La Préface

Data Book
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5 min readMay 3, 2019

DÉPASSER LE MYTHE DES DONNÉES

Les données suscitent de nombreuses interrogations, et parfois même des inquiétudes. Elles sont une richesse singulière qui rebat les cartes de notre économie et de notre société, et redistribue les jeux de pouvoirs au sein de nos organisations et entre pays. Il est urgent que chacun puisse s’en saisir pleinement, sache en extraire la valeur, que celle-ci soit économique ou démocratique, puisse en assurer la protection. Pas seulement les data scientists, pas seulement les acteurs privés, mais aussi les décideurs publics, les citoyens, la société civile dans son ensemble.

Les données sont souvent présentées comme le nouvel « or noir » du XXIe siècle. Si cette expression illustre bien la profusion de cette nouvelle source de richesse, elle est cependant trompeuse. Les données ont des caractéristiques bien différentes des ressources naturelles physiques : ce sont des biens inépuisables (nous en produisons chaque jour davantage) et leur utilisation ne conduit pas à leur disparition (ce sont des biens non rivaux). Cette interprétation ne permet pas d’appréhender ce qui fait leur valeur : leur circulation, leur agrégation, leur traitement. Les données font ainsi l’objet de nombreuses confusions. Or, si nous souhaitons nous en saisir, il faut en avoir une analyse fine. Il convient mieux d’utiliser le terme dans son acception plurielle : les données sont multiples, et parfois très différentes selon les secteurs et les acteurs. La résurgence de vieux débats participe également de ces confusions, à l’instar du débat sur la patrimonialisation des données personnelles, pour lequel notre droit a arbitré depuis déjà plusieurs décennies.

Cependant, des débats sérieux restent à trancher, si nous ne souhaitons pas être dessaisis des opportunités induites par cette nouvelle économie des données. En Europe, nous avons renforcé la protection des données personnelles avec l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD). En harmonisant la vision entre États membres de l’Union européenne (UE) sur la protection des données, cette nouvelle réglementation a non seulement consolidé les droits des individus, mais elle a également permis de sensibiliser un certain nombre d’acteurs jusqu’alors éloignés de la culture des données. Mais avons-nous pris en compte toutes les dimensions économiques de cette réglementation ? Nous offre-t-elle pleinement la capacité à produire de la valeur, à favoriser l’innovation ?

Au Royaume-Uni, l’ICO (Information Commissioner’s Office), l’équivalent de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en charge du suivi de cette réglementation en France, a mis en place un « bac à sable réglementaire ». Ce dernier permet aux entreprises innovantes de bénéficier d’un allègement des obligations relatives à la protection des données personnelles, afin de tester leurs produits ou services. Les entreprises peuvent ainsi se faire accompagner pour être conformes aux règles de protection des données tout en innovant, et sans risquer de sanctions. Un tel dispositif est positif tant pour les entreprises que pour les citoyens, car l’innovation n’irait pas à l’encontre de leur protection. Encore faut-il que nous donnions les moyens (humains et financiers) à la CNIL pour développer de telles initiatives.

La circulation des données est un enjeu majeur des débats actuels autour des nouvelles régulations du numérique. Ces débats sont indispensables afin de mieux encadrer et d’encourager ce partage. Nous devons toutefois être vigilants à ce que ces nouvelles régulations ne contreviennent à d’autres réglementations, à peine mises en oeuvre. En cela, le débat sur le futur règlement européen concernant le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel dans les communications électroniques, dit règlement ePrivacy, qui devrait être adopté dans la prochaine mandature européenne, peut donner le tournis. Malgré la volonté affichée de la Commission européenne d’assurer une bonne articulation entre le projet de règlement ePrivacy et le RGPD, un certain nombre de ses dispositions sont susceptibles de créer des contradictions, sources d’incertitudes juridiques.

La valeur des données est souvent abordée dans sa seule dimension économique. Or, elle revêt également une dimension sociale et politique forte. La mise en données de nos activités et de nos institutions nous invite à repenser leur gouvernance, à tous les étages de notre société. Organisations ou individus, des acteurs participent aujourd’hui activement à cette transformation, par le partage volontaire de leurs données. Cela pose la question de l’évolution de leur rôle dans la prise de décision. Les citoyens peuvent également participer directement de la régulation de certains secteurs par la remontée d’information, à l’instar des cartes participatives mises en place par le régulateur des télécoms, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). De l’information du consommateur à la redevabilité des élus et de l’administration, le mouvement d’ouverture des données donne également une nouvelle dimension au principe de transparence. Il permet de faire éclore de nouveaux services et de consolider la relation avec les clients ou usagers par une meilleure information. Des communautés d’utilisateurs se créent également de manière ad hoc afin d’améliorer cette information, comme la base de données sur les produits alimentaires Open Food Facts. Il s’agit désormais de ne pas aborder cette transparence comme une nouvelle contrainte.

Les données sont aussi devenues un objet de géopolitique. Elles sont au coeur des nouvelles relations entre États et régions du monde. L’Union européenne s’est engagée tardivement dans la révolution des données et peine aujourd’hui à se bâtir une doctrine commune au-delà de la protection des données personnelles. Son approche éthique, si elle est louable, mérite néanmoins d’être plus précise et mieux définie. La mandature européenne qui s’ouvre aura à avancer sur un certain nombre de ces aspects : encadrement de l’intelligence artificielle, définition des données d’intérêt général, cybersécurité, échange de flux de données avec les pays hors UE, etc.

Les données constituent un formidable levier de progrès. Mieux nous les appréhendons, plus nous serons en capacité de les valoriser.

Cet ouvrage, fruit d’un travail commun entre Renaissance Numérique et Syntec Numérique, souhaite y contribuer en fournissant à chacun la possibilité d’une compréhension des enjeux liés à la mise en données du monde.

Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique

Henri Isaac, président de Renaissance Numérique

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