Martin Luther King n’est pas le bisounours que tu crois

Retour sur un militant qui s’est toujours inscrit dans la radicalité

Nicolas Galita
Dépenser, repenser
32 min readSep 8, 2020

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Quand on imagine Martin Luther King, on imagine en fait sa version Disney. Une sorte de Gandhi (lui-même disneyfié) qui criait : “Arrêtez ! Arrêtez ! Arrêtez d’être méchants, il faut faire la paix”.

D’ailleurs, quand on veut faire taire un militant antiraciste, on lui dit “t’es pas assez comme Martin Luther King”

Martin Luther King s’en désolait lui-même. Vers la fin de sa vie, il s’est opposé à la Guerre contre le Vietnam. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquels il était détesté par la majorité des américains. Oui…détesté. À sa mort, 66% des américains déclaraient avoir une opinion négative de lui.

Sur le Vietnam il disait donc :

On me demande “pourquoi toi ?”, “ce n’est pas ton sujet”, “ne dessers-tu pas ta cause ?”

Quand j’entends une telle question, je suis profondément attristé car elle signifie que ceux qui la posent ne m’ont jamais vraiment connu, ni moi ni mon engagement, ni ma vocation. En fait, cette question suggère qu’ils ne connaissent même pas le monde dans lequel ils vivent.

Mais n’allons pas trop vite. Revenons au commencement. Comment la perception de Martin Luther King est-elle passée de figure radicale à un bisounours noir ?

Tout ce que je vais dire est vérifiable facilement. Il n’y a pas une grande falsification qui demanderait de connaître des initiés.

Non, la manipulation est faite en douceur, en plein jour. De la même manière qu’on peut facilement vérifier que les français de l’époque percevaient que l’union soviétique a joué un plus grand rôle à la libération que les américains… j’ai simplement commencé par aller sur la page Wikipédia de Martin Luther King.

De là, j’ai été regarder les sources proposées. Dont notamment son livre. Car oui, Martin Luther King a écrit un livre, un vrai. Je n’en revenais pas mes yeux.

D’ailleurs, à chaque fois que je le dis autour de moi, j’observe une réaction de surprise. Quand je disais que je lisais un livre de Martin Luther King, on comprenait un livre sur Martin Luther King. Je devais insister en disant “non…pas un livre qui parle de lui mais bien un livre écrit par lui”.

Comment ça se fait qu’on ignore quelque chose d’aussi fondamental ? Moi-même je l’ignorais avant d’éplucher la page Wikipédia. J’ai lu ce livre. Ce n’est pas un détail : on y trouve les fondements de la pensée de Martin Luther King.

Je vais donc puiser la suite dans ses propres écrits et paroles plutôt que de laisser d’autres personnes le décrire.

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#1 | La version Disney est une construction

Dépeindre Martin Luther King comme un “rêveur” est une manière de désamorcer son message. Plutôt que de le combattre frontalement, on dénature sa position et on dit qu’on est d’accord avec lui.

On a surtout retenu de Martin Luther King le discours qu’il a prononcé à l’issue de la marche sur Washington, le 28 août 1963.

Et c’est en particulier l’énonciation de son «rêve» qui a marqué les esprits, son rêve de voir ses «quatre jeunes enfants vivre un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés par la couleur de leur
peau mais à la mesure de leur caractère».

Le fait de «rêver» entretient l’image d’une figure douce, et surtout passive. Comme s’il se plaçait dans l’attente du rétablissement de la justice qui ne bouleverserait pas l’establishment.

Mais la non-violence n’est pas la passivité ni l’absence d’idées subversives.

I have a dream : la manipulation

Pire que ça, on oublie de rappeler que ce discours a été fait sous influence. Le président Kennedy a demandé explicitement aux 18 personnes qui ont fait un discours ce jour-là, de tenir un discours plus modéré que d’habitude.

Oui … on a demandé à Luther King d’alléger son discours et…il a accepté. S’il était la version Disney qu’on imagine, pourquoi le président des États-Unis aurait-il ressenti le besoin de lui demander de modérer son discours ?

Martin Luther King et les autres figures éminentes de la manifestation ont convenu d’effectuer des discours pacifiques et de ne pas inciter à la désobéissance civile, que prônait le Mouvement des droits civiques.

Parce que oui, la désobéissance civile non-violente était perçue comme une position radicale à l’époque. Pour autant, même avec cette injonction, on retrouve certains éléments de radicalité dans le discours. À commencer par sa métaphore du chèque sans provision où il affirme que l’Amérique a une dette envers les noirs. Elle a promis la justice … mais c’était un chèque en bois.

Il enchaîne en rajoutant :

[Aujourd’hui] n’est pas une fin mais un commencement. Il n’y aura plus ni repos, ni tranquillité en Amérique tant que le Noir n’aura pas obtenu ses droits de citoyen. Les tourbillons de la révolte continueront d’ébranler les fondations de notre nation. Jusqu’au jour où naîtra l’aube brillante de la justice.

Cette prophétie est désormais accomplie. Elle est à mille lieux de la version bisounours de Martin Luther King. Ce qu’il annonce ici ce sont des émeutes.

Martin Luther King était détesté de son vivant

Photo by Markus Spiske on Unsplash

Aujourd’hui, 96% des américains ont une image positive de Martin Luther King. Ça paraît évident. C’est devenu une figure consensuelle. Même en France, tout le spectre politique lui rend hommage.

Même Eric Ciotti… qui est en temps normal un opposant identifié du combat antiraciste. C’est dire…

J’appelle ça l’effet Charles de Gaulle. Ou l’effet Jacques Chirac. Quand une légende dorée se construit autour d’une personne. Charles de Gaulle avait une opposition extrêmement violente. On l’accusait notamment à gauche d’avoir fait un coup d’état. Quelques décennies plus tard…même la gauche rend hommage à De Gaulle.

