Les PoCs, une fin en soi?
Le soir, quand les enfants sont couchés et les boîtes à tartines prêtes pour le lendemain, pendant cette heure suspendue entre une journée frénétique et une nuit dont j’ignore encore si elle sera interrompue par une poussée dentaire ou un pipi au lit, je déroule mon tapis de yoga.
Je me suis mise au yoga il y a quelques mois, d’abord accompagnée par un professeur, puis toute seule, dans mon salon avec, pour inspiration, les millions de photos et vidéos de yogis sur Instagram.
Un soir où David regardait la télévision pendant que je faisais le bretzel sur mon tapis, j’ai réussi à prendre la position du corbeau pendant plusieurs secondes : les genoux posés sur les coudes, les pieds à 15 cm du sol, en équilibre sur les mains. Un bébé corbeau, mais un corbeau quand même.
-“David, David, regarde ce que j’arrive à faire!”
-“Et ben… Tu vas pas aller bien loin comme ça”
Si tu savais, David!
Combien de choses fait-on pour repousser ses limites? Courir un marathon, finir le triple hamburger du patron, ne pas manger de sucre pendant une semaine… Je suis sûre que vous aussi, vous vous êtes dit un jour : “ça, je peux le faire, et je vais prouver à tout le monde que j’en suis capable”. Par défi, par orgueil, par témérité. Mais aussi parfois, par envie de progresser.
Je ne fais pas du yoga tous les soirs dans mon salon pour le simple plaisir de tenir sur les mains, mais pour des raisons rationnelles qui découlent d’une logique empirique.
1.Observation d’un point à améliorer ou d’une question restée sans réponse. Exemple : Comment assurer comme une rock star au bureau et à la maison? (sans consommer de substances pernicieuses, contrairement à la rock star)
2.Etude des possibilités étayées par des faits. Exemple : Puisque les substances pernicieuses sont écartées, envisager le sport, le régime alimentaire ad hoc, la méditation, les compléments vitaminés, le yoga, construire un hamam dans mon jardin, engager un masseur thaïlandais à plein-temps, etc.
3.Choix et plan d’attaque. Exemple : Choisir le yoga, parce qu’il me semble le plus réaliste par rapport à mes contraintes professionnelles et familiales, parce qu’il requiert un minimum d’investissement (un tapis de chez Decathlon, et c’est tout) et peut avoir l’impact holistique espéré (physique, psychologique, et même esthétique et spirituel). Planifier une séance de 20 minutes tous les soirs pendant un mois.
4.Phase d’action. Exemple : m’exercer à faire le corbeau, le chat, le chien tête en bas, la vache, l’aigle, et tout le reste de la ménagerie.
5.Evaluation. Exemple : au bout du mois de test, observer les changements, les bénéfices objectivables ou subjectifs de cette pratique. Je me sens moins fatiguée, plus calme, je constate une meilleure concentration et plus d’efficacité. Adapter la longueur des séances, leur fréquence, leur intensité, si l’expérience est encourageante.
6.Itération. Exemple : prendre régulièrement du recul sur ce qu’on fait, pourquoi on le fait et comment on le fait pour être sûr que le yoga participe toujours à un processus d’amélioration ou, a minima, nous fait du bien. Sinon, tester les sub… ha non, c’est vrai :)
Prouver que c’est possible n’est pas une fin en soi.
En IT aussi, et en data science en particulier, on fait des preuves de faisabilité (que je nommerai ci-après PoC, de la traduction anglaise Proof of Concept). EURA NOVA a dernièrement réalisé un PoC pour une entreprise qui voulait détecter les utilisateurs qui mettaient en péril son modèle économique. Un PoC de 16 semaines était prévu pour résoudre ce cas. Au bout de toutes les deux semaines, le modèle obtenu était évalué par la société qui a fait la demande de la preuve de faisabilité. Si les résultats étaient bons, on poursuivait dans la même voie ; s’ils ne correspondaient pas à ce que l’on attendait, on redressait le tir ou on modifiait la trajectoire pendant le prochain sprint. En somme, un PoC suit exactement le même schéma d’amélioration qu’une Maryse qui fait du yoga pour upgrader son quotidien.
1.Observation : certains utilisateurs menacent un modèle économique.
2.Etude des possibilités étayées par la science : repérer ces utilisateurs en avance de phase grâce à leur comportement, avec du machine learning.
3.Choix et plan d’attaque : établissement d’une roadmap flexible en 16 semaines
4.Phase d’action : les efforts d’une équipe de data scientists en deux semaines
5.Evaluation : à la fin des deux semaines, les parties prenantes s’interrogent sur le modèle et vérifient son adéquation avec l’amélioration ou l’objectif souhaité.
6.Itération : on répète les deux dernières phases autant de fois que nécessaire pour atteindre l’objectif fixé.
Dans ce cas particulier, un modèle satisfaisant était atteint au terme du troisième sprint et la société a réclamé une pause afin de décider de la manière dont elle allait exploiter les trouvailles obtenues. Car que fait-on quand on a repéré les utilisateurs dangereux? On les empêche ou on essaie de changer leur comportement pour ne pas les perdre? Quelle sera la meilleure option pour l’entreprise et les utilisateurs?
En d’autres termes, quelle est la prochaine étape de progression?
Ce temps d’arrêt n’est pas une phase de stagnation, comme certains pourraient le croire. C’est un vrai moment critique qui non seulement évalue le PoC par rapport à la finalité recherchée, mais qui capitalise aussi la connaissance acquise ou l’échec rencontré.
Chaque PoC est une position de yoga : soit on tombe, soit on reste suspendu entre ciel et terre. A force de répétition, de persistance, de résilience parfois, on devient plus solide, plus serein, plus confiant.
Chaque PoC est une occasion d’apprendre et un pas sur le chemin de l’amélioration.
Voire, de la révolution.