Le rêve — Henri Rousseau dit “Le Douanier Rousseau”, 1910

Bienvenue dans la jungle de ma salle de bain

Charles Guillet
Dardar
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4 min readOct 11, 2016

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Aujourd’hui, c’est lundi. Et comme tous les lundis… non ce n’est pas ravioli, je vous entends d’ici. Comme tous les lundis, donc, j’ouvre un œil inquiet sur mon réveil. Encore quelques minutes et cet outil démoniaque sonnera le glas de mon paisible week-end. Comme tous les lundis, je rends visite à mon client favori, dont les locaux sont à Issy-Les-Moulineaux. Je dois donc compter 40 minutes de Uber dans un Paris congestionné.

Comme tous les lundis, je finis par me lever. Et ce malgré l’élaboration de plans fumeux pour rester au chaud sous la couette. Je pose le pied gauche par terre. Toujours. Puis le droit. Je traverse l’appartement au radar, évitant au sol les reliquats de ma paresse dominicale. Et comme tous les lundis, j’évite de peu l’infarctus en passant le seuil de ma salle de bain. Enfin, surtout ce lundi.

De la procrastination à l’inévitable confrontation

Ce n’est pas tant l’odeur méphitique qui me dérange : mon odorat est encore engourdi ; ni l’inquiétant bourdonnement des mouches drosophiles qui renvoit au doux ZZZzzzZZZzzz de ma nuit avortée ; mais c’est bien la vision apocalyptique de ce lieu — dit “d’aisance” — qui manque de me faire défaillir.

Voilà 15 jours que je promets de m’y mettre. 15 jours que Monsieur Propre et Canard WC me font de l’œil quand je suis sous la douche ou sur le trône. 15 jours et 87 post-it disposés ça et là plutôt que d’affronter la crasse. Ça suffit. Me voici dos au mur. Soit je m’y mets, soit j’embauche.

J’actionne du bout de l’index l’interrupteur qui jettera la lumière sur cette géhenne de l’hygiène. Et la lumière fût. Peut-être aurais-je dû m’abstenir.
Le spectacle est saisissant. La vie a repris ses droits dans cette jungle de céramique autrefois aseptisée.

Côté faune, une colonie de fourmis s’échine à transporter un reste alimentaire de calibre inquiétant. Partout, les rampants sont à leur aise dans cet espace qui ressemble de plus en plus au cloaque d’où ils viennent. Côté flore : les champignons prolifèrent au mur et un lierre parasite et arrogant atteint maintenant le plafond sur lequel l’humidité s’est installée.

D’un coup je ressens la fierté du démiurge face à sa création. Vais-je vraiment anéantir cette vie grouillante née de mes mains ? Enfin, de leur négligence…

Le choix de Sophie

Sur mon épaule gauche, le petit diable assis, qui a les traits de Patrick, mon supérieur hiérarchique, m’en dissuade. « Laisse donc cette corvée, Charles, tu as mieux à faire ! Concentre-toi sur ton boulot plutôt que sur le ménage… » Je me vois en Gaston Lagaffe rabroué par Prunelle.

Sur ma clavicule droite, le petit ange est repeint aux traits de ma belle amoureuse. Nul besoin qu’elle s’exprime. Il est évident que si elle rentre à l’appart ce soir, après quelques jours d’absence et qu’elle découvre ça, je risque l’éviction pure et simple du logement dont je suis portant propriétaire. Ma décision est prise.

Bon sang, mais c’est bien sûr !

Pas de temps à perdre ! J’ai encore une petite demi-heure devant moi. J’enfile une paire de gants en latex, dont le skkkklllach indécent sème déjà la zizanie dans la communauté d’insectes.

J’empoigne mon arme : une Spontex à dos vert et je pénètre dans l’antre de mon incurie déterminé et confiant comme Hercule devant les écuries d’Augias…

Pendant 20 minutes j’observe l’ampleur du désastre sans rien faire tandis que mon cerveau reçoit en pleine poire les stimuli polysensoriels de ce temple de l’infâme. Je suis en robe de chambre, une éponge à la main, pieds nus sur le lino visqueux. Acculé, que dis-je, atterré face à la tâche, j’abdique.

Recherche sur Google, service à domicile, je clique, je commande. Tout sera propre et lavé ce soir : ma salle de bain comme mon honneur. Qu’on ne m’y reprenne pas. Je sais à présent que le secret d’une salle de bain étincelante c’est l’entretien régulier effectué par des professionnels.

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