Les prédictions média de Datagif pour 2022
Sur quoi notre attention sera portée l’année prochaine dans l’univers média ? L’équipe de Datagif rassemble ici ses intuitions après une année riche en changements et nouveautés, en tentant de discerner les signaux faibles et tendances de fond qui pourront marquer l’année 2022. Avec une part de liste d’envies, on ne le cache pas.
Alors sans plus attendre, voici ce que nous avons dans le viseur pour l’année prochaine !
Faire converger les valeurs du média et celles de ses lecteurs
Il y a presque deux ans déjà, le Guardian est devenu l’un des premiers grands médias à ne plus accepter la publication de publicité émanant de promoteurs d’énergies fossiles. Plus récemment, toutes les éditions du magazine Elle dans le monde ont pris la décision de faire disparaître définitivement tous les produits contenant de la fourrure animale de leurs pages. Crise climatique, bien-être animal, égalité des droits… il va devenir de plus en plus inconfortable pour certains médias de continuer à laisser de la place au sein de leurs pages à des produits ou des marques qui sont remis en question dans les articles situés en vis-à-vis. Autrement dit : placer une pub pour un énorme bolide qui roule au diesel face à un article évoquant la crise climatique va devenir (enfin) quelque chose d’anormal. Gageons que les médias qui afficheront publiquement de telles prises de position gagneront quelques points dans la confiance de leur audience.
Des graphiques à la une (pour des unes plus graphiques)
Ordinairement, les graphiques et les cartographies prennent place dans le corps des articles, en illustration du propos. Désormais ce n’est plus si rare de voir en une un énorme diagramme ou une immense carte devenir le propos. C’est l’effet collatéral (positif) de la couverture de la pandémie : les visualisations de données peuvent ponctuellement prendre le dessus sur les mots à la une des journaux. Cette année on a vu des exemples glaçants chez le New York Times avec un graphique sur lequel chacun des 500 000 points représente une vie perdue aux États-Unis à cause du coronavirus, puis c’est Le Monde qui un peu plus tard a proposé sa représentation en graphique des premiers 100 000 morts en France. Dernièrement dans une logique de “normalisation” des graphiques en une : une courbe représentant la dernière vague de nombre de cas de Covid barrant la une de Libération et une ½ page de une de graphiques sur les inégalités dans le monde. On vous le dit : ce n’est que le début d’une longue série de graphiques à la une des journaux.
L’explosion de la 3D grâce à des outils accessibles
Cela fait de nombreuses années que le New York Times nous régale avec des grands formats 3D particulièrement réussis, notamment grâce au travail de leur cellule de recherche et développement. On l’accorde, tous les médias n’ont pas la capacité d’investir ainsi, il n’empêche que les résultats peuvent être inspirants. Cette année, la cellule R&D a publié un guide à usage des rédactions (donc ouvert à tous.tes) qui récapitule les différentes techniques derrière la reconstitution de scènes 3D. Voilà de quoi expérimenter.
Sans aller aussi loin que le NYT et ses articles immersifs, les médias recourent de plus en plus à la 3D pour expliquer des phénomènes complexes. Depuis l’arrivée du LIDAR dans les iPhone, et avec elle les applications de scan 3D, la photogrammétrie — une technique qui permet la création de modèles 3D à partir d’une scène réelle — n’a jamais été aussi accessible. Dans le même temps, la 3D sur le web s’est largement démocratisée, avec des outils plus légers et performants. Et la tendance n’est pas près de ralentir : le support expérimental de la technologie WebGPU par les navigateurs, amené à se stabiliser dans les années à venir, promet encore d’améliorer la fluidité de la 3D web. De quoi encourager les rédactions à se lancer dans des nouveaux formats créatifs, qui peuvent séduire une audience friande de ces contenus à portée pédagogique.
La fin du scroll sans fin
Marre de scroller, fini le scroll infini. Place à l’explosion de carrousels horizontaux et verticaux ! Si des carrousels de contenus se font de plus en plus nombreux au sein des pages d’accueil des sites et applis, on les retrouve aussi de plus en plus souvent au cœur des articles. Sur Instagram, on assiste également à une multiplication de petits formats d’histoires ou de compilations en plusieurs slides au sein d’un post des comptes médias. C’est en fait le grand retour de l’effet “feuilletage” qu’on a connu en version papier, combiné à l’usage maintenant répandu du swipe sur mobile. Et ça fait du bien.
Le “design réseaux sociaux” arrive sur les sites médias
Sur les réseaux sociaux des marques médias, le design est souvent plus spontané, plus lâché, plus coloré qu’au sein de leurs sites ou applis, dont l’environnement est davantage cadré, corseté, maîtrisé. Mais les choses commencent à bouger, et les productions iconographiques vont vers moins de segmentation, moins de silotage. Dernier exemple en date, on voit désormais dans la section “Don’t Miss” sur la homepage du Washington Post la reprise des visuels que l’on retrouve également à l’identique sur son application et ses différents réseaux sociaux. De façon générale on observe un petit boom des illustrations de styles colorful-collages que l’on voit désormais plus régulièrement chez Mediapart, Le Monde, Le Parisien… quand il ne s’agit pas carrément de fonctionnalités, comme les stories à la une de Ouest France.