Car, s’il fait désormais consensus, Martin Luther King avait en 1966, dans un sondage Gallup, 63% d’opinions négatives.

Pour bien mesurer ce que ça veut dire, Donald Trump vient d’atteindre les 61% d’opinions négatives dans un sondage Gallup. C’est presque son record. Son record est, ça ne s’invente pas… 63%.

Voilà qui donne une idée de ce que veut dire “Martin Luther King avait 63% d’opinions négatives”. On parle de quelqu’un qui est vraiment détesté. D’ailleurs il a lui-même réagi au sondage :

Être un leader consensuel ne m’intéresserait pas. Je refuse de décider de ce qui est juste en me fondant sur les sondages Gallup des tendances du moment.

Sans compter qu’il recevait des menaces de mort. Régulièrement. Ça ne s’arrêtait d’ailleurs pas aux menaces : on a essayé plusieurs fois de l’assassiner. Une fois avec succès.

J’en profite pour dire qu’il aurait eu 79 ans le jour de l’élection de Barack Obama. Parfois on oublie que Martin Luther King n’est pas une figure d’un passé si lointain. Valéry Giscard d’Estaing est encore vivant au moment où j’écris ces lignes. Il est né trois ans AVANT Martin Luther King.

La stratégie de la non-violence n’était pas passive. Elle n’était pas non plus un appel à se laisser faire.

Photo by Oliver Cole on Unsplash

Premièrement, Martin Luther King prône la non-violence physique dans les actions de lutte. Tous les éléments de la phrase sont importantes. Il était violent verbalement. Quand il parle de non-violence, il parle bien de violence physique.

Ensuite, il circonscrit son propos à la lutte. Il précise, dans son livre, qu’il n’encourage absolument pas les noirs à se laisser lyncher. Il dit sans détour qu’un noir peut se défendre individuellement avec une arme à feu. N’oublions pas qu’il est américain avant d’être Martin Luther King. Ce qu’il refuse, en revanche, c’est l’utilisation d’armes à feu dans un mouvement collectif.

D’abord pour des raisons tactiques : il rappelle que les noirs sont une minorité et qu’ils seraient donc écrasés dans une lutte armée. Et ensuite seulement pour des raisons morales.

D’autre part, il refuse de condamner aveuglément les émeutes et les pillages. Il explique que les émeutes sont le langage des opprimés et que ce qui est étonnant c’est plutôt qu’il y ait aussi peu d’émeutes.

Enfin, la non-violence nous apparaît aujourd’hui comme quelque chose de tranquille. Ça ne l’était pas. D’ailleurs, cette méthode a régulièrement été qualifiée d’extrémiste par des blancs progressistes (on ne parle pas de l’extrême-droite).

Nous sommes à des années-lumières du concept de tendre l’autre joue (ou plutôt de sa version caricaturée, car Jésus non plus ne dit pas qu’il faille être passif). King le formule en ces mots :

La liberté n’est pas gagnée par une acceptation passive de la souffrance. La liberté est gagnée par un combat contre la souffrance.

#2 | Il a été combattu par des blancs progressistes. Pas uniquement par le Ku Klux Klan.

Encore une fois : King n’était pas une figure consensuelle de son vivant.

Lettre ouverte pour l’unité

En 1963, Martin Luther King est mis en prison car il enfreint un arrêté qui interdit les manifestations à Birmingham, Alabama, où il organisait des actions directes.

Huit hommes d’église rédigent alors dans le journal une lettre ouverte pour dénoncer Martin Luther King. Cette lettre s’appelle “un appel à l’unité”

(Tiens, tiens, encore la sacro-sainte unité dont on nous dit aujourd’hui que c’est ce que Martin Luther King voulait)

En résumé, cette lettre affirme que la lutte contre la ségrégation doit passer uniquement par les tribunaux. En effet, on ne peut pas enfreindre la loi et la loi dit que ces manifestations sont interdites.

Ils enchaînent en précisant que ce type de manifestations déclenchent la haine et la violence. Là encore, ça sonne très actuel.

D’ailleurs, dans son livre, Martin Luther King va répondre :

Nos marches les ont simplement révélé [la haine et la violence]. Ce serait étrange de condamner un docteur qui, par son travail sans relâche et l’ingéniosité de ses compétences médicales, aurait découvert un cancer chez un patient. Est-ce que quelqu’un serait ignorant au point de dire que c’est le docteur qui a causé le cancer ?

Grâce à l’action directe nous avons révélé qu’il y a un dangereux cancer de haine et de racisme dans notre société. Nous n’avons pas provoqué le cancer; nous l’avons simplement mis à nu. Seul ce type d’exposition peut permettre de guérir un jour le cancer. Les blancs progressistes doivent comprendre qu’il y a besoin d’antidotes puissants pour combattre la maladie du racisme.

Pour finir, ils exhortent tous les noirs de Birmingham à ne pas manifester. Car, de toutes façons, les troubles sont le fait d’un agent extérieur, un “outsider” (sous-entendu Martin Luther King).

Le tout en disant que c’est simplement “du bon sens” et qu’il faut avant tout négocier.

La réponse de King

Photo by Debby Hudson on Unsplash

On fait parvenir clandestinement à Martin Luther King le journal en question. Depuis la cellule de sa prison il rédige alors une réponse qui est rentré dans l’histoire. Elle s’appelle : lettre de la prison de Birmingham.

Il commence par rappeler que s’il devait répondre à toutes les lettres de critique qui arrivent sur son bureau, ses secrétaires ne pourraient faire que ça de la journée et il n’aurait pas de temps pour travailler. Là encore : s’il avait été un personnage consensuel, il n’aurait pas besoin de commencer par ça.

Mais, il est touché par le fait que ce soit des hommes d’église qui parlent. Il va donc leur répondre en tant que “collègue”.

