29 citations de Martin Luther King, extraites de son quatrième et dernier livre

Pour éviter de travestir sa pensée qui est encore très actuelle

Nicolas Galita
Dépenser, repenser
24 min readMar 14, 2023

--

Photo credit: LBJ Library photo by Yoichi Okamoto

Que vas-tu trouver dans cet article ?

C’est fou à quel point on ignore que Martin Luther King a écrit de sa main non pas un mais quatre livres. Moi en tout cas je l’ignorais avant de rédiger cet article :

J’avais été frappé de voir à quel point ce livre était pertinent et moderne.

En même temps, il nous paraît loin car il est mort. Mais comme il a été assassiné prématurément ça fausse notre perception. Par exemple, si je te demande de classer ces 4 personnalités dans l’ordre de naissance, tu réponds quoi :

  • Élisabeth II
  • Jean-Marie Le Pen
  • Martin Luther King
  • Valéry Giscard d’Estaing

Là ils sont dans l’ordre alphabétique des prénoms.

Quelques secondes pour réfléchir…

Et bien déjà les 4 sont nés à peu près en même temps (entre 1926 et 1929). Et, des 4 c’est Martin Luther King qui est le plus “jeune”. C’est lui qui est né en dernier.

Ce n’est pas SI vieux. D’ailleurs à part Martin Luther King, toutes ces personnes étaient vivantes quand la pandémie du Covid a éclaté.

Jean-Marie Le Pen est encore vivant au moment où j’écris ces lignes.

Martin Luther King est donc à la fois “vieux”, mais pas au point qu’il serait impossible qu’il soit vivant au moment où j’écris.

Pourquoi un article recueil de citations de Martin Luther King ?

Tous les jours j’écris un email pour ma newsletter : l’Atelier Galita. D’ailleurs, c’est davantage un blog par email qu’une newsletter.

Les emails de la semaine sont gratuits et ceux du weekend sont accessibles uniquement aux membres premium.

Or, un des formats du weekend s’appelle Mes passages préférés. Dedans je me contente de copier-coller en vrac les passages que j’ai surlignés dans un livre que j’ai aimé.

J’ai donc, comme d’habitude, publié une édition. Ce à quoi un abonné premium a répondu :

Et bien… ainsi soit-il.

Voici une version augmentée (deux fois plus d’extraits du livre) et catégorisée (et non plus en vrac).

Si tu veux t’abonner à ce que j’écris : clique ici et laisse ton email pour avoir du contenu de moi régulièrement

Comment j’ai procédé ?

Comme le nom du format original l’indique : ce sont mes passages préférés. Je n’essaie pas de donner une vision exhaustive du livre. Certains passages m’ont moins intéressés que d’autres.

D’autre part, c’est moi qui a fait la traduction. Des erreurs ont donc pu se glisser puisque l’anglais n’est pas ma langue maternelle.

Pour aller voir le texte original il te suffit de te procurer le livre :

Where do we go from here

Il est disponible sur les plateformes habituelles. Tu peux même trouver très facilement des versions gratuites en pdf (mais je ne sais pas si elles sont légales).

Ceci étant dit, c’est parti.

#1 | Comment le racisme a été inventé

Photo by Arthur Franklin on Unsplash

Cocorico

Un Français, le comte Arthur de Gobineau, dans son livre L’inégalité des races humaines, a vigoureusement défendu la théorie de l’infériorité de l’homme noir et a utilisé l’expérience des États-Unis comme principale source de preuves. C’est ce type de “science” qui a imprégné l’atmosphère du XIXe siècle, et ces pseudo-scientifiques sont devenus des références incontournables pour tous ceux qui cherchaient à rationaliser le système de l’esclavage.

En général, nous pensons que les opinions suprématistes des Blancs trouvent leur origine dans les Blancs sans instruction, défavorisés et de la classe pauvre. Mais les accoucheurs sociaux qui ont permis la naissance des idées racistes dans notre pays étaient issus de l’aristocratie : de riches marchands, des hommes d’église influents, des hommes de science médicale, des historiens et des politologues issus de certaines des plus grandes universités du pays.

Avec une élite aussi distinguée travaillant si assidûment à la diffusion des opinions racistes, qu’est-ce qui pouvait inciter les pauvres agriculteurs blancs, illettrés et peu qualifiés, à penser autrement ?

