Un simulateur pédagogique pour comprendre la flexibilité énergétique

Dataveyes
Dataveyes Stories (VF)
10 min readApr 23, 2020
Ce projet a été réalisé pour EDF entre juillet 2014 et octobre 2014.

Au cours de l’été 2014, nous avons travaillé avec une équipe de chercheurs d’EDF R&D sur un projet de simulateur pédagogique. Ce projet était destiné à introduire le concept de flexibilité énergétique, et à expliquer comment il peut potentiellement rendre notre consommation d’énergie plus durable.

VERS DES CONSOMMATEURS ACTEURS DE LA GESTION ÉNERGÉTIQUE

L’énergie est un secteur en pleine transformation. L’essor des énergies renouvelables et le développement de réseaux intelligents (smart grids), font évoluer notre modèle historique. D’un système centralisé et unidirectionnel, les nouvelles technologies nous conduisent vers une gestion plus locale, plus individualisée, et vers des modes de production plus décentralisés.

Dans ce nouveau modèle, le consommateur, citoyen ou acteur économique, est appelé à jouer un rôle bien plus actif. Avec des thermostats apprenants (comme Nest) et des compteurs intelligents (comme Linky), il optimise sa consommation d’électricité au quotidien. Avec les batteries domestiques, comme la très remarquée PowerWall de Tesla, il devient libre de stocker l’énergie pour l’utiliser quand bon lui semble.

Néanmoins, là où les technologies numériques apportent plus de personnalisation et de décentralisation, elles entraînent aussi plus de complexité et plus de responsabilités. Comparer les équipements, diminuer sa facture sans dégrader son confort, améliorer sa courbe de charge et son impact sur l’environnement… ces nouvelles préoccupations supposent d’y voir clair dans un univers très technique. Pour le grand public, le sujet est d’autant plus difficile à appréhender que l’électricité est un phénomène par nature invisible, dur à se représenter, et que l’information utile existe avant tout sous forme de données, dures à déchiffrer. Pourtant, la soutenabilité de notre système électrique dépend de notre capacité à mieux maîtriser la demande électrique. Elle suppose donc une prise de conscience plus large autour de ces nouveaux dispositifs, et de la flexibilité qu’ils peuvent apporter sur les réseaux.

Comment mettre les citoyens en position d’être acteurs de ces nouveaux systèmes intelligents ? Comment leur donner la capacité de mieux comprendre et donc mieux gérer leur consommation électrique ?

Le besoin d’une meilleure médiation entre données et utilisateurs se fait ici sentir. Pour assurer une meilleure pédagogie, et rendre les nouveaux équipements intelligents plus aisés à utiliser, nous avons besoin d’interfaces qui donnent du sens aux données et rendent ces dernières à la fois utilisables et utiles.

Nous avons eu l’occasion de travailler sur une telle interface en 2014, à l’occasion d’un projet de visualisation de données sur la flexibilité énergétique pour EDF R&D. Le cas d’étude ci-dessous retrace comment nous avons construit un dispositif visuel et interactif pour mettre les utilisateurs en capacité de devenir des acteurs de la flexibilité énergétique.

AU-DELÀ DE LA PRISE DE CONSCIENCE, UNE COMPRÉHENSION AGISSANTE DES DONNÉES

La flexibilité énergétique caractérise la capacité de nos installations électriques domestiques à moduler leur consommation d’électricité au cours de la journée. De cette façon, elles peuvent s’effacer pendant les heures de pointe ou lisser les pics de consommation pour moins peser sur le réseau électrique global. (Plus loin dans cet article, nous expliquons en détails ce mécanisme.)

Ce concept de flexibilité énergétique est particulièrement intéressant au regard de l’introduction ci-dessus, car il permet justement aux citoyens de consommer de façon plus soutenable grâce à de meilleures décisions d’équipement et de pilotage. Autrement dit, la flexibilité énergétique est une des façons d’encapaciter les consommateurs (“encapaciter” est le terme français pour “empowerment”).

Nos interlocuteurs chez EDF R&D souhaitaient proposer une démonstration pédagogique de ce phénomène en s’appuyant sur des données issues de simulation et de modélisation de la consommation électrique des logements. Le dispositif envisagé devait pouvoir s’intégrer sur un très grand écran dans les showrooms d’EDF, et en toucher les visiteurs : un public d’industriels, de décideurs et autres relais d’opinion.

Nous avons étudié comment un tel dispositif pouvait mobiliser la compréhension des visiteurs du showroom d’une façon qui les incite à agir, et ne se limite pas à la simple prise de conscience que la flexibilité est un concept intéressant. Nous avons pour cela réalisé une application de visualisation de données permettant aux visiteurs d’appréhender la flexibilité de différents appareils électriques et de différentes configurations de logement, en comparant les effets de cette flexibilité sur des grandeurs comme la consommation d’électricité, la température dans le logement, ou la facture payée.