Vous vous demandez “pourquoi l’action directe ? Pourquoi les sit-in, les marches et ainsi de suite ? La négociation n’est-elle pas le meilleur chemin ?” Vous avez tout à fait raison d’appeler à des négociations. D’ailleurs, c’est le but même de l’action directe. L’action directe non violente cherche à provoquer une telle crise et à créer une telle tension qu’une communauté qui avait constamment refuser de négocier se retrouve forcée à le faire.

King rappelle ici un principe important : c’est trop facile de dire “il faut négocier” alors que ce sont justement les autorités qui refusent de négocier tant qu’elles ne sont pas bousculées.

Nous savons, grâce à notre expérience douloureuse, que la liberté n’est jamais accordée volontairement par l’oppresseur; l’opprimé doit l’exiger. Franchement, je n’ai encore jamais vu une action militante qui était “au bon moment” aux yeux de ceux qui ne souffrent pas de la maladie de la ségrégation.

Depuis des années maintenant j’entends le mot « Attendez ! » Il résonne aux oreilles de tous les noirs avec une familiarité perçante. Cet « Attendez ! » veut presque toujours dire « Jamais. »

En d’autres termes : l’apparente neutralité, quand on est en face d’une injustice, revient à favoriser la neutralité. Autre point hyper important de ce passage : ce débat sur le “bon moment”, “le bon moyen” et les variantes de “tu dessers ta cause”. En fait, par définition, les personnes qui ne souffrent pas du racisme diront toujours que ce n’est pas exactement la bonne façon de faire. Ce mécanisme est universel.

Puis, Martin Luther King va s’attaquer au concept de laisser du temps au temps.

Je viens de recevoir une lettre d’un frère blanc du Texas. Il m’a écrit “Tous les chrétiens savent que les personnes de couleur vont un jour recevoir des droits égaux, mais il est possible que vous soyez dans une trop grande hâte religieuse. La chrétienté a mis presque deux mille ans pour accomplir ce qu’elle a accompli. Les enseignements de Christ prennent du temps à arriver sur Terre”.

Une telle attitude émerge d’une incompréhension tragique du temps, d’une notion étrange et irrationnelle qu’il existe quelque chose dans l’écoulement même du temps qui guérira inévitablement tous les maux.

En vérité, le temps en lui-même est neutre; il peut être utilisé de manière destructive ou constructive. De plus en plus, j’ai l’impression que les personnes malveillantes ont utilisé le temps de manière plus efficace que les personnes de bonne volonté.

Nous devrons nous rependre dans cette génération, non seulement pour les mots et les actions haineuses des mauvaises personnes mais aussi pour l’épouvantable silence des bonnes personnes.

(…)

Sans un travail acharné, le temps lui-même devient un allié des forces de stagnation sociale.

Et pour finir venons-en à la partie la plus sévère de sa réponse. Celle qui m’a le plus surpris sachant l’image que j’avais de Martin Luther King.

Le plus grand obstacle des Noirs dans leur effort de libération est non pas le Ku Klux Klan, mais le Blanc modéré

Je dois admettre que ces dernières années j’ai été gravement déçu par le Blanc modéré. J’en arrive presque à la conclusion regrettable que le plus grand obstacle des Noirs dans leur effort de libération est non pas le Ku Klux Klan, mais le Blanc modéré, plus dévoué à l’ordre qu’à la justice.

Ce Blanc modéré qui préfère une paix négative, c’est-à-dire l’absence de tension, à une positive qui serait la présence de justice. Ce Blanc modéré qui répète constamment : “je suis d’accord avec ton objectif mais je ne peux accepter tes méthodes”, qui pense de façon paternaliste qu’il peut programmer le calendrier de la liberté d’un autre.

Ce Blanc modéré qui vit selon un concept mythique de temps et qui conseille toujours aux Noirs d’attendre un moment plus propice. La compréhension superficielle des personnes de bonne volonté est plus frustrante que les incompréhensions des personnes de mauvaises volonté. L’acceptation tiède est plus choquante que le rejet net.

Que rajouter à ça ? Là encore, ça correspond avec ma réalité présente. Dans ma vie, le plus dur n’a jamais été de gérer le racisme hostile. Les deux fois où on m’a craché dessus, le groupe a fait bloc derrière moi. De la même manière, même Marine Le Pen condamne certaines violences des suprémacistes blancs.

Le plus dur au quotidien c’est plutôt la tiédeur des personnes de bonne volonté, qu’il faut convaincre inlassablement.

Le combat est fini…

Photo by Alex on Unsplash

Martin Luther King avait néanmoins pas mal de soutien au sein de la population américaine jusqu’en 1964 et les lois anti-ségrégation. C’est à ce moment là qu’il va perdre progressivement en popularité.

Car, les Blancs modérés pensent alors que c’est fini, la lutte a gagné. Puisqu’il n’y a plus de ségrégation dans la loi, il n’y a plus de racisme.

C’est à partir de ce moment qu’une grande partie des alliés Blancs vont déserter et commencer à s’opposer à lui.

Quand les Noirs sont passés à la phase suivante, la mise en place concrète de l’égalité, ils se sont rendus compte que beaucoup de leurs alliés blancs avaient discrètement disparu

King rajoute d’ailleurs qu’il a énormément de discussions paradoxales avec les Blancs progressistes. Notamment une qui lui explique qu’elle est contre la ségrégation mais qu’elle ne laisserait pas sa fille épouser un Noir. Il note qu’elle n’est pas la seule puisque :

88% d’entre eux s’opposeraient à ce que leur fille fréquente un Noir. Presque 80% seraient inquiets si un ami proche ou un membre de leur famille se mariait avec un Noir, et 50% ne voudrait pas avoir de Noir dans leur voisinage.

Voilà ce qu’est le consensus de l’époque.