Bientôt, la doctrine de la suprématie de la race blanche fut inscrite dans tous les manuels scolaires et prêchée dans pratiquement toutes les chaires. Elle est devenue un élément structurel de la culture. Les hommes ont alors adopté cette philosophie, non pas comme la rationalisation d’un mensonge, mais comme l’expression d’une vérité définitive. En 1857, le système de l’esclavage a reçu son ultime soutien juridique de la part de la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Dred Scott, qui affirmait que le Noir n’avait aucun droit que l’homme blanc était tenu de respecter.

La première fois que j’ai entendu que le racisme avait été inventé après l’esclavage j’ai été choqué. J’avais toujours cru que c’était le racisme qui avait provoqué la traite négrière. Mais non, c’est l’inverse. C’est pour justifier après coup l’esclavage que le racisme a été inventé.

#2 | Le problème d’avoir des gens qui ne voient pas les couleurs ou se proclament contre le racisme en condamnant toute action antiraciste

Photo by Ryoji Iwata on Unsplash

Les blancs n’investissent pas assez de temps pour se désintoxiquer de leur racisme, et ça fait partie du racisme

Les Blancs, il faut le dire franchement, ne déploient pas un effort massif similaire pour se rééduquer et sortir de leur ignorance raciale. C’est un aspect de leur sentiment de supériorité qui fait que les Blancs d’Amérique pensent qu’ils ont si peu à apprendre.

La réalité d’un investissement substantiel pour aider les Noirs à entrer dans le vingtième siècle, à s’adapter à des voisins noirs et à une véritable intégration scolaire, est encore un cauchemar pour beaucoup trop d’Américains blancs

Dire que nous sommes tous égaux sans jamais proposer les chemins concrets vers cette égalité crée de la rancoeur

Ce sont les causes les plus profondes des tensions contemporaines entre les races. Le langage vague et facile sur l’égalité, les résolutions résonnantes sur la fraternité sont plaisantes à entendre, mais pour le Noir, il y a un manque de crédibilité qu’il ne peut ignorer. Il se souvient qu’à chaque avancée modeste, la population blanche s’empresse de soulever l’argument selon lequel le Noir est allé assez loin. Chaque pas en avant est accompagné d’une tendance constante au backlash.

Cette analyse est nécessairement générale. Il serait tout à fait injuste de ne pas reconnaître une minorité de Blancs qui souhaitent réellement une égalité authentique. Leur engagement est réel, sincère, et s’exprime par mille actes. Mais ils sont contrebalancés à l’autre bout du poteau par les ségrégationnistes non régénérés qui ont déclaré que la démocratie ne vaut pas la peine d’être vécue si elle implique l’égalité.

La grande majorité des Américains sont tiraillés entre ces deux attitudes opposées. Ils sont mal à l’aise face à l’injustice mais ne sont pas encore prêts à payer un prix important pour l’éradiquer.

(…)

La grande majorité des Américains est tiraillée entre ces deux attitudes opposées. Ils se sentent mal à l’aise face à l’injustice, mais ne sont pas encore prêts à payer le prix fort pour l’éradiquer.

Prôner l’égalité sans prôner de mesures contraignantes concrètes est une escroquerie

L’idée que les appels éthiques et la persuasion suffisent à rendre la justice est tout aussi fallacieuse. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas faire d’appels éthiques. Cela signifie simplement que ces appels doivent être étayés par une certaine forme de pouvoir coercitif constructif.

Les personnes qui proclament aimer tout le monde, sans aspirer à la justice concrète pour tout le monde sont plus proches des racistes assumés que des Noirs

Le blanc progressiste doit voir que le Noir a besoin non seulement d’amour mais aussi de justice. Il ne suffit pas de dire : “Nous aimons les Noirs, nous avons beaucoup d’amis noirs.” Ils doivent exiger la justice pour les Noirs. L’amour qui ne se soucie pas de justice n’est pas un amour du tout.

Les limites de l’antiracisme blanc

Le citoyen blanc indigné avait été sincère lorsqu’il avait arraché les fouets aux shérifs sudistes et leur avait interdit toute nouvelle cruauté. Mais une fois cette tâche accomplie dans une certaine mesure, les émotions qui l’avaient momentanément enflammé se sont dissipées. Les Américains blancs laissèrent le Noir à terre et, en nombre dévastateur, s’éloignèrent en compagnie de l’agresseur.

Il semble que le ségrégationniste blanc et le citoyen blanc ordinaire aient plus en commun l’un avec l’autre qu’avec le Noir. Lorsque les Noirs ont cherché la deuxième phase, la réalisation de l’égalité, ils ont constaté que nombre de leurs alliés blancs avaient discrètement disparu.

