[Interview] Ré-instaurons l’extraordinaire ministère du temps libre !

Laurent Paoli
Dardar
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5 min readOct 21, 2016

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Vous souvenez-vous d’André Henry et de son ministère du temps libre ? Il fut le symbole de l’élan émancipateur qui suivit l’élection de François Mitterrand en 1981, quand les socialistes voulaient “changer la vie”.

André Henry dans le salon de son pavillon à Créteil

Du temps libre c’est ce que nous créons chaque jour pour nos clients chez Dardar. Alors on a voulu en savoir plus. Nous avons traversé La Marne, direction Créteil, pour interviewer celui qui fut Ministre du temps libre et qui lança notamment les chèques-vacances dont bénéficient aujourd’hui encore plus de
5 millions de Français. Pendant 1 heure, rythmée par le tic tac de la vieille horloge du salon, André Henry nous a raconté son “expérience” au sein du gouvernement Mauroy et livré son point de vue sur le temps qui passe, sur le temps qui nous manque chaque jour, sur les temps à venir. Morceaux choisis.

Qu’est ce que le temps libre ?

Dès la prise de mon ministère en 1981, lors de l’un de mes premiers déplacements, une dame m’a dit que le temps libre pour elle c’était “un temps vide” entre 2 temps de travail. Cette réponse m’a beaucoup marqué.

S’il est vrai que le temps libre est le moment hors du quotidien professionnel ou même des tâches domestiques, il doit être un temps plein, dédié à l’épanouissement par l’engagement civique, la culture ou le sport.

C’est pourquoi je préfère parler de “temps libéré”. C’était d’ailleurs la formule de Jacques Delors et l’ambition de François Mitterrand lorsqu’il a créé le ministère du temps libre. Aider les français à profiter du temps libre supplémentaire dont ils bénéficieraient avec la mise en place des promesses de campagne : retraite à 60 ans, 5e semaine de congés payés, passage aux 35 heures de travail hebdomadaire.

Campagne de d’information « À la découverte de la France » — Ministère du temps libre, Avril 1982

Près de 30 ans plus tard quel sens revêt la notion de temps libéré ?

Il est difficile de parler de temps libéré dans une société frappée par le chômage de masse. Le temps libéré n’a de sens que s’il est choisi, que s’il s’insère dans un cadre de vie propice à l’épanouissement. Ce n’est pas le cas lorsque l’on cherche du travail, que l’on a un métier épuisant physiquement ou que l’on passe sa vie dans les transports entre le bureau et son domicile.

Ceci étant dit, je conçois le temps libéré comme un moyen de se tourner vers la collectivité ou vers soi-même. Vers la collectivité, par exemple, en donnant de son temps à une association pour accueillir les réfugiés, pour évoquer une actualité difficile de notre temps… Ou en participant aux débats politiques qui animent la nation : la laïcité, la fraternité, le rôle de l’État. Et puis il y a la dimension individuelle. Du temps libéré, ce peut être la musique, la lecture ou encore faire rien.

Faire rien, ce n’est pas ne rien faire. Ne rien faire c’est la fainéantise. Faire rien, c’est prendre un instant à soi, un moment de repli dédié à la réflexion, à la musique…

“Ministère de la fainéantise” c’était justement un des surnoms que lui donnait l’opposition. Le temps libre est une idée de gauche ?

Il faut se rappeler que dès 1981 le chômage montait tout comme le cours du dollar d’ailleurs, ce qui plombait les finances de la France. Dès lors, le temps libre était une idée difficile à défendre. L’opposition s’en est payé en parlant d’un ministère de la paresse ou de la fainéantise et en me qualifiant de zombie. La droite utilisait les mêmes mots, “paresse”, “fainéantise” en 1936 pour attaquer Léo Lagrange et dénoncer les congés payés.

Léo Lagrange lors du congrès socialiste de 1932

D’ailleurs, François Mitterrand voulait inscrire son action dans la continuité du Front Populaire de 1936 en adoptant une ligne politique humaniste. C’était audacieux de sa part.

Alors oui, l’idée de mener une politique qui aide les populations modestes à mieux vivre leur temps libre est une idée profondément de gauche.

Affiche de campagne de François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1981

Promouvoir un État interventionniste sur ces sujets, n’est-ce pas devenu anachronique dans une société individualiste où l’accès aux savoirs et aux contenus ludiques est largement facilité par le numérique ?

Je suis inquiet de l’individualisme contemporain qui conduit à une déperdition du sens citoyen. On le voit avec l’abstention de vote ou le désengagement syndical.

Je crois à la fonction régulatrice de l’État républicain. J’espère que les choix politiques de demain, de gauche comme de droite, iront vers un renforcement du rôle de l’État. Mais pas avec des coups de menton à la Sarkozy.

Le gouvernement Mauroy 1 — Mai 1981

Et puis, la France a la chance de posséder un réseau de 1,2 million d’associations. L’État doit être moteur et soutenir ces associations mais aussi les acteurs privés issus de la révolution numérique qui aident à mieux vivre son temps libre.

Comment occupez-vous votre temps libre ?

De nombreuses façons, je ne peux pas rester inactif.

D’abord, je suis un amoureux de la nature. J’ai un petit jardin de fleurs autour de ma maison dont je m’occupe beaucoup. C’est du boulot !

J’adore lire, des essais historiques ou de la littérature classique. Je relis “L’Homme révolté” de Camus en ce moment. Je regarde le foot à la télé aussi. Et puis je passe du temps en famille, je m’occupe de mes petits-enfants.

Quel grand projet vous anime ?

Je voudrais aller au Pôle Nord. Un jour… J’en rêvais déjà étant gosse quand je lisais des bouquins sur le “Grand Nord” : Paul-Émile Victor, Charcot

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