L’opinion a tellement évolué là-dessus que ça nous paraît évident. Aujourd’hui l’immense majorité des américains diraient l’inverse. C’est pour ça qu’on croit que King était consensuel. Car il défendait des positions qui aujourd’hui nous paraissent consensuelles. Mais c’est un anachronisme : de son temps ses positions étaient radicales. Appeler au mariage interracial était déjà une position extrême en soi.

#3 | On oublie qu’au même moment des Noirs sont assassinés par le Ku Klux Klan

Quand on nous présente le bisounours Noir qu’aurait été King, on se demande presque pourquoi il a été assassiné. Comment quelqu’un d’aussi consensuel a-t-il pu être assassiné ?

Le méchant Malcolm X, on comprend. Mais Martin Luther King ? On oublie un peu vite qu’ils font face à du terrorisme de la part des suprémacistes blancs. Dans les années 60, il y a encore des foules de Blancs qui lynchent des Noirs.

Le débat entre Malcolm X et Martin Luther King n’est donc pas une question de méchant Noir et de gentil Noir.

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Premièrement, King n’appelle pas à se laisser faire en dehors du moment particulier de la manifestation. Voilà ses mots :

Quasiment personne n’a suggéré que les Noirs ne devraient pas se défendre quand ils sont attaqués. La question n’était pas de savoir si un Noir devait utiliser son arme à feu quand sa maison est attaquée mais plutôt s’il était tactiquement efficace d’utiliser une arme à feu pendant qu’on participait à des manifestations organisées.

La nuance est de taille. Voilà donc la nature de leur débat. Il n’y a pas d’un côté un Malcolm X qui appelle à un bain de sang revenchard et de l’autre un Martin Luther King bisounours.

Ça encore c’est la Disneyfication de Martin Luther King et Malcolm X. D’ailleurs, à proprement parler c’est plutôt de la Marvelisation (mais maintenant c’est la même entreprise) puisque ce mythe du gentil King et du méchant X a largement été popularisé par la série X-Men. Charles Xavier est censé être inspiré de King et Magnéto, de Malcom X.

Dans les faits, Martin Luther King a parfaitement conscience du terrorisme qui pèse sur les Noirs :

Plus de 50 églises de Noirs ont été incendiées ou piégées à la bombe dans le seul état du Mississipi, les deux dernières années. Pourtant, les terroristes marchent encore libre dans les rues, auréolés d’un halo d’adoration. C’est le pouvoir blanc dans sa forme la plus brutale, vicieuse et froide.

On note qu’il sous-entend que le pouvoir est complice. De même, juste après le fameux discours “I have a dream”, 4 enfants Noires sont assassinées en représailles.

Mon rêve a tourné au cauchemar , seulement quelques semaines après que j’en parle. C’était quand quatre belles, inoffensives, innocentes, fillettes Noires ont été assassinées dans une église à Birmingham, Alabama.

Ici, on a même une complicité flagrante du pouvoir puisque le FBI trouve les quatre terroristes du Ku Klux Klan, un peu plus d’un an après, et… ils ne sont pas inquiétés.

En tout cas, pas avant 12 ans. En 1977 (14 ans après les faits), on condamne l’un d’eux. Puis, les deux autres en… 2001 et 2002 (presque 40 ans après les faits). Quant au dernier…il est mort sans jamais avoir été inquiété, en 1994.

Deux ans auparavant, en 1961, Robert Williams raconte comment il a échappé à un lynchage.

Quatre ans auparavant, Robert Williams essaie d’obtenir un jour par semaine où les Noirs auraient le droit d’aller à la piscine municipale, réservée aux Blancs.

En 1961, deux enfants Noirs se noient en nageant dans des ruisseaux, sans surveillance. La communauté noire est à bout et décide d’organiser un piquet de “grève” pour arracher ce jour de piscine. Deux jours après :

Un groupe de Blancs s’est mis à tirer au fusil et nous pouvions entendre les balles percuter les arbres au-dessus de nos têtes. Le chef de la police était en service à la piscine et j’ai fait appel à lui pour qu’il mette fin aux tirs. Il a dit “oh mais je n’entends rien. Je n’entends rien du tout”.

Ils ont continué à tirer toute la journée. Le jour suivant, ces types se sont approchés du piquet en tirant avec leurs pistolets, et nous avons continué à faire appel au chef de la police pour qu’il les empêche de tirer sur nous. Mais il répétait “Bah quoi ? Je n’entends rien..”

J’interromps le récit pour insister : voilà de quel débat on parle entre Malcolm X et Martin Luther King. Faut-il se laisser tirer dessus pendant une manifestation ? Admettons ensemble qu’il n’est pas évident de répondre oui. Sachant que la police ne fait rien.

Quelques jours plus tard, Robert Williams va en ville pour essayer de négocier au téléphone avec le ministère de la Justice. Il est en voiture. Il subit alors une tentative d’assassinat. Une berline essaie de le pousser dans un ravin de 25 mètres de haut. Il arrive à l’empêcher, mais sa voiture reste accrochée sur le pare-choc de l’autre voiture.

L’homme dans la Berline se met à accélérer à plus de 110 km/h pour essayer de le projeter dans le trafic opposé. Finalement, Robert parvient à se dégager. Sa voiture est évidemment défoncée.

Il va voir le chef de la police qui lui dit encore “Je ne vois rien du tout”. Williams insiste et demande un mandat d’arrestation car il a reconnu l’homme en question. Le chef de la police répond “je ne peux pas émettre de mandat puisque je ne vois pas ce qu’il a bien pu faire”.

Encore quelques jours plus tard, il y a désormais une foule hostile de 2000 personnes autour de la piscine. Robert conduit pour s’y rendre, quand il subit encore une tentative d’assassinat similaire : une voiture essaie de renverser la sienne. Il riposte en braquant et en percutant la voiture sur le côté plutôt que sur l’avant. Les deux voitures tombent dans le fossé.