Les Noirs d’Amérique avaient pris au mot le président, la presse et le clergé lorsqu’ils parlaient en termes généraux de liberté et de justice. Mais l’absence de brutalité et le mal non régénéré ne sont pas équivalents à la présence de la justice. Interdire le meurtre n’est pas la même chose que d’ordonner la fraternité.

Ce passage m’a eu l’air extrêmement d’actualité même si le sujet décrit ne l’est plus. Aujourd’hui l’époque du fouet sudiste semble vraiment lointaine. Encore plus que quand King écrit ces lignes.

Mais le concept est intact : les personnes ont une limite à leur opposition au racisme. Et, une fois que la partie qui les indigne a disparu ils se rangent du côté de l’oppresseur.

La plupart des gens cherchent à adoucir l’oppression et non à la faire disparaître.

C’est plus dur d’affronter l’inaction des progressistes blancs que l’action du Ku Klux Klan

Au cours des dernières années, de nombreux Noirs ont eu le sentiment que leur adversaire le plus gênant n’était pas le raciste évident du Ku Klux Klan ou de la John Birch Society, mais le progressiste blanc qui est plus dévoué à “l’ordre” qu’à la justice, qui préfère la tranquillité à l’égalité.

En un sens, le progressiste blanc a été victime de la même ambiguïté qui a toujours fait partie de notre patrimoine national. Même dans les domaines où les progressistes ont une grande influence — les syndicats, les écoles, les églises et la politique — la situation des Noirs n’est guère meilleure que dans les domaines où ils ne sont pas dominants.

C’est pourquoi de nombreux libéraux sont tombés dans le piège de considérer la déségrégation (l’intégration) en termes purement esthétiques, où un nombre symbolique de Noirs ajoute de la couleur à une structure de pouvoir dominée par les Blancs.

Ils disent : “Notre syndicat est intégré de fond en comble, nous avons même un Noir au conseil d’administration” ; ou “Notre quartier fait de grands progrès en matière d’intégration des logements, nous avons maintenant deux familles noires” ; ou “Notre université n’a aucun problème d’intégration, nous avons un professeur noir et même un président de département noir”.

L’ignorance de ses propres préjugés

Souvent, les progressistes blancs ne sont pas conscients de leurs préjugés latents. Il y a quelque temps, je suis tombé sur une femme blanche qui tenait à discuter avec moi du problème racial. Elle me dit : “Je suis très progressiste. Je n’ai aucun préjugé à l’égard des Noirs. Je crois que les Noirs devraient avoir le droit de vote, le droit à un bon emploi, le droit à une maison décente et le droit d’avoir accès aux logements publics.

Bien sûr, je dois avouer que je ne voudrais pas que ma fille épouse un Noir”. Cette dame ne pouvait pas voir que son refus d’accepter les mariages mixtes niait sa prétention à un véritable progressisme. Elle ne voyait pas que son refus impliquait le sentiment que sa fille avait une nature pure et supérieure qui ne devait pas être contaminée par la nature impure et inférieure du Noir.

#3 | Comment compenser les effets du racisme, la question de l’affirmative action

Photo by Elena Mozhvilo on Unsplash

C’est un sujet compliqué en France. Surtout qu’on traduit très mal affirmative action par discrimination positive.

Il faut une compensation temporaire, même si ça nous semble inégalitaire

Il est toutefois important de comprendre que donner à un homme ce qui lui est dû peut souvent signifier lui accorder un traitement spécial. Je suis conscient du fait qu’il s’agit d’un concept gênant pour de nombreux libéraux, car il est en contradiction avec leur idéal traditionnel d’égalité des chances et de traitement des personnes en fonction de leurs mérites individuels.

Mais c’est une ère qui exige une nouvelle réflexion et la réévaluation de vieux concepts. Une société qui a fait quelque chose de spécial contre le Noir pendant des centaines d’années doit maintenant faire quelque chose de spécial pour lui, afin de lui donner les moyens de concourir sur une base juste et égale. Le libéral blanc doit se débarrasser de l’idée qu’il peut y avoir une transition sans heurts de l’ancien ordre de l’injustice au nouvel ordre de la justice.

L’égalité ne va pas arriver mécaniquement en attendant

Deux choses sont claires pour moi, et j’espère qu’elles le sont pour les progressistes blancs. La première est que le Noir ne peut pas s’émanciper par la rébellion violente. L’autre est que le Noir ne peut pas obtenir l’émancipation en attendant passivement que la population blanche la lui accorde volontairement. Le Noir n’a pas obtenu un seul droit en Amérique sans une pression et une agitation persistantes. Aussi lamentable que cela puisse paraître, le Noir est maintenant conscient que l’Amérique blanche ne lui accordera jamais l’égalité des droits si elle n’est pas contrainte de le faire.