Au sein de cette application, nous avons imaginé 3 axes d’expérience pour placer l’utilisateur dans une posture d’acteur :

  1. La compréhension active, dans une approche « explorable explanation ».
  2. L’interactivité renforcée, via un dispositif actionnable par son téléphone mobile.
  3. La dimension ludique, grâce à un mode collaboratif.

1 — EPROUVER PLUTÔT QU’ASSIMILER : LES EXPLORABLE EXPLANATIONS

Le concept d’« explorable explanation » ou « explication à explorer » a été introduit par Bret Victor pour désigner une série d’expérimentations autour de la lecture active et du texte réactif.

Pour Bret Victor, être un lecteur actif suppose de pouvoir poser des questions au texte, y envisager différentes hypothèses, interroger la cohérence et la fiabilité des propos exposés, plutôt que d’absorber passivement l’information.Il fait le constat que le format actuel des contenus explicatifs — articles, livres, rapports, etc.- encourage rarement une telle pensée critique, et se contente d’exposer les arguments de leur auteur.

Bret Victor aimerait au contraire que ces contenus ne véhiculent pas uniquement de l’information destinée à être consommée, mais de l’information qui suscite la réflexion, et nous amène à penser plus loin, en nous plaçant dans une situation d’être acteurs.

« A reactive document allows the reader to play with the author’s assumptions and analyses, and see the consequences. »

Explorable Explanations / Bret Victor / March 10, 2011

Bret Victor présente différents exemples où l’interactivité, couplée aux modélisations et aux données, permet d’amener le lecteur à une compréhension plus stimulante et plus intuitive de phénomènes physiques, économiques, ou mathématiques. Les « explorables examples » de Bret Victor amènent les lecteurs à toucher du doigt des modèles complexes par induction et empirisme, en déplaçant des curseurs, en modifiant certains chiffres clés, ou en observant des motifs récurrents.

« An explorable example makes the abstract concrete, and allows the reader to develop an intuition for how a system works. »

Explorable Explanations / Bret Victor / March 10, 2011

D’autres que Bret se sont récemment approprié cette démarche pour créer des scénarios pédagogiques très convaincants. Voici un exemple d’ “explorable explanations” réalisées par Bret Victor.

Bret Victor explique par l’expérience empirique le fonctionnement d’un système complexe dans son article Ladder of abstraction

Pour concevoir une application pédagogique le sujet de la flexibilité énergétique, nous avons ressenti le même besoin d’entremêler texte, interactivité et visualisation de données, pour permettre aux utilisateurs de se représenter un concept compliqué.

Dans le passage ci dessous, nous tentons de vous restituer une petite partie de la démonstration mise en place au sein du simulateur final.

Commençons par un principe très simple : l’électricité est compliquée à stocker à grande échelle. En conséquence il est nécessaire à tout instant d’équilibrer l’offre et la demande sur le réseau électrique français, à l’échelle nationale, et à l’échelle locale.

Cet équilibre n’est pas facile à obtenir.

  • Du côté de la demande, nous avons tendance à tous consommer de l’électricité au même moment : le matin avant d’aller au travail, le soir en rentrant chez soi, l’hiver quand il fait très froid, etc. La demande d’électricité en France se caractérise ainsi par de fortes variations en fonction des saisons, et des heures de la journée.
  • Du côté de l’offre en revanche, il est très coûteux de faire varier en même proportion la capacité de production. Les centrales nucléaires ne peuvent pas moduler leur rythme de production aisément, et les énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) sont, par nature, intermittentes.

Consommation d’électricité toutes les 30 minutes, en 2013 en France

Cette difficulté à ajuster instantanément offre et demande électrique crée des épisodes de stress sur le réseau global, qui sont sources de risque et de surcoût pour tous les acteurs du système électrique.

Pendant longtemps, il a été demandé à la production d’électricité seule de s’adapter pour absorber les pics de consommation. Aujourd’hui de nouvelles technologies ouvrent l’opportunité de s’appuyer aussi sur l’adaptation de la demande et des usages pour parvenir à un pilotage plus intelligent de l’équilibre électrique de notre pays.

S’il est très simple de programmer l’heure de lancement de sa machine à laver ou de son lave-vaisselle en dehors des heures rouges où tout le monde consomme… il n’en est pas de même pour son chauffage, son climatiseur, ou son chauffe-eau, dont le fonctionnement ne peut être trop longtemps interrompu sans dégrader le confort de sa maison.