Alors la foule s’est mise à hurler. Ils disaient qu’un Nègre avait percuté un Blanc : ils parlaient de moi.

“Tuez les Nègres ! Tuez les Nègres ! Arrosez les Nègres d’essence ! Brûlez les Nègres !”

Nous étions encore dans la voiture. L’homme qui conduisait le stock-car en est sorti avec une batte de base-ball et s’est avancé vers nous : “hey le Nègre, pourquoi tu m’as percuté ?”

Je ne lui ai rien répondu. Nous sommes juste restés assis à le regarder. Il s’est approché de la voiture, à portée de bras avec sa batte de base-ball, mais je ne disais toujours rien et nous ne faisions pas un geste dans la voiture. Ce qu’ils ne savaient pas c’est que nous étions armés. Selon la loi de l’État de Caroline du Nord, il est légal d’emporter des armes dans son automobile, à conditions que ces armes ne soient pas dissimulées.

J’avais deux flingues et un fusil dans la voiture. Quand ce type a fait mine de lever sa batte de basse-ball, j’ai mis un calibre 45 de l’armée à la fenêtre de la voiture et je l’ai pointé directement sur son visage, sans dire un mot. Il a regardé le pistolet et n’a rien dit. Il s’est éloigné de la voiture en reculant.

Quelqu’un dans la foule a tiré un coup de feu et les gens ont recommencé à crier de façon hystérique :

“Tuez les Nègres ! Tuez les Nègres ! Arrosez les Nègres d’essence !”

La foule s’est mise à jeter des pierres sur le toit de ma voiture. Alors j’ai ouvert la portière, j’ai mis un pied à terre et je me suis mis debout, une carabine italienne à la main”

J’interromps une fois de plus le récit pour me demander comment on peut avoir un tel sang froid. Sang froid qui contraste avec les événements récents où un adolescent Blanc de 17 ans a tué trois manifestants de Black Lives Matter car il a paniqué.

De retour à notre histoire : les policiers courent vers Williams. Alors que, jusque là, ils regardaient passivement pendant que Williams les appelait à l’aide. Ils arrivent à sa hauteur et l’un deux le prend par l’épaule en lui criant de donner son arme. Williams le frappe au visage et le pousse loin. Il pointe alors son fusil sur lui et …

Je lui ai dit qu’on ne se rendrait pas à la foule. Nous n’avions pas l’intention d’être lynchés. L’autre policier, qui avait couru de l’autre côté de la voiture, a voulu sortir son revolver de son étui. Il espérait m’abattre d’une balle dans le dos. Ils ne savaient pas que nous avions plusieurs armes; L’un des étudiants qui étaient avec moi (âgé de 17 ans) a pointé un calibre 45 sur le visage du policier et lui a dit que, s’il sortait son pistolet, il le tuerait. Le policier a remis son arme dans son étui, s’est éloigné de la voiture à reculons, et il est tombé dans le fossé.

Il y avait dans la foule un très vieil homme, un vieil homme blanc. Il a commencé à crier et pleurer comme un bébé. Il n’arrêtait pas de pleurer en répétant : “Nom de Dieu, nom de Dieu, où va ce putain de pays ? Les Nègres ont des flinges, les Nègres sont armés, et la police ne peut même pas les arrêter !”

Voilà. Nous ne sommes pas au début des années 20. Nous sommes en 1961, au pic de l’activité militante de Martin Luther King. Voilà le contexte. Je pense qu’il est important de le garder en tête avant de trancher le débat entre Malcolm X et Martin Luther King.

Quand j’étais enfant et qu’on m’a présenté la version Disney des deux hommes, j’étais convaincu que j’aurais été du côté de Martin Luther King. Aujourd’hui, je me demande ce que j’aurais fait à la place de Williams ?

Me promener sans arme à feu comme le préconisait Martin Luther King pour une manifestation ? Je serais probablement mort lynché. Williams a choisi la voie de Malcolm X. C’est ce qui lui a sauvé la vie.

Est-il moral de frapper un policier au visage puis de le menacer avec une arme à feu ? Peut-être pas. Est-ce illégal ? Complètement. Mais… qu’aurais-tu fait à sa place ?

Malcolm X et l’autodéfense

Photo by Uriel Soberanes on Unsplash

Williams continue son récit en expliquant que l’autodéfense oblige la police à protéger les Noirs. Sinon, ils les laissent se faire lyncher.

Voilà maintenant ce que dit Malcolm X :

Je ne crois pas en la violence, c’est pourquoi je veux y mettre fin. Vous ne parviendrez pas à y mettre fin au moyen de l’amour, de l’amour des choses d’ici bas. Non ! Tout ce que nous demandons, c’est une vigoureuse action auto-défensive que nous nous sentons en droit de susciter par n’importe quel moyen.

On note au passage que même Malcolm X, condamne la violence. Il la désigne comme le dernier recours. Il affirme qu’il n’y croit pas. Il affirme que le but est de mettre fin à la violence. D’ailleurs il n’appelle à aucune forme d’agression ou de revanche, mais bien à une auto-défense.

Pour moi, réagir avec violence au racisme blanc, ce n’est pas du racisme noir. Si vous venez me passer une corde au cou et que je vous pends pour cela, ce n’est pas du racisme. C’est votre attitude qui est raciste, mais ma réaction n’a rien à voir avec le racisme ; c’est la réaction d’un être humain qui cherche à se défendre et à se protéger.

Dorénavant, si nous devons de toute façon mourir, nous périrons en rendant coup pour coup et nous ne tomberons pas seuls. Nous entendons faire en sorte que nos oppresseurs racistes connaissent eux aussi le goût de la mort.