Le format direct va devenir un socle de contenus incontournable
Jeux d’hiver en février, présidentielle en avril, coupe du monde de foot en novembre : sans compter les événements non planifiés, quelques grands rendez-vous vont rythmer notre année médiatique. Mais au-delà du principe de direct, aujourd’hui maîtrisé sur de nombreux supports, comment apporter une plus-value ou une exploitation dans le temps de cette information très immédiate ? L’Équipe a par exemple ajouté cette année sur ses pages de direct le flux audio des antennes locales France Bleu : le texte, l’image et le son, réunis dans un espace. Au-delà du direct, de nombreux médias ont mis en place des outils de suivi dans le temps d’évolution de données ou information sur des événements. Ces trackers ont toute leur place au cœur de l’expérience de lecture et sont un excellent complément à l’actualité chaude, alimentés par le direct, en plus d’être des pages carrefour à fort potentiel d’audience.
Et si le renouveau du direct venait de la génération de contenu à la volée… ?
Générer du contenu visuel automatiquement
Cette année, les contenus générés automatiquement grâce à des lignes de code se sont multipliés, notamment pour couvrir les JO de Tokyo, un événement qui se prête bien à la déclinaison d’un même format.
C’est à cette occasion que la rédaction du New York Times a développé un outil pour créer des reconstitutions vidéo des courses grâce aux données d’une API. Côté français, Hugo Décrypte a partagé en story Instagram un classement des médailles animé. Pour automatiser la production des vidéos à partir des données du jour, Florent Pergoud, son développeur, s’est appuyé sur la librairie Remotion, sortie en février.
Visualiser rapidement — et joliment — les résultats d’un événement sportif, d’un sondage, ou mieux d’une élection, ou encore l’évolution d’un indicateur… Les applications sont nombreuses, surtout avec une année 2022 chargée en rendez-vous, qui annonce quantité de formats récurrents à venir.
Humains avant tout
C’est une tendance de fond que nous avons relevée l’an passé : les journalistes reprennent la main pour presque exister en tant que ‘marque’. Et cette année, nous avons pu observer une EXPLOSION de publications fortement incarnées. Impossible à présent de lancer une newsletter sans présenter les auteurs.trices derrière, ou sans penser quelques leviers destinés à faciliter la connexion avec son audience. Chez Axios, par exemple, la newsletter Gaming est portée par deux auteurs très bien identifiés, qui saluent leur lectorat et n’hésitent pas à le solliciter pour des questions ouvertes ou encore la recherche du titre d’un jeu oublié. Un excellent moyen d’alimenter cette possible proximité qui manque tellement à de nombreuses publications et créer un principe sympathique au milieu de tout ce contenu très sérieux. The Atlantic a lancé récemment tout un ensemble de newsletters où le sujet et l’auteur.trice importent tout autant. Très clairement, cette mécanique est en bonne voie pour devenir un standard en 2022.
Une dernière bouchée de cookies avant leur disparition
En 2023, Google Chrome ne prendra plus en charge les cookies tiers et les navigateurs concurrents les bloquent déjà de plus en plus : le marché de la publicité en ligne devra forcément s’adapter aux nouveaux impératifs techniques et les médias choisir entre efficacité et confidentialité.
Cette disparition programmée va probablement diminuer les performances des campagnes et les revenus publicitaires. L’enjeu est de trouver des alternatives à la publicité individuelle pour continuer à pouvoir proposer du contenu accessible librement, notamment en améliorant le ciblage contextuel avec des algorithmes sémantiques ou en favorisant la création de comptes utilisateurs, même non abonnés, permettant de profiler les lecteurs autrement. Une chose est sûre : personne ne regrettera ces satanés bandeaux d’avertissement…
Accélérer la transition écologique
Nous en parlions dans nos prédictions pour 2020 : les médias devront prendre en considération les impacts du numérique sur la planète en adoptant des principes d’écoconception.
Les articles sur le changement climatique prendront une place de plus en plus importante et la presse en ligne devra se mettre au diapason sans tomber dans le greenwashing : les lecteurs seront notamment attentifs au choix des annonceurs et à leur adéquation avec la ligne éditoriale du journal, comme évoqué dans le paragraphe plus haut concernant ces engagements.
Des formats ambitieux accessibles à davantage de médias
On remarque une utilisation croissante d’outils accessibles et simples à prendre en main pour réaliser des longs formats très visuels avec moins d’investissements que les formats blockbusters que l’on peut voir par ailleurs. C’était le cas pour le média écossais The Courier qui a effectué un travail d’archivage remarquable à partir d’Open Street Map, El País qui utilise Mapbox pour comparer les loyers, ou encore d’autres qui exploitent Google Earth pour remplacer une vue 3D.
En bref, pour les plus bricoleurs, des outils éprouvés existent et permettent d’apporter une expérience tout à fait à la hauteur des ambitions. On semble percevoir une démocratisation de ces usages en 2022, et ça, c’est une bonne nouvelle !
👏 Ces prédictions ont été réalisées par toute l’équipe de Datagif : Eric Azara, Victor Bossens, Julien Bretecher, Elsa Delmas, Gaëtan Duchateau, Julie Ferrieux, Aurore Génisson, Florent Guerlain, Charly Meignan, Pierre-Alain Mondello, Leonie Schmidtmer, Anouk Zibaut.
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