On part de trop loin…

Mais en filigrane, l’ambivalence de l’Amérique blanche à l’égard des Noirs persistait douloureusement. Malgré toutes les belles promesses que Douglass voyait dans la Proclamation d’émancipation, il s’aperçut rapidement qu’elle ne laissait au Noir qu’une liberté abstraite.

Les quatre millions d’esclaves nouvellement libérés se sont retrouvés sans pain à manger, sans terre à cultiver, sans abri pour se couvrir la tête. C’était comme libérer un homme injustement emprisonné pendant des années et, après avoir découvert son innocence, le renvoyer sans ticket de bus pour rentrer chez lui, sans costume pour couvrir son corps, sans compensation financière pour expier ses longues années d’incarcération et l’aider à s’intégrer dans la société ; le renvoyer avec pour seule affirmation : “Maintenant, tu es libre” : “Maintenant tu es libre”. Quelle plus grande injustice la société pourrait-elle commettre ?

Toutes les voix morales de l’univers, tous les codes de la bonne jurisprudence s’élèveraient pour condamner un tel acte. Pourtant, c’est exactement ce que l’Amérique a fait au Noir. En 1863, le Noir s’est vu accorder une liberté abstraite exprimée dans une rhétorique lumineuse. Mais dans une économie agricole, il n’a pas reçu de terres pour concrétiser sa libération.

Après la guerre, le gouvernement a accordé gratuitement aux colons blancs des millions d’hectares de terres dans l’Ouest, offrant ainsi aux nouveaux agriculteurs blancs venus d’Europe un plancher économique. Mais dans le même temps, sa plus ancienne paysannerie, le Noir, s’est vu refuser tout ce qu’il était en droit d’attendre, à part un statut juridique qu’il ne pouvait ni utiliser, ni consolider, ni même défendre.

Comme l’a dit Frederick Douglass, “l’émancipation a donné au Noir la liberté de ne pas souffrir de la faim, la liberté d’être en hiver sous les pluies du ciel. L’émancipation, c’était la liberté et la famine en même temps”.

#4 | Non, les antiracistes ne sont pas les vrais racistes

Photo by Gemma Evans on Unsplash

Ce n’est pas la faute de l’antiracisme s’il y a du racisme

Il est important que le progressiste comprenne que la personne opprimée qui s’agite pour ses droits n’est pas le créateur de la tension. Elle ne fait qu’extérioriser les tensions cachées qui existent déjà. L’été dernier, lorsque nous avons organisé nos marches pour le logement libre à Chicago, nombre de nos amis progressistes blancs ont poussé des cris d’horreur et de consternation : “Vous créez de la haine et de l’hostilité au sein de la population blanche” : “Vous créez de la haine et de l’hostilité dans les communautés blanches dans lesquelles vous marchez. Vous ne faites que susciter une réaction négative de la part des Blancs”.

Je n’ai jamais pu comprendre cette logique. Ils n’ont pas réalisé que la haine et l’hostilité étaient déjà présentes de manière latente ou inconsciente.

Nos marches ne faisaient que les faire remonter à la surface. Comme il serait étrange de condamner un médecin qui, grâce à son travail acharné et à l’ingéniosité de ses compétences médicales, a découvert un cancer chez un patient. Serait-on assez ignorant pour dire qu’il a provoqué le cancer ?

Grâce aux compétences et à la discipline de l’action directe, nous révélons l’existence d’un dangereux cancer de la haine et du racisme dans notre société. Nous n’avons pas causé le cancer, nous l’avons simplement exposé. Ce n’est que par ce type d’exposition que le cancer pourra être guéri.

Le progressiste blanc engagé doit comprendre la nécessité de disposer d’antidotes puissants pour lutter contre la maladie du racisme. Le progressiste blanc doit intensifier son soutien à la lutte pour la justice raciale plutôt que de la désamorcer. Il serait tragique d’abandonner et de se retirer de la lutte. Le besoin d’engagement est aujourd’hui plus grand que jamais.

Il est vrai que des paroles hostiles sont prononcées par quelques Noirs à l’encontre de tous les Blancs, et que certains voudraient exclure complètement les Blancs du mouvement. Mais il s’agit là d’une très petite minorité de la communauté noire. La plupart des Noirs restent attachés au principe de la coopération entre Blancs et Noirs.