Le concept de flexibilité intervient alors pour qualifier des systèmes électriques capables de moduler avec beaucoup de souplesse leur consommation électrique selon les heures de la journée, sans jamais dégrader le confort au sein du logement. Des systèmes électriques flexibles vont ainsi présenter la capacité de s’effacer pendant certaines heures de la journée, c’est à dire de reporter leur consommation d’électricité, ou de la lisser dans le temps sans que l’habitant du logement ne perçoive de différence dans la température de la pièce ou de l’eau chaude.

Ainsi, tous les dispositifs de chauffage, ou de climatisation, ne possèdent pas le même spectre de flexibilité, selon la technologie sur laquelle ils s’appuient. Une pompe à chaleur ou un chauffage à micro-accumulation seront ainsi plus flexibles qu’un simple convecteur, dans la plupart des logements.

L’objectif est évidemment de faciliter un meilleur équilibre entre production et consommation électrique, à l’échelle de tout le réseau. Pour le citoyen consommateur électrique, le défi est alors simple : faire fonctionner son appareil de chauffage, ou de climatisation, de la façon qui limitera le plus possible la consommation pendant les périodes rouges de surconsommation, sans jamais dégrader son confort.

Il ne vous reste plus qu’à imaginer que ce travail d’ajustement puisse être fait automatiquement par un régulateur intelligent, et que de tels régulateurs vont devenir de plus en plus commun dans nos maisons… pour percevoir tout l’intérêt du concept de flexibilité énergétique, et son formidable potentiel pour assurer un meilleur équilibre au sein du réseau électrique.

2 — COUPLER LE MOBILE AU GRAND ÉCRAN POUR DES INTERACTIONS PLUS PRÉSENTES

Nous avons cherché à adapter cette même démonstration au contexte particulier du projet réalisé pour EDF R&D :

  • le projet devait être adapté à la consultation dans un showroom, où les visiteurs sont déjà très sollicités visuellement, et n’ont pas le temps de lire de longues explications.
  • le projet devait pouvoir servir de support à des présentations orales devant un public d’experts, de décideurs et de relais d’opinion.

Nous avons donc renforcé la dimension visuelle et interactive de cette démonstration, pour en faire un dispositif captivant et ludique :

  • Nous avons enroulé sur elles même les courbes de charge pour rapprocher le graphique principal d’une horloge.
  • Nous avons travaillé les illustrations pour donner une dimension familière à l’application.

Nous avons déporté les interactions hors de l’interface sur grand écran, sur le téléphone des visiteurs, ou du présentateur. Grâce à une technologie de pairing, les visiteurs peuvent prendre le contrôle du grand écran avec leur téléphone. L’interface du téléphone sert alors de télécommande pour permettre à un ou plusieurs utilisateurs de sélectionner des éléments et d’interagir avec les visualisations de données présentées sur le grand écran.L’interface sur le grand écran permet ainsi à un grand nombre de visiteurs d’observer les représentations visuelles et de profiter des explications.

Les visiteurs du showroom peuvent faire évoluer l’information présentée sur l’écran en déplaçant un curseur sur leur téléphone mobile.

Le système de pairing est basé sur la technologie WebSocket qui permet des communications bi-directionelles entre un navigateur et un serveur web. Un serveur node.js orchestre la synchronisation entre le téléphone et le grand écran. Pour communiquer ensemble, tous les appareils sont connectés sur le même réseau wifi.Cette technologie d’interaction sans contact permet un engagement fort des visiteurs avec l’installation dans le cadre de leur visite du showroom.

3 — DE LA GAMIFICATION À L’ENCAPACITATION

Enfin, un dernier levier nous a permis de renforcer le rôle de l’utilisateur de l’application comme acteur : celui du jeu collaboratif.

L’application possède en effet un mode multijoueur dans lequel plusieurs participants interagissent ensemble sur le grand écran. Tous ensemble, avec leur téléphone, ils prennent le contrôle d’un petit village pour essayer d’en améliorer la consommation d’électricité.

La dimension ludique de l’exercice, et le fait qu’il pousse chacun à se préoccuper du comportement des autres, renforce le rôle pédagogique du projet.

Chaque joueur sur son téléphone peut faire varier sa sélection pour mettre à jour l’information présentée sur le grand écran.

En définitive, après quatre mois de travail entre chercheurs, designers et développeurs, cette application a donné la preuve qu’en s’appuyant sur des leviers différents : le jeu, la visualisation et l’interaction physique, il est possible d’amener un large public à comprendre des phénomènes compliqués pour devenir de meilleurs acteurs de nos choix énergétiques.

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