Réutilisation des archives publiques : un trésor toujours trop bien gardé

Anne-Laure Donzel
Datactivist
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5 min readApr 14, 2021

Suite à plusieurs conversations sur les réseaux sociaux sur les conditions de réutilisation des archives publiques, j’ai souhaité faire un état des lieux de la question en parcourant les sites d’archives départementales. En complément, j’ai consulté l’enquête annuelle du SIAF, qui comporte, dans son feuillet sur la communication, des éléments déclaratifs sur les conditions de réutilisation.

La réutilisation des informations diffusées en ligne par les services d’archives est un sujet problématique depuis une dizaine d’années. “L’affaire NotreFamille.com” (cette société souhaitait obtenir l’intégralité des fonds d’état civil pour alimenter son portail de généalogie) a agité le milieu des archivistes. A la suite de cet épisode, chaque service d’archives avait rédigé sa (voire “ses”) licence(s) d’utilisation, dont les conditions étaient souvent plus que restrictives (par exemple : licence “consentie à titre gratuit pour une réutilisation sans but commercial, sans diffusion publique, avec ou sans fourniture des informations (exemples : recherches personnelles et usage privé)”).

La loi Valter, de 2015, a donc accordé une exception pour les services d’archives, qui peuvent, sous conditions, pratiquer des redevances pour la réutilisation des informations publiques qu’elles détiennent. La Loi Lemaire en 2016 est venue compléter ce cadre juridique, notamment sur la question des licences qui peuvent être utilisées.

Il reste actuellement 13 services (sur les 83 pour lesquels la date de délibération est présente sur le site ou sur l’enquête annuelle du SIAF), dont le règlement de réutilisation est antérieur à 2016. Ces règlements sont donc devenus caducs et ne respectent pas le cadre réglementaire actuel.

Accéder au règlement et comprendre les conditions

La très grande majorité des services possède une page dédiée aux conditions de réutilisations des archives. Sauf exception, il est plutôt aisé de les trouver à partir du moment où on les recherche.

Certains services en possèdent même deux, avec des informations différentes. Lorsque j’ai rencontré ces cas de figure, je l’ai signalé aux services concernés.

Pour 13 services je n’ai cependant pas réussi à trouver les informations.

La véritable difficulté réside dans la compréhension de ces règlements. Certains concepts sont difficiles à interpréter : par exemple, de nombreux services réservent la gratuité aux “usages privés”, avec un périmètre et une définition qui varie d’un service à un autre. Cette notion est donc floue et n’est pas homogène, dans le cadre de travaux de recherche ou de préparation de support de cours nécessitant de regrouper des éléments provenant de différents services, cela peut devenir particulièrement complexe.

Les archives départementales du Calvados font preuve de pédagogie sur l’interprétation à donner à leurs conditions de réutilisation : les règles générales sont illustrées de cas pratiques qui permettent de bien les comprendre.

Et, moins il y a de conditions spécifiques à la réutilisation, plus les règles sont simples à comprendre!

Carte des conditions de réutilisations (lien cliquable sous la carte).

De réels progrès pour la réutilisation non commerciale

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Valter, 36 services sont passés à une licence prévue par la réglementation (soit la Licence Ouverte Etalab ou la licence OdBL) et 30 services permettent même une utilisation libre sans recourir à une licence.

Pour une quinzaine de services, les conditions de réutilisation sont absentes du site ou beaucoup trop lacunaires pour être compréhensibles.

Enfin, 22 services utilisent des licences spécifiques. Elles sont pour la plupart antérieures à la législation actuelle (2010–2014) et donc devenues illégales.

Certains services n’ont pas de licence mais imposent une demande ou une déclaration préalable avant toute réutilisation, ces cas sont considérés dans le cadre de cet état des lieux, comme une forme de licence spécifique. Cette pratique est également illégale.

Une réutilisation commerciale toujours limitée par de nombreuses licences

De nombreux services ont un cadre favorisant la réutilisation des données pour des usages non commerciaux, en revanche dès qu’il s’agit des usages commerciaux, ils conditionnent la réutilisation à la signature d’une licence et, le plus souvent, au paiement d’une redevance.

Ainsi, on pouvait compter 66 services favorables à une utilisation non commerciale ouverte, ils ne sont plus que 33 pour les utilisations commerciales.

Le cas des réutilisations commerciales est beaucoup plus complexe et il existe à peu près autant de cas particuliers que de services.

25 services ont choisi d’appliquer les licences du cadre légal, sans les assortir de perception de redevances.

54 services ont des licences commerciales spécifiques qui entraînent une possibilité de redevances (52 services prévoient des redevances). Elles sont appliquées suivant le nombre de vues et les usages prévus, elles varient suivant les services (redevance dès 10 vues réutilisées ou à partir de 100000 vues, redevances pour des publications sur internet ou dans des ouvrages (mais gratuites sans diffusion publique)…).

Certains règlements prévoient des redevances lors d’”usage massif” sans que cette notion ne soit précisée.

Libérer c’est bien, pouvoir réutiliser c’est mieux!

8 services ont totalement abandonné les licences quels que soient les usages (commerciaux ou non commerciaux). Cependant, cela ne suffit pas, en poussant l’analyse et en voulant télécharger des images, j’ai pu remarquer que :

  • dans deux cas, il n’y a pas de possibilité de téléchargement des images, la réutilisation devient impossible de fait.
  • dans quatre cas, les visualiseurs de documents apposent des filigranes qui empêchent, là aussi, la réutilisation. Les filigranes possèdent une certaine forme d’absurdité, car ils sont souvent totalement en contradiction avec les conditions d’utilisation (règlement autorisant la réutilisation libre et gratuite et filigrane mentionnant : “Archives droits de reproduction réservés”).

Le filigrane est, malheureusement, une pratique répandue dans les services. La volonté est souvent de mentionner la source du document et de protéger les institutions. Mais cette pratique est un frein à la réutilisation. Qui peut avoir envie de faire quoi que ce soit avec l’image ci-dessous?

La démarche des archives départementales des Hauts-de-Seine mérite d’être signalée car elle a tout bon : les images numérisées sont directement placées sur le site d’open data du département et sont donc réellement ouvertes, téléchargeables et réutilisables facilement.

Pour conclure ce panorama, les archives ont encore du chemin à parcourir pour être totalement OpenGLAM. Il reste de nombreux freins, d’ordre psychologiques ou techniques et la meilleure façon de démontrer l’intérêt de l’ouverture des contenus est d’utiliser et valoriser les services qui ont fait ces choix. Mon propos s’est arrêté sur les archives départementales (car elles ne sont que 101 et parce qu’elles sont les tenantes du Contrôle Scientifique et Technique et ont donc un rôle prescriptif pour l’ensemble du réseau) mais d’autres services ont ouverts la voie : les archives municipales de Marseille (même s’il faudrait mettre à jour le site internet des archives!) ou de Toulouse (depuis bien longtemps) (edit : et les Archives Nationales bien évidemment!).

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