Il est bon de le rappeler. Aujourd’hui encore j’ai lu qu’il y aurait moins de racisme s’il y avait moins de “wokes”. Que c’est le fait de parler du racisme qui l’alimente en réaction.

#5 | Sur la situation des “banlieues”

Photo by Ali Arif Soydaş on Unsplash

Dans le texte original il parle de ghetto. J’ai remplacé ici par “banlieue”. C’est discutable car les contextes ne sont plus les mêmes. Mais j’ai la sensation que c’est ce qui retraduit le mieux la pensée de King.

Il devrait y avoir davantage de violences dans les banlieues

Ce qui est stupéfiant dans le ghetto, c’est plutôt que si peu de Noirs aient fait des émeutes. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Noirs américains n’ont jamais lancé un cocktail Molotov ou allumé une allumette pour se conformer à la maxime “Burn, baby, burn”.

Ce qui est encore plus étonnant, c’est que tant d’habitants des ghettos ont conservé l’espoir au milieu de conditions désespérées. Contrairement au mythe véhiculé par de nombreux Américains blancs, le ghetto n’est pas une unité monolithique de drogués, d’alcooliques, de prostituées et de mères célibataires.

(…)

Il y a des églises dans le ghetto ainsi que des bars. Il y a des familles stables dans le ghetto ainsi que des illégitimités. Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes du ghetto n’ont jamais de démêlés avec la justice. On nous parle constamment des désertions et des illégitimités qui ont lieu dans le ghetto, mais on oublie souvent la grande majorité des familles qui sont restées unies au fil des ans.

En dépit de l’adversité, la majorité des Noirs du ghetto continuent à vivre, à se battre, à espérer. C’est cela le miracle. Être un Noir en Amérique, c’est souvent espérer contre toute attente. Cela signifie mener quotidiennement une double bataille — une bataille contre la pathologie intérieure et une bataille contre l’oppression extérieure.

#6 | La fameuse doctrine de la non-violence pendant les manifestations

Photo by Christian Wiediger on Unsplash

J’ai lu des militants de l’époque qui étaient en faveur de la violence défensive durant les manifestations organisées. Je suis donc en désaccord avec Martin Luther King sur la question.

Car, il faut replacer dans le contexte : nous sommes aux USA. Les gens sont armés.

Et, il y a des situations où Martin Luther King peut continuer précisément parce que des militants armés le protègent.

Pire, il y a des situations où l’intervention du mouvement non violent a empiré dramatiquement les choses car le Klan s’est mis à tirer sur la foule en sachant qu’elle ne répondrait pas.

Mais je trouve fou de voir à quel point la pensée de King sur le sujet n’est absolument pas celle qu’on m’a enseigné en classe. À l’école j’avais l’impression que c’était une sorte de Jésus Noir. Et qu’il était pacifique en toutes circonstances.

Mais non, Martin Luther King affirme le droit de se défendre avec un révolver quand on est individuellement attaqué. Ça reste un américain. Ce qu’il conteste c’est le fait d’utiliser la violence physique dans le cadre d’un mouvement organisé.

C’est très différent.

Impopulaire ou pas, c’est la bonne voie

Je ne suis pas intéressé par le rôle de leader consensuel. Je refuse de déterminer ce qui est juste en faisant un sondage Gallup sur les tendances de l’époque.

Individuellement les Noirs sont légitimes à se défendre avec leur armes quand ils sont attaqués

Peu de personnes ont suggéré que les Noirs ne devraient pas se défendre en tant qu’individus lorsqu’ils sont attaqués. La question n’est pas de savoir si l’on doit utiliser son arme quand sa maison est attaquée, mais s’il est tactiquement sage d’utiliser une arme quand on participe à une manifestation organisée.

Dans le contexte d’une manifestation, la violence physique est inefficace

L’une des principales questions que le Noir doit affronter dans sa quête de liberté est celle de l’efficacité. Quel est le moyen le plus efficace d’atteindre le but recherché ? Si une méthode n’est pas efficace, quelle que soit la quantité de fumée qu’elle dégage, elle est l’expression de la faiblesse et non de la force. Or, le fait est clair et inexorable : toute tentative du Noir américain de renverser son oppresseur par la violence est vouée à l’échec.

Nous n’avons pas besoin que le président Johnson nous le dise en rappelant aux émeutiers noirs qu’ils sont dix fois moins nombreux qu’eux. Les efforts courageux de nos propres frères insurgés, tels que Denmark Vesey et Nat Turner, devraient nous rappeler éternellement que la rébellion violente est vouée à l’échec dès le départ.