Vous pouvez faire savoir à ces porteurs de cagoules que dorénavant, lorsqu’ils se mettront à tuer des noirs innocents, nous pensons qu’il faut leur répondre du tac au tac.

On note au passage que la réthorique de Malcolm X est avant tout une menace. De la même manière que Williams n’a jamais ouvert le feu directement sur un humain.

Cette menace est ce qui a permis aux activistes comme King de pouvoir avancer. D’ailleurs, quand on va essayer d’assassiner Martin Luther King en 1965, Malcom X va faire la déclaration suivante :

Si l’agitation raciste que vous menez en ce moment contre les nôtres dans l’Alabama entraîne un dommage physique pour le pasteur King ou pour l’un des noirs américains qui ne font que chercher à jouir de leurs droits d’hommes libres, vous subirez, vous et vos amis du Ku Klux Klan, le maximum de représailles physiques de la main de ceux d’entre nous qui ne sont pas liés et désarmés par la doctrine de la non violence, et qui pensent que nous devons affirmer notre droit à l’auto-défense — par tous les moyens.

Ironie tragique, cette année, ce n’est pas Martin Luther King mais bien Malcolm X qui sera assassiné.

En tout cas, nous sommes en droit de nous demander : Martin Luther King aurait-il été assassiné plus tôt, sans l’existence d’un mouvement noir d’auto-défense ?

Williams raconte d’ailleurs une fois où Martin Luther King a envoyé une délégation d’une quinzaine de ses militants. Pendant les manifestations, il n’y avait plus aucune violence à l’encontre des Noirs depuis que Williams avait installé la doctrine de l’autodéfense.

Les militants non-violents sont arrivés et ils ont vite été débordés. Parce que les gens du Klu Klux Klan savaient qu’ils ne riposteraient pas. Williams a fini par intervenir avec son équipe armée quand plusieurs d’entre eux étaient au bord du lynchage. Sans son intervention, les militants non-violents seraient morts.

#4 | Martin Luther King version bisounours est un modèle cruel

Quand on nous vend le King bisounours, on ne pèse pas suffisamment à quel point c’est cruel de montrer cet exemple comme modèle aux jeunes Noirs. Donc, en gros la République nous dit en cours d’histoire : soyez un gentil Noir comme Luther King ?

Mes amis blancs : arrêtez de vous servir du Dr King comme d’un exemple d’une manifestation pacifique… vous l’avez abattu, lui aussi.

Pourtant, King a prouvé que l’argument de la forme est hypocrite. On l’a vu, il l’a même dénoncé de son vivant. Le fameux “tu dessers ta cause” est un leurre. Car, même avec la forme la plus douce, on a fini par l’assassiner.

On oublie également que Martin Luther King est un pasteur, un homme de Dieu. C’est donc pétri du modèle de Jésus Christ qu’il accepte de marcher vers la mort sans jamais répliquer.

(Encore une fois : combien de temps cette marche aurait-elle durée s’il n’y avait pas des Noirs prêts à l’auto-défense pour protéger son chemin ?)

D’ailleurs, le jour de sa mort, dans son discours il semble être conscient que la probabilité de mourir est désormais très élevée. Il a reçu des menaces de mort et ses proches le dissuadent d’y aller. Dans son dernier discours il dira :

Eh bien, je ne sais pas ce qui va arriver maintenant. Nous avons devant nous des journées difficiles. Mais peu m’importe ce qui va m’arriver maintenant, car je suis allé jusqu’au sommet de la montagne.

Je ne m’inquiète plus. Comme tout le monde, je voudrais vivre longtemps. La longévité a son importance. Mais je ne m’en soucie guère maintenant. Je veux simplement que la volonté de Dieu soit faite.

Et il m’a permis d’atteindre le sommet de la montagne. J’ai regardé autour de moi. Et j’ai vu la Terre promise. Il se peut que je n’y pénètre pas avec vous. Mais je veux vous faire savoir, ce soir, que notre peuple atteindra la Terre promise.

Ainsi je suis heureux, ce soir. Je ne m’inquiète de rien. Je ne crains aucun homme. Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur.

Prophétique.

On ne peut pas comprendre King, sans comprendre cette profonde foi chrétienne. Sans comprendre qu’il s’inspire de Jésus. Il a d’ailleurs nourri une déception envers l’église :

L’église chrétienne me déçoit, en ce sens qu’elle est davantage blanche que chrétienne. Beaucoup de Blancs du clergé préfèrent rester silencieux derrière la sécurité d’une vitre sans teint.

L’hypocrisie de proposer ce modèle

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En outre, on remarque que les mêmes qui nous encouragent à suivre les pas de King, sont les mêmes qui soutiennent les guerres françaises.

Martin Luther King lui-même dénoncera cette hypocrisie :

Quel est ce pays où on applaudit la non-violence à chaque fois que les Noirs font face à une foule blanche dans les rues américaines mais où on applaudit la violence, les flammes et la mort quand ces mêmes Noirs sont envoyés sur les champs de bataille du Vietnam ?

Ce double standard est une perversion totale du message de King. Appeler à la non-violence, uniquement quand ce sont les Noirs qui manifestent contre le racisme est une hypocrisie absolue.

Je crois que je ne peux pas le dire mieux que ça :

On dit paix et amour mais ce qu’on exige vraiment c’est le silence. Quand un joueur de la NFL s’agenouille sans parler, il est menacé, harcelé, on l’appelle délinquant, on dit qu’il est raciste. Pour ceux qui ont une certaine couleur de peau, aucune protestation ne sera jamais jugé suffisamment pacifique.

Et c’est marrant comment ça fonctionne. Les personnes qui ont le plus de raisons d’être en colère, les cas les plus justifiés de rebellions sont ceux où on dit le plus régulièrement de calmer le jeu, d’embrasser la non-violence.

