’arrêté S21 et les obligations de solarisation.

Même si les toitures de plus de 500 kWc sont gérées par un mécanisme d’appels d’offres, l’essentiel des capacités installées en toiture, qu’elles soient résidentielles, tertiaires ou industrielles, l’est par un guichet ouvert. Le gouvernement ne contrôle donc pas la puissance entrante, celle-ci étant principalement déterminée par des facteurs socio-économiques (notamment pour le résidentiel) et/ou des obligations légales (exemple : obligation de solarisation).

Au vu des tendances actuelles, je ne serais pas étonné que le segment grande toiture ou résidentiel dépasse les attentes de la SFEC. La tendance d’accélération est présente depuis plusieurs années, et des exemples comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Australie nous montrent qu’il s’agit d’un phénomène social dont l’engouement est difficile à stopper… à moins de mettre en place des mesures réduisant fortement l’intérêt économique ou complexifiant fortement les démarches, ce qui ne me semble pas souhaitable.

Pour arriver à un niveau de développement en toiture similaire à celui des Pays-Bas (80 % de la puissance installée et non pas 35 % comme proposé par le document SFEC !), il va falloir considérablement simplifier les procédures, mettre en place un guichet unique incluant la partie urbanisme, limiter et/ou fixer les coûts de raccordement pour tout le monde. Le PV en toiture est particulièrement coûteux en France, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays du monde. Là aussi, des améliorations sont possibles.

Sol

D’après la SFEC, le gros de l’effort devrait être porté par le solaire au sol (65 % de la capacité !). Aujourd’hui environ 10 GW sont déjà installés au sol, pour atteindre l’objectif de 2035, il faudrait atteindre une capacité cumulée de de 49 à 65 GW, soit 3,2 à 4,6 GW à installé chaque année !

Problème : le rythme actuel est plutôt aux alentours de 1 GW/an, il faudrait donc tripler voire quadrupler le rythme sur ce seul segment !

Aujourd’hui, les projets au sol sont mobilisés par des appels d’offres représentant environ 2 GW/an, auxquels il faut ajouter la partie ombrière de l’appel d’offres (AO) grandes toitures et du guichet ouvert. Malgré plusieurs années, l’ensemble les lauréats ne semblent pas aller au bout de leurs projets. Un taux d’échec pourrait être identifié, et la cible des AO devrait être fixée à des niveaux plus haut que la cible de la SFEC… auquel cas, nous risquons de rater systématiquement nos objectifs.

Les installations au sol visent trois cibles :

De quelle surface parle-t-on ?

Avec 75 à 100 GW de photovoltaïque, on se rapproche des scénarios N2 et N03 à 2050. On parlerait donc d’un peu plus de 70 000 hectares, soit 0,1 à 0,2 % du territoire.

Figure 14

Source figure 14 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_strategie_fr_energie_climat.pdf

Synthèse

La version actuelle de la SFEC nous oriente vers un scénario N03 / réindustrialisation.

Consommation : la cible est de 640 TWh à 2035, cela parait relativement élevé au vu des analyses de RTE de 2021–2022, à voir dans la présentation de la semaine prochaine si celles-ci ont beaucoup évolués depuis.

Nucléaire : il s’agit du scénario pariant le plus sur le nucléaire en retardant au maximum les déclassements, il y a donc un risque de produire moins que prévu. Notons qu’il n’y aura pas d’EPR2 sur la période étudiée par la SFEC, il faudra faire uniquement avec le parc actuel et Flamanville 3.

Solaire PV : Pour mitiger le risque sur la production nucléaire, une cible relativement haute (mais pas tant que ça comparé à nos voisins) a été proposée pour le solaire PV. Cette cible est largement atteignable, mais nécessitera des évolutions réglementaires et un accroissement important des appels d’offres pour accélérer les installations au sol et en toiture.

Éolien terrestre : la cible semble vraiment faible, elle devra probablement être rehaussée en cas de faible production nucléaire, déclassement de réacteurs, retard sur l’éolien en mer ou le photovoltaïque.

Éolien en mer : la cible me paraît bonne, mais doit être compensée par de l’éolien terrestre en cas de retard / ratage sur un ou plusieurs appels d’offres.

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