Dans une guerre violente, il faut être prêt à affronter le fait qu’il y aura des milliers de victimes. Quiconque mène une rébellion violente doit être prêt à faire une évaluation honnête des pertes possibles pour une population minoritaire confrontée à une majorité riche et bien armée, avec une extrême droite fanatique qui se réjouirait d’exterminer des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants noirs.

C’est une question tactique simple

Dans une situation raciale violente, la structure du pouvoir peut faire appel à la police locale, aux troupes de l’État, à la police nationale et, enfin, à l’armée, qui sont toutes majoritairement blanches. En outre, peu de révolutions violentes, voire aucune, ont réussi si la minorité violente ne bénéficiait pas de la sympathie et du soutien de la majorité non résistante.

La rébellion violente est impossible dans le contexte des forces en présence

Quiconque mène une rébellion violente doit être prêt à évaluer honnêtement les pertes possibles pour une population minoritaire confrontée à une majorité riche et bien armée, dont les membres de l’aile droite fanatique seraient ravis d’exterminer des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants noirs.

Comment fixer la limite entre agression et défense ?

il est dangereux d’organiser un mouvement autour de l’autodéfense. La ligne de démarcation entre la violence défensive et la violence agressive est très mince. Dès qu’un programme de violence est énoncé, même pour l’autodéfense, l’atmosphère est remplie de discours sur la violence, et les mots qui tombent dans des oreilles non averties peuvent être interprétés comme une invitation à l’agression.

Pour autant il faut dénoncer l’hypocrisie du gouvernement qui nous applaudit dans la non-violence

Les partisans du Black Power sont désenchantés par les incohérences de la posture militariste de notre gouvernement. Au cours de la dernière décennie, ils ont vu l’Amérique applaudir la non-violence chaque fois que les Noirs l’ont pratiquée. Ils l’ont vue être louée dans les mouvements de sit-in de 1960, dans les Freedom Rides de 1961, dans le mouvement d’Albany de 1962, dans le mouvement de Birmingham de 1963 et dans le mouvement de Selma de 1965.

Mais ensuite, ces mêmes jeunes hommes et femmes noirs ont vu l’Amérique envoyer de jeunes hommes noirs brûler des Vietnamiens au napalm, massacrer des hommes, des femmes et des enfants ; et ils se demandent quel genre de nation applaudit la non-violence lorsque des Noirs affrontent des Blancs dans les rues des États-Unis, mais applaudit ensuite la violence, les incendies et la mort lorsque ces mêmes Noirs sont envoyés dans les champs du Vietnam.

#7 | Sa fameuse opposition (et trop souvent caricaturée) avec le mouvement Black Power

Photo by Domo . on Unsplash

Dans la même lignée, il pose les bases de son opposition avec l’idéologie Black Power. Mais là encore c’est pas le gentil Noir contre les méchants Noirs. Il nuance, cherche à convaincre et ne diabolise jamais l’idéologie Black Power.

D’ailleurs ça commence par :

Le Black Power n’est pas un racisme antiblanc

Le Black Power est une croyance implicite et souvent explicite dans le séparatisme noir. Notez que je ne parle pas de racisme noir. Il est inexact de qualifier le Black Power de racisme à l’envers, comme certains l’ont fait récemment.

Le racisme est une doctrine qui prône l’infériorité congénitale et l’inutilité d’un peuple. Bien que quelques partisans du Black Power aient, dans des moments d’amertume, fait des déclarations sauvages qui se rapprochent de ce type de racisme, les principaux partisans du Black Power n’ont jamais prétendu que l’homme blanc n’avait pas de valeur innée.

Pourtant, derrière la préoccupation légitime et nécessaire du Black Power pour l’unité du groupe et l’identité noire se cache la croyance qu’il peut y avoir une voie Noire distincte vers le pouvoir et l’épanouissement. Peu d’idées sont plus irréalistes. Il n’y a pas de salut pour le Noir dans l’isolement. L’une des principales affirmations du Black Power est l’appel à la mobilisation de la force politique des Noirs.

Le Black Power est voué à l’échec pour une raison démographique et numérique

Mais il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour constater que le pouvoir politique effectif des Noirs ne peut résulter du séparatisme. Certes, il existe dans le pays des villes et des comtés où les Noirs sont majoritaires, mais ils sont si peu nombreux qu’en se concentrant uniquement sur eux, la grande majorité des Noirs resterait en dehors du courant principal de la vie politique américaine.