Ce sont à ces personnes qu’on dit de suivre l’exemple d’un homme qui a rencontré la mort par balle, des mains du pistolet d’un raciste.

Il a payé son combat, physiquement. Pas uniquement en mourant mais aussi en dégradant sa santé.

Lors de son autopsie, le médecin légiste s’est étonné : il avait un coeur dans le même état que celui d’une personne de 60 ans. Voilà le niveau de sacrifice inhumain auquel il était parvenu.

On ne peut pas demander à quelqu’un de suivre ce modèle. Tout le monde ne peut pas avoir ce niveau d’abnégation.

#5 | Martin Luther King était un activiste radical

Voilà la vérité : King était radical. C’est pour ça qu’il n’était pas consensuel, c’est pour ça qu’il était détesté, c’est pour ça qu’il a été assassiné.

Au point même que le FBI a essayé de le faire tomber. Il était décrit comme anti-américain. Le FBI a mis ses téléphones sous écoute pendant quatre ans et a engagé une surveillance. Surveillance qui a été gardée secrète encore quelques semaines après son assassinant.

Mais il a bien fallu expliquer pourquoi c’est un agent du FBI qui a été le premier à toucher Martin Luther King après son assassinat. Il était en train de le surveiller et a donc pu essayer de lui porter secours.

Martin Luther King dénonçait le pouvoir blanc

Il avait des mots très durs envers les Blancs modérés qui parlent d’égalité sans jamais agir pour.

Voilà les causes les plus profondes des frictions contemporaines entre les races. Un langage cheap et facile sur l’égalité, des résolutions vibrantes sur la fraternité.

C’est agréable à l’oreille. Mais, le Noir ne peut pas ignorer que ce n’est pas crédible. Il se rappelle qu’à chacune de ses modestes avancées, la population blanche argue rapidement que le Noir est déjà allé suffisamment loin. Chaque pas en avant accentue cette tendance réactionnaire, qui a toujours existé.

On a déjà vu qu’il se demandait si le Blanc modéré n’était pas un adversaire plus redoutable que le Klan. Voici une autre variante :

Il s’avère que le ségrégationniste Blanc et le citoyen Blanc ordinaire ont plus en commun les uns avec les autres qu’aucun n’en a avec les Noirs.

Cette phrase est cinglante. Comme si une forme de solidarité blanche inconsciente était forcément plus forte que tout. C’est un propos que certains militants tiennent aujourd’hui. Ce propos est accueilli dans un déluge d’indignations. Par les mêmes qui encensent King. Encore plus ironique. Parfois à ce propos on répond “Martin Luther King doit se retourner dans sa tombe”. C’est un contresens total : Martin Luther King a été un des premiers à soutenir cette idée. Même s’il ajoute après qu’il existe des Blancs de bonne volonté qui sont des alliés fidèles et qu’il ne faut pas les négliger.

Une autre phrase qui déclenche aujourd’hui des levées de boucliers mais qui a été dite par King :

Les Blancs, il faut le dire, ne sont pas soumis à la même charge mentale pour se rééduquer et se sortir de leur ignorance raciale. C’est un aspect de leur complexe de supériorité qui fait que les Blancs d’Amérique pensent qu’ils ont si peu à apprendre. L’ampleur de l’investissement [financier] substantiel qu’il faudrait pour soutenir les Noirs au 20ème siècle, dans les quartiers Noirs et dans les écoles, est encore un cauchemar pour beaucoup trop de Blancs américains.

Que dirait-on si aujourd’hui un militant Noir disait ça ? Et bien on le sait, puisque Lilian Thuram a dit quelque chose de similaire et a été inondé de condamnations.

Et à propos des émeutes ?

Bien entendu, Martin Luther King n’appelait pas aux émeutes et aux pillages. Mais quand on lui demandait son avis sur la question, voilà ce qu’il répondait :

Disons franchement que si les violations perpétrées au cours des années par l’homme Blanc dans les getthos étaient calculées et comparées avec les infractions de quelques journées d’émeutes, le criminel endurci serait l’homme Blanc.

Ce genre de choses sont difficiles à dire mais je réalise de plus en plus qu’il est nécessaire de dire la vérité si on veut s’occuper des grands problèmes de notre société.

Ce n’est pas Malcolm X qui parle. Je suis sûr que si on fasait le blind test “Martin Luther King ou Malcom X”, une majorité des gens diraient que c’est une phrase de Malcom X.

Le Blanc moyen a aussi une responsabilité. Il doit résister à la tentation de se précipiter sur l’émeutier en tant que méchant exclusif.

Il doit s’indigner contre sa propre mairie, son propre état, son propre gouvernement fédéral pour exiger que les réformes necessaires soient mises en oeuvre. Seule la mise en place de ces réformes peuvent le protéger. S’il réserve son ressentiment uniquement au Noir, il sera victime car il aura autorisé l’évasion des plus grands coupables.

Il ne prêchait pas l’unité ou la tranquillité

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Si je t’avais dit qu’il existait une lettre ouverte qui s’appelle “un appel à l’unité” écrite pendant que Martin Luther King était en prison, tu aurais probablement pensé que c’était le titre d’une lettre de soutien.

Tu sais maintenant que pas du tout : c’était une lettre qui s’opposait à Martin Luther King. Le même qui déclarait ne pas vouloir être un leader consensuel. Le même qui disait qu’il y avait un devoir de défendre les opprimés et que ne rien faire est coupable. Le même qui dit :

Une grande partie de la société Blanche est davantage préoccupée par la tranquillité et le statu quo que par la justice, l’égalité et l’humanité. Concrètement, les étés d’émeutes de notre nation, sont causés par les hivers de retard de notre nation.

Ou encore :

Durant les dernières années, beaucoup de Noirs ont senti que leur adversaire le plus gênant n’était pas le raciste évident du Ku Klux Klan mais le Blanc progressiste qui est davantage préoccupé par “l’ordre” que par la justice, qui préfère la tranquillité à l’égalité.