Sur les quatre-vingts comtés de l’Alabama, l’État où le SNCC a cherché à créer un parti entièrement noir, seuls neuf ont une majorité de Noirs. Même si les Noirs pouvaient contrôler chacun de ces comtés, ils n’auraient que peu d’influence sur l’ensemble de la politique de l’État et ne pourraient guère améliorer les conditions de vie dans les grands centres de population noire que sont Birmingham, Mobile et Montgomery.

Il y a encore relativement peu de districts congressionnels dans le Sud qui ont une majorité Noire telle que les candidats noirs pourraient être élus sans l’aide des Blancs. Est-il plus judicieux de se concentrer sur l’élection de deux ou trois députés noirs dans des circonscriptions à majorité noire ou de se concentrer sur l’élection de quinze ou vingt députés noirs dans des circonscriptions du Sud où une coalition d’électeurs modérés noirs et blancs est possible ?

En outre, tout programme qui élit tous les candidats noirs simplement parce qu’ils sont noirs et rejette tous les candidats blancs simplement parce qu’ils sont blancs est politiquement peu judicieux et moralement injustifiable. Il est vrai que dans de nombreuses régions du Sud, les Noirs doivent continuer à élire des Noirs pour être effectivement représentés.

Le pouvoir noir seul n’est pas une meilleure assurance contre l’injustice sociale que le pouvoir blanc. Les politiciens Noirs peuvent être aussi opportunistes que leurs homologues blancs s’il n’y a pas d’électeurs informés et déterminés à exiger des réformes sociales. Ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’une coalition de Noirs et de Blancs progressistes qui s’efforceront de faire en sorte que les deux grands partis répondent véritablement aux besoins des pauvres. Le Black Power n’envisage ni ne souhaite un tel programme.

Le Black Power ne pourra jamais suffire, même appliqué intégralement

Nous avons beau mettre nos ressources en commun et “acheter noir”, cela ne peut pas créer la multiplicité de nouveaux emplois et fournir le nombre de maisons à bas prix qui sortiront le Noir de la dépression économique causée par des siècles de privations. Nos ressources ne peuvent pas non plus fournir une éducation intégrée de qualité. Tout cela nécessite des milliards de dollars que seule une alliance des forces progressistes, syndicales et de défense des droits civiques peut stimuler.

En bref, le problème des Noirs ne peut être résolu que si l’ensemble de la société américaine prend un nouveau virage vers une plus grande justice économique. Dans une société multiraciale, aucun groupe ne peut s’en sortir seul. C’est un mythe de croire que les Irlandais, les Italiens et les Juifs — les groupes ethniques que les partisans du Black Power citent pour justifier leur point de vue — ont accédé au pouvoir par le séparatisme. Il est vrai qu’ils se sont serré les coudes.

Mais leur unité de groupe a toujours été élargie par des alliances avec d’autres groupes tels que les machines politiques et les syndicats. Pour réussir dans une société pluraliste, et souvent hostile, le Noir a évidemment besoin d’une force organisée, mais cette force ne sera efficace que si elle est consolidée par des alliances constructives avec le groupe majoritaire.

Le Noir Américain n’est pas un Africain. Il n’est pas non plus un Blanc.

Le Noir est l’enfant de deux cultures — l’Afrique et l’Amérique. Le problème est que, dans leur quête de plénitude, trop de Noirs ne cherchent à embrasser qu’un seul aspect de leur nature.

Certains, cherchant à rejeter leur héritage, ont honte de leur couleur, de l’art et de la musique noirs, et déterminent ce qui est beau et bon selon les normes de la société blanche. Ils finissent par être frustrés et sans racines culturelles.

D’autres cherchent à rejeter tout ce qui est américain et à s’identifier totalement à l’Afrique, jusqu’à porter des vêtements africains. Mais cette approche conduit également à la frustration, car le Noir américain n’est pas un Africain.

La vieille synthèse hégélienne offre toujours la meilleure réponse à de nombreux dilemmes de la vie. Le Noir américain n’est ni totalement africain, ni totalement occidental. Il est afro-américain, un véritable hybride, une combinaison de deux cultures.

#8 | Sur l’antisémitisme Noir

Photo by Kaysha on Unsplash

Sujet épineux et délicat. King l’aborde sans concession. Je n’ai pris qu’un seul extrait mais il développe beaucoup plus. Ça résonne particulièrement alors que certaines personnes reprennent ce chemin funeste derrière Dieudonné ou Kanye West.