En revanche, il prêchait l’amour. La nuance est importante. Il appelait à ce que le but final soit l’amour. Voilà pourquoi il rajoute souvent des choses comme :

Cette personnification est forcément une généralisation. Ce serait grossièrement injuste que de refuser de reconnaître une minorité de Blancs qui veulent sincèrement l’égalité. Leur engagement est réel, sincère et exprimé par mille actes.

On note quand même l’usage du mot “minorité”.

Il s’est même déclaré extrémiste

Un pan peu connu de la pensée de King est notamment contenu dans la lettre de la prison de Birmingham. Il répond à l’accusation d’extrémiste. Car, je le rappelle, on lui disait que les manifestations non-violentes étaient extrêmes et qu’il fallait s’en tenir aux négociations.

Bien que j’ai été d’abord déçu d’être catalogué d’extrémiste, plus j’y pense et plus je retire une certaine fierté de ce qualificatif.

(…)

La question n’est pas si nous sommes des extrémistes mais quel type d’extrémistes nous sommes. Voulons nous être des extrémistes pour la haine ou pour l’amour ? Voulons-nous être des extrémistes pour la préservation de l’injustice ou pour l’extension de la justice ?

(…)

Peut être que le Sud, cette Nation, le Monde a un terrible besoin d’extrémistes créatifs

Il aurait été combattu par la droite

Remarquons que plus le temps avançait et plus Martin Luther King prenait des positions radicales. On ne sait pas ce qu’aurait donné sa pensée s’il avait continué à ce rythme. Il est mort à 39 ans.

Comme beaucoup de Noirs, Martin Luther King s’est endurci au fur et à mesure qu’il avançait dans la lutte.

(Notons que Malcom X a fait le changement inverse : il s’est adouci avec le temps. Si bien qu’à la fin de leurs vies ils étaient idéologiquement proches).

Je suis convaincu que certains propos de Martin Luther King que j’ai rapporté plus haut rendraient folles certaines personnes sur Twitter. On l’appellerait “communautariste”, “séparatiste”, “indigéniste” ou même … “raciste”. D’ailleurs, techniquement, on l’a appelé comme ça à son époque. Mais avec les mots de l’époque.

Le président Einsenhower a refusé de le rencontrer car s’il rencontrait les leaders des droits civiques, il devrait aussi rencontrer le Ku Klux Klan. Ça te rappelle quelque chose ?

Danièle Obono, militante Antiraciste, serait donc une raciste noire qui se bat contre les racistes blancs de Valeurs Actuelles
La réaction de Donald Trump, quand un suprémaciste blanc tue en fonçant volontairement dans une foule avec sa voiture. On remarque encore cette technique de la voiture, employée dans l’histoire de Williams.

J’aimerais terminer avec deux citations, que je trouve furieusement modernes.

Généralement on croit que l’idéologie suprémaciste blanche prend racine chez les illettrés, les défavorisés, les classes blanches les plus pauvres. Mais les gynécologues obstétriciens qui ont supervisé la naissance du racisme faisaient partie de l’aristocratie : de riches commerçants, des hommes d’église influents, des hommes de science médicale, des historiens et des politologues venant des plus brillantes universités de la nation.

Avec une compagnie si distinguée des élites qui travaillaient à disséminer leurs vues racistes avec assiduité, qu’est-ce qui restait pour inspirer le pauvre, l’illétré, le démuni fermier Blanc à penser autrement ?

Aujourd’hui encore, il est difficile d’expliquer que mon expérience quotidienne du racisme émerge bien davantage de gens aisés (des cadres comme moi) que des classes populaires.

Autre citation :

Même la sémantique a comploté pour faire en sorte que ce qui est noir soit moche et dégradant. Dans le dictionnaire de Roget il y a plus de 120 synonymes pour “noirceur” et au moins 60 d’entre eux sont négatifs (…). Il y a 134 synonymes pour “blancheur” et ils sont tous positifs (…) Le pire membre d’une famille est appelé un “mouton noir” pas un “mouton blanc”.

Ce genre de propos est régulièrement mis en avant par le mouvement féministe. On rétorque alors qu’elles pinaillent.

Je trouvais marrant de finir sur ça. J’aimerais vraiment soumettre cette citation à un blind test sur Twitter. En faisant croire que la phrase a été prononcée par Omar Sy, par exemple.

Une dernière chose…

En lisant le livre de Martin Luther King je me suis rendu compte qu’il citait Frantz Fanon, qui est un français, martiniquais. Il dit même que pour certains militants noirs violents, le livre de Frantz Fanon Les Damnés de la terre est une véritable Bible.

Je me demande comment ça se fait qu’en France on apprend à l’école l’histoire de Martin Luther King… mais très peu celle de Frantz Fanon. Alors qu’aux États-Unis ils le citent régulièrement.

Est-ce qu’un bon militant Noir c’est un militant mort ? Non, puisque Fanon est mort aussi.

Est-ce qu’un bon militant Noir c’est un militant mort et étranger ? Non, puisque Malcolm X est mort et américain, aussi.

Est-ce qu’un bon militant Noir c’est un militant mort, étranger et qui accepte de se présenter sans armes contre les revolvers du Klan ? Oui. Manifestement.

Hey, attends :D

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Annexes : mes sources

Mes trois inspirations principales :

  1. La page wikipédia de Martin Luther King
  2. Sa lettre écrite depuis la prison de Birmingham
  3. Son livre : Where Do We Go from Here: Chaos or Community ? Je trouve ça fou d’ailleurs qu’il soit introuvable en français sur Amazon. Je ne sais pas si une traduction a un jour existé.

Mes inspirations secondaires, en vrac :

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Nicolas Galita
Dépenser, repenser

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