Certains Noirs entretiennent un mythe persistant selon lequel les Juifs d’Amérique ont atteint la mobilité et le statut social uniquement parce qu’ils avaient de l’argent. Il serait malvenu d’ignorer cette erreur pour de nombreuses raisons. Dans un sens négatif, elle encourage l’antisémitisme et surestime la valeur de l’argent. Dans un sens positif, la vérité complète révèle une leçon utile.

Les Juifs ont progressé parce qu’ils possédaient une tradition d’éducation combinée à une action sociale et politique. La famille juive mettait l’éducation au centre de ses préoccupations et se sacrifiait pour l’obtenir. Le résultat était bien plus qu’un apprentissage abstrait.

En unissant l’action sociale à la compétence éducative, les Juifs sont devenus extrêmement efficaces dans la vie politique. Les Juifs qui sont devenus avocats, hommes d’affaires, écrivains, artistes, dirigeants syndicaux et médecins ne se sont pas exclusivement consacrés à leur métier. Ils menaient une vie active dans les cercles politiques, apprenant les techniques et les arts de la politique.

Ce n’était pas non plus seulement les riches qui étaient impliqués dans l’action sociale et politique. Pendant un demi-siècle, des millions de Juifs sont restés relativement pauvres, mais ils étaient loin d’être passifs dans les domaines sociaux et politiques. Ils vivaient dans des foyers où la politique était un mot familier. Ils étaient profondément impliqués dans les partis radicaux, les partis libéraux et les partis conservateurs — ils en ont formé un grand nombre.

Très peu de Juifs ont sombré dans le désespoir et l’évasion, même lorsque la discrimination a envahi l’esprit et a rongé leur esprit d’initiative. Leur radeau de sauvetage dans la mer du découragement était l’action sociale.

Sans sous-estimer les différences énormes entre les expériences des Noirs et des Juifs, la leçon de l’engagement massif des Juifs dans l’action sociale et politique et dans l’éducation est digne d’être imitée.

#9 | Une prédiction ratée

Photo by Nigel Tadyanehondo on Unsplash

Pour moi le passage qui a le moins bien vieilli c’est celui où il se dit que les classes populaires blanches vont finir par faire passer leur intérêt économique avant leur intérêt racial.

Pour l’instant c’est le contraire qui se passe.

Le racisme est un mal tenace, mais il n’est pas immuable. Des millions de Blancs défavorisés sont en train de réfléchir à la contradiction entre ségrégation et progrès économique. La suprématie blanche peut nourrir leur ego mais pas leur estomac. Ils ne souffriront pas de la faim et ne renonceront pas à la société d’abondance dans le seul but de conserver leur ascendant racial.

#10 | Martin Luther King is the new Benoît Hamon

Photo by Daniel Öberg on Unsplash

On est vers la fin du livre et King s’ouvre à d’autres sujets. Des sujets connexes mais liés quand même.

Le revenu universel est une nécessité

Je suis maintenant convaincu que l’approche la plus simple se révélera la plus efficace — la solution à la pauvreté est de l’abolir directement par une mesure maintenant largement discutée : le revenu garanti.

(…)

Il n’y a rien d’autre que la myopie qui nous empêche de garantir un revenu annuel minimum — et vivable — à chaque famille américaine.

Le revenu universel ne peut pas être un RSA amélioré

Deux conditions sont indispensables pour que le revenu garanti fonctionne comme une mesure progressiste cohérente. Premièrement, il doit être fixé au revenu médian de la société, et non aux niveaux de revenus les plus bas.

Garantir un revenu au niveau plancher ne ferait que perpétuer les normes d’aide sociale et figer les conditions de pauvreté dans la société.

Deuxièmement, le revenu garanti doit être dynamique ; il doit automatiquement augmenter à mesure que le revenu social total s’accroît. S’il devait rester statique dans des conditions de croissance, les bénéficiaires subiraient un déclin relatif.

Bonus : Martin fait du développement personnel

On est vraiment dans les toutes dernières pages, et King écrit une phrase qui m’a fait sourire. Parce qu’elle est totalement vraie mais qu’elle pourrait très bien figurer dans un livre lambda de développement personnel :

La procrastination est toujours le plus grand voleur de temps.

D’ailleurs ça rend mieux avec un visuel :

Hey, attends :D

Tu as aimé ce que tu viens de lire ? Clique ici et laisse ton email pour avoir du contenu de moi tous les jours.

--

--

Nicolas Galita
Dépenser, repenser

Tu as aimé ce que tu as lu ? Ce n’était qu’un amuse-bouche. Je partage bien plus de contenu ici : https://nicolasgalita